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Lu au FigaroVox : quand on coupe le son de la télé, on entend moins bien

par Julien Salingue,

Misère de « l’expertise » pipeau-litique.

« Mesurer l’impact de la communication non verbale »

En cette période de campagne électorale, les grands médias rivalisent d’inventivité pour capter l’attention du public : sondages bidons en ligne, fabrication de faux scoops autour de « petites phrases » insignifiantes, convocation d’experts en tout genre, etc. Le FigaroVox vient de s’illustrer dans cette dernière catégorie en mettant en ligne, le 7 février, un article dont le titre n’a pas manqué de nous intriguer :



Cette interrogation autour de la « communication non verbale » des responsables politiques nous a en effet rappelé quelques – fâcheux – précédents, lorsque certains médias avaient cru bon de faire appel à des synergologues [1] pour « décrypter » le « langage non verbal » de certains responsables politiques. En 2014, sur le site de 20 Minutes, cela donnait – par exemple – ceci :

Face à Florian Philippot qui est sur scène, les deux femmes [Marine Le Pen et Marion Maréchal] réagissent bien différemment. Marine Le Pen affiche son autorité, lorsque ses mains sont en V. Marine est bien le patron. Quant à sa nièce, elle se gratte sous le nez. C’est un signe bien connu qui apparaît quand l’autorité de l’autre vous dérange. En somme Marion ne reconnaît en aucun cas la valeur supposée de Philippot. [2]

Brillant, n’est-ce pas ? Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres [3]. Piqués par la curiosité et avides de nouvelles « analyses » synergologiques, nous sommes donc allés lire l’article du FigaroVox. Et quelle n’a pas été notre surprise de découvrir que ce dernier, présenté comme une « enquête », n’était pas signé par un ou des synergologue(s) mais par un sondologue (Jean-Daniel Lévy, d’Harris interactive) et un communicant (Yves-Paul Robert, du groupe Havas). Un cocktail détonnant, et un programme alléchant : « Harris Interactive et Havas ont mené une enquête pour mesurer l’impact de la communication non verbale sur l’opinion des électeurs lors de la primaire de la gauche. »


Une bouleversante « enquête »

Comment le sondologue et le communicant ont-ils procédé pour étudier la « communication non-verbale » ? Tout simplement en… coupant le son. Non ? Si : « nous avons déployé un protocole innovant [sic] forçant nécessairement le trait, qui visait à répondre à une question : si nous demandons à deux échantillons de sujets identiques de regarder un débat avec pour seule différence que l’un d’entre eux seulement ait l’image et le son tandis que l’autre doit se contenter [de l’image] [4], comment seraient jugés les intervenants ? ».

Harris interactive et Havas ont donc « innové » en proposant à un « échantillon » (dont nous ne saurons rien dans l’article, pas même le nombre de téléspectateurs le composant) de visionner le débat entre Manuel Valls et Benoît Hamon sans le son, puis de « noter » les performances des deux débatteurs. Ceci afin, apprend-on, « d’étudier un sujet […] passionnant, qui joue un rôle déterminant dans la construction des opinions ».

« Passionnant », le mot est faible. Voici en effet ce que l’on apprend, ébahis, dans l’article :

Les notes sont identiques ou légèrement meilleures lorsque les personnes entendent les arguments plutôt que lorsqu’elles sont confrontées uniquement à l’image. Le fait d’entendre le son « pèse plus lourd dans la balance de la conviction » mais n’inverse pas l’ordre des préférences.

En d’autres termes, un responsable politique est plus convaincant lorsque l’on entend ce qu’il dit. Bluffant.

Et ce n’est pas tout :

Les personnes ayant donné les meilleures notes à la conclusion de Manuel Valls (entre 8 et 10), sans pour autant l’entendre, ont mis en avant sa gestuelle.

« Mettre en avant » la « gestuelle » lorsque l’on n’entend rien ? Voilà qui est étonnant !

Et ce n’est pas tout (bis) :

Lorsque les téléspectateurs regardent et écoutent Benoît Hamon, ils mettent plus en avant assez logiquement, les « faits concrets ».

Ainsi, lorsque le son n’est pas coupé, les téléspectateurs s’intéresseraient moins à la gestuelle. Décidément, cette « enquête » est bouleversante.


« Revenir au fond » ou toucher le fond ?

Et le reste de l’article est du même acabit avec, en prime, quelques moments de grâce synergologiques :

Manuel Valls hésite lors de toute l’émission entre postures martiales, poings serrés, gestes d’une seule main faits de manière saccadée, ouverture des deux mains suivie immédiatement d’un renfermement, sourcils agités, et une posture faciale souriante accompagnée de nombreux gestes d’ouverture vers son concurrent ou même le public voire les journalistes. On peut en déduire une forme de dichotomie entre une volonté stratégique « d’adoucir » son image, incarnée par ses fréquents sourires, et une nature (accentuée par la pression des circonstances ?) plus autoritaire, moins « ouverte » au débat.

Ou encore :

Benoît Hamon de son côté utilise une palette de gestes plus « sophistiqués », alternant les compositions. On note son fréquent « pouce/index » fermés pour indiquer la précision de son argument, l’alternance « main fermée/main ouverte » qui tend à symboliser l’empathie vers les interlocuteurs, sans oublier l’indispensable « main sur le cœur/tête en arrière », difficile à rivaliser pour prouver son honnêteté.

Fichtre.

En errant sur le site du FigaroVox, nous n’avons pas pu manquer de relever que cette « enquête » a été publiée quelques jours après un article de Maxime Tandonnet, contributeur régulier du site, qui prenait la défense de François Fillon, invitant à « revenir aux débats de fond » et à cesser de « [se focaliser] sur les jeux de personnes et les images médiatiques ».

Nous ne sommes pas certains que des articles comme celui de Jean-Daniel Lévy et Yves-Paul Robert, quand bien même on les lirait avec un bandeau sur les yeux, aident qui que ce soit à « revenir aux débats de fond » : il nous semble plutôt qu’ils contribuent à entraîner le journalisme politique vers des abîmes toujours plus profonds. Force est en effet de constater que l’alliance de la synergologie, de la sondologie et de la communication a malheureusement tenu toutes ses promesses et atteint son objectif : remplir du vide avec du rien.


Julien Salingue

 
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Notes

[1La synergologie est, d’après son site officiel, une discipline fondée en 1996, qui se propose « d’appréhender l’esprit humain à partir de la structure de son langage corporel ».

[4Dans l’article du FigaroVox, on peut lire ici : « l’autre doit se contenter du son ». Mais il s’agit de toute évidence, à la lecture du reste de l’article, d’une erreur. C’est bien le son qui a été coupé. Selon nos informations, une télévision dont on coupe l’image s’appelle en effet une radio.

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