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Retour sur le traitement médiatique de l’élection présidentielle de 2017

par Sophia Aït Kaci,

Évidemment, nous n’avons pas la prétention d’avoir tout lu, vu et entendu pendant la campagne présidentielle. Pis : il ne sera pas question ici des épisodes les plus spectaculaires comme les mésaventures de François Fillon. Mais en revenant sur les articles que nous avons publiés, nous pouvons dégager quelques tendances parmi les plus lourdes.

Petit retour donc sur une compétition qui a occupé tous les médias dominants pendant le début de l’année 2017 et une bonne partie de l’année 2016. La Coupe du monde de football ? Pas la saison. Les Jeux Olympiques ? C’était l’année dernière, souvenez-vous. Non, il s’agit de l’élection présidentielle. Car c’est bien sous l’angle de la compétition que la plupart des rédactions se sont penchées sur cette élection. Et comme celle-ci est devenue un sport comme un autre, les commentateurs ne se privent pas de jouer les sélectionneurs, triant les mauvais des bons candidats. En se basant sur leur projet politique ? Pas du tout. C’est à la tête du (bon) client.

Journalisme sportif : le règne du commentaire

Ce qu’il y a de rassurant avec les campagnes électorales, c’est que l’on retrouve toujours quelques figures imposées. L’exercice du débat télévisé en fait partie. Il donne l’occasion aux journalistes politiques de se transformer en journalistes sportifs. « Un exemple de journalisme sportif : les commentaires du premier débat de la "primaire de gauche" » se concentrent sur les « petites phrases », les « punchlines » – anglicisme désormais usé à force d’en abuser – les « phrases cultes », les « phrases qui tuent ».

La mue finit de s’opérer lors du débat organisé par TF1. Les journalistes politiques et les éditocrates filent les métaphores sportives jusqu’au ridicule. Certains de ces « journalistes sportifs au bord du ring de TF1 » nous font même vivre l’avant-match, puis l’ambiance vestiaire après la partie.

Quelques semaines plus tard, « Le "grand débat" à onze disséqué par l’éditocratie » livre un florilège de ce que le journalisme de commentaire sait faire de pire : traitement de la campagne électorale comme une épreuve sportive, journalisme de prescription qui ne dit pas son nom et se cache derrière une neutralité de façade, focalisation sur les aspects les plus insignifiants de l’enjeu électoral.

Poussant cette logique à des sommets, le FigaroVox nous gratifie ainsi d’un article sur la communication non verbale des politiques, basé sur une enquête au « protocole innovant » consistant à recueillir l’opinion de téléspectateurs ayant regardé le débat Hamon/Valls… sans le son. Qu’y apprend-on ? Que « Quand on coupe le son de la télé, on entend moins bien ». Bouleversant.

Des heures d’antennes télé et radio, des kilomètres de papier, des téraoctets de mémoire monopolisés et gaspillés pour deviser sur les querelles personnelles, les tactiques des uns et des autres et la bataille pour le podium. « Misère du journalisme de compétition en précampagne », cette tendance se retrouve déjà dans les semaines qui ont précédé ces débats.

Sport ou politique, quelle différence au fond. Ne s’agit-il pas dans les deux cas d’une compétition, avec un gagnant et un perdant ? Le Parisien valide cette idée en nous livrant en vrac les résultats d’un week-end chargé : « "Primaire, handball, tennis" : misère du journalisme politico-sportif au Parisien ».

Journalisme sportif : le fiasco des pronostiqueurs

Longtemps avant la pré-pré-campagne (dès 2014…), la « Juppémania » s’est emparée des hebdomadaires, qui la construisent et la diffusent : « Juppé, forcément... : le retour » . Et à l’approche de la « primaire de la droite », nombre d’entre eux parient sur sa victoire et même sur sa victoire à la présidentielle. Mal leur en prit : « Alain Juppé : et si ce n’était pas lui ? ». Question qui justifie un retour sur l’enthousiasme médiatique pour le « président Juppé » et sur les sondages : « Primaire de la droite : 27 sondages depuis la rentrée, 27 sondages pour rien ? » Tout ça pour rien : ce fut François Fillon qui l’emporta.

Entretemps, suspense : qu’allait décider François Hollande ? « Hollande renonce : les journalistes-pronostiqueurs avaient vu juste ! ». La preuve : ils avaient parié sur sa candidature.

Et Bayrou ? Qu’allait faire Bayrou ? Un quotidien annonce sa candidature pendant deux jours, avant d’être obligé de se dédire : « François Bayrou candidat ? Journalisme de précipitation au Figaro ». Et Paris Match publie un sondage sur les chances de la candidature de François Bayrou après qu’il a annoncé qu’il renonçait : « La boule de cristal hallucinogène de Paris Match ».

Complaisance et compassion

Rares sont les journalistes qui osent pousser les hommes et femmes politiques dans leurs retranchements. C’est plutôt complaisance et compassion.

Au moment où sort l’« affaire Fillon », Laurent Delahousse, au comble de l’émotion réussit l’exploit d’interviewer pendant 12 minutes François Baroin, membre de l’équipe de campagne du candidat des Républicains, sans jamais mentionner les soupçons d’emploi fictif. Sur BFM TV, Ruth Elkrief et ses invités, au chevet de François Fillon, tentent la méthode Coué et essaient de (se) convaincre que la campagne de l’ancien Premier ministre peut « rebondir ». Avec le résultat que l’on sait : le rebond annoncé n’a pas eu lieu.

Comment s’en étonner quand on observe, sur le service public encore une fois, « l’Émission politique » servir la soupe à Marine Le Pen. Les thèmes abordés lors de cette émission collent tellement au programme du Front national qu’on croirait une opération de propagande. Les « entretiens d’embauche de Laurent Delahousse » – encore lui – avec Marine Le Pen et Emmanuel Macron, lors de l’entre-deux tours sont un cas d’école d’interviews politiques… dépolitisées ! Nous avons compilé les questions de l’intraitable Delahousse pour vous en convaincre. Il y a fort à parier que Le Pen et Macron ne s’en sont pas remis.

Macron superstar

En réalité, il y a fort à parier qu’Emmanuel Macron aura rapidement trouvé un espace d’expression encore plus accommodant. La surexposition médiatique de ce dernier a commencé bien avant l’officialisation de sa candidature : dès le lancement du mouvement « En marche ! », « La presse est unanime : Emmanuel Macron ».

Sa démission du gouvernement, confirme le statut d’« Emmanuel Macron superstar médiatique ». Et au fil des semaines le « cas Macron » est devenu – chronique d’une hypermédiatisation annoncée – « Un feuilleton médiatique à suspense ». Si la plupart des magazines lui ont consacré des « Unes » aguicheuses, une place particulière revient à L’Obs qui présente un cas de macronite aigue : « L’Obs observe Emmanuel Macron... jusqu’à L’Obsession »

Un « annuaire professionnel du monde politique » réunit un jury, composé notamment de journalistes politiques, et en 2017 ce jury a décidé de consacrer Emmanuel Macron en lui remettant le prix de la « révélation politique de l’année » : Le « Trombinoscope » béatifie Emmanuel Macron.

Contre cet évident acharnement, « À Challenges, une voix s’élève contre le Macron-bashing médiatique » : l’éditorialiste Maurice Szafran explique « Pourquoi Emmanuel Macron n’est pas le candidat des médias ». Mais est-ce que « Challenges roule pour Macron » ? La présidentielle à Challenges : les « observations » de la société des journalistes (SDJ)

La presse spécialisée se mobilise. C’est le cas d’un magazine de vulgarisation scientifique : « Sciences et Avenir se met en quatre pour Emmanuel Macron ». Un cas qui est loin d’être isolé : « Le magazine L’Histoire se met (lui aussi) en quatre pour Emmanuel Macron ». À quoi on peut ajouter : « Un grand cru Macron dans Terre de Vins  » qui publie une «  interview exclusive d’un candidat œnophile  ». Sans oublier : « Emmanuel Macron, star d’un « événement » organisé par Challenges et Sciences et Avenir », un « événement » doublé d’une opération de propagande.

Dans le « quotidien vespéral des marchés », avant le premier tour de l’élection présidentielle, le déni mobilise un rigoureux intermédiaire : « Avant le premier tour, Le Monde n’aurait pas roulé pour Macron ? La complainte du médiateur ». En toute indépendance ou en toute mauvaise foi ?

Grands journalistes et petits candidats

Les candidats pour qui les sondages prédisent des scores à un chiffre ne bénéficient pas de la même complaisance. Pas même d’une neutralité de façade. C’est que les chiens de garde du pouvoir, toujours prêts à aboyer contre ceux qui voudraient remettre en cause l’ordre établi, ont bien du mal eux-mêmes à s’accommoder des règles de temps de parole imposées par le CSA. Pensez donc ! Placer Artaud, Sarkozy et Mélenchon sur un pied d’égalité ? Les rédactions seraient plutôt du genre à refaire le casting si le candidat désigné par un « petit » parti ne leur plait pas. Ainsi de Philippe Poutou, maintes fois écarté des plateaux télé où l’on préfère recevoir Olivier Besancenot, le « bon client ». Un brin résigné, Philippe Poutou nous disait dans une interview de juillet 2016 sur le rapport du NPA avec les médias : « Nous sommes dépendants du bon vouloir des rédactions ».

Heureusement, les plaintes et gesticulations des pauvres petits patrons de presse ont permis de réduire la période d’égalité de temps de parole de cinq à deux semaines. Première étape avant une suppression pure et simple ? Nous posions la question lors de l’adoption de la loi en mai 2016 : « Présidentielle 2017 : c’est (mal) parti ».

Quelle sera alors la place des candidats qui ne sont pas adoubés par les rédactions ? Pour s’en faire une idée, on peut regarder ce qu’il se passe en dehors des périodes où s’applique – s’appliquait ! – cette obligation d’égalité de temps de parole. C’est ce que nous faisions à l’automne dernier avec un pointage des invités politiques des matinales les plus écoutées, celles de France Inter, Europe 1 et RTL. La réponse est claire : « Les radios sont unanimes : vive le bipartisme ! ». En effet, 81% des invités politiques appartiennent soit au PS soit au parti LR.

Rien d’étonnant par conséquent si Thomas Legrand, unique éditorialiste politique dans la matinale de France Inter, endosse le rôle de « sélectionneur de l’équipe des candidats à la Présidentielle ». Pour prendre la défense des « petits » candidats au nom du pluralisme ? Non, évidemment…

France Inter, Europe 1 et RTL, ce ne sont pas toutes les radios, mais ce sont les principales. Les télévisions ont-elles été plus hospitalières ? Pas vraiment. La grande messe du débat télévisé entre candidats a bien eu lieu, mais elle ne réunissait que les cinq plus « gros » candidats, sur les onze. Et c’est toute la cohorte des éditocrates qui s’est employée à justifier ce choix. Dans « Grands journalistes contre petits candidats », nous avons relevés les saillies mémorables de deux d’entre eux, Hervé Gattegno et Christophe Barbier.

La pluralité des titres de la presse écrite et le souci d’indépendance qu’affichent certains d’entre eux permettent-ils de garantir le pluralisme dont ils se gargarisent ? Le Monde, par exemple ? Raté ! Le supplément magazine du Monde, M a publié un article tellement affligeant que dès février nous pouvions annoncer : « Présidentielles 2017 : Le Monde remporte la palme du mépris pour les "microcandidats" ».

Grands journalistes et mauvais candidats

Faire partie du tiercé, quarté ou quinté de tête – pour reprendre une métaphore sportive – ne garantit pas toujours la bienveillance des chefferies journalistiques. La victoire de Benoit Hamon à la primaire de la « Belle alliance populaire » a surpris plus d’un pronostiqueur. Nul besoin de lire entre les lignes pour déceler leur déception. « Benoît Hamon le rêveur » : un cauchemar pour les éditorialistes.

Mais c’est surtout lors de la percée du candidat de la France Insoumise dans les sacro-saints sondages que la morgue, voire la haine de la caste des commentateurs s’est manifestée sans réserve ni pudeur. Jean-Luc Mélenchon est le mauvais candidat, celui dont les médiacrates ne veulent pas. Raphaël Enthoven, pour ne mentionner qu’un exemple, tape sur ses partisans dans un chef d’œuvre d’« éditocratie à coup de marteau ».

Au delà du poids des mots, le choc des images parle de lui-même dans ce montage vidéo qui présente un échantillon des interrogatoires subis par le mauvais candidat, ou « "Comment détester Mélenchon", par quelques médiacrates ».

La campagne 2017 avait pourtant bien commencé. Une chaine YouTube, des meetings par hologramme et des qualités oratoires qui en font aussi un « bon client » ont d’abord donné un capital de sympathie au candidat. Le vent a tourné quand les oracles – comprenez les instituts de sondage – ont prédit que Mélenchon ferait mieux que Hamon. Fin de la récré. En 2012 déjà la mobilisation avait été générale : « Les éditocrates contre Jean Luc Mélenchon ». En 2017, après une brève accalmie, on recommença : « Les éditocrates contre Jean-Luc Mélenchon (bis repetita) ? ».

Personnalisation et dépolitisation

Qu’on n’aille pas croire pourtant que la présentation des projets et des programmes fut totalement absente : les candidats s’en chargèrent et les médias consentirent à les évoquer. Mais comme à l’accoutumée, le journalisme de commentaires a écrasé le journalisme d’information. La personnalisation des jeux politiques l’a emporté un peu partout : encensés, démolis ou ignorés, les candidats l’ont été surtout en fonction de leur personnalité et de leurs chances supposées dans la compétition. La politique dans les médias, c’est trop souvent la politique selon « C dans l’air ».

Le journalisme de compétition qui culmine avec la personnalisation des jeux politiques contribue à une dépolitisation des enjeux : tendance lourde qui n’a pas complètement effacé la présentation des projets en présence. Or on a souvent dû cette présentation aux candidats eux-mêmes et non aux informations diffusées par les grands médias. Et parmi les projets qui n’ont pas reçu la place qu’ils méritent, nous devons mentionner les propositions de transformation des médias. Nous ne les avons pas oubliées : notre comparateur a scruté, pour les confronter à nos propres propositions, les programmes en présence. Le débat public dans l’espace médiatique n’a pas eu lieu : manifestement cela n’intéresse pas les grands pourvoyeurs d’information.

Sophia Aït Kaci (avec Henri Maler)

 
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