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Le Monde en guerre : (5) Une guerre essentiellement humanitaire ?

par Henri Maler,

Une fois la guerre commencée, Le Monde du 25 mars - " Un tournant historique " - se prononce sans équivoque sur ses enjeux : " éviter le retour de la barbarie en Europe ". Mais, du même coup, l’enjeu de la guerre selon Le Monde devient à ses yeux, l’objectif de la guerre selon l’OTAN : un objectif sublimé par les motivations humanitaires que le quotidien assigne à la guerre et qui occupent exclusivement le devant de la scène politique et journalistique. Les autres motifs - l’importance de l’intervention dans la perspective d’une refondation du rôle de l’OTAN, l’importance géostratégique des Balkans, les enjeux directement économiques - sont en général passés sous silence [1].

Pourtant, déconnectées de l’analyse d’ensemble, quelques informations que Le Monde distille parfois mettent en évidence l’existence de ces motifs, dissimulés par le vacarme humanitaire. Ainsi, dans un article du 21 février, Jacques Isnard fait le point sur la stratégie américaine et, en particulier, sur le rôle qu’elle assigne à l’OTAN [2]. Mais la guerre, pendant plusieurs semaines, ne permet plus de tenir compte de ces analyses : il faudra attendre l’anniversaire de l’OTAN pour que Le Monde se demande en quoi la guerre du Kosovo s’intègre au déploiement de cette stratégie dont l’objectif géopolitique, d’inspiration américaine, suppose le contournement de l’ONU et de l’OSCE par l’OTAN, avec toute les conséquences qui en ont découlé pour le Kosovo : le report pendant plusieurs mois de toute tentative d’arrêter le désastre, le retrait des observateurs de l’OSCE, etc...C’est que l’enjeu essentiel dépasse d’emblée la question du Kosovo, ainsi que le déclare Zbigniew Brzezinski dans un "point de vue" publié en première page du Monde, le 17 avril : " le fait est que l’enjeu dépasse infiniment, désormais, le simple sort du Kosovo (...). Il n’est pas excessif d’affirmer que l’échec de l’OTAN signifierait tout à la fois la fin de la crédibilité de l’Alliance et l’amoindrissement du leadership mondial américain. Les conséquences en seraient désastreuses pour la stabilité de la planète ". Après avoir mis l’OTAN en avant pour favoriser la refondation de son rôle, il s’agirait désormais, avant tout autre objectif, de sauver l’OTAN. L’engrenage mal maîtrisé de la guerre révèle l’un des moteurs qui le font tourner.

Or la stratégie proprement militaire n’est pas indépendante de cette redéfinition de l’OTAN. Le Monde a publié une page au titre éloquent le 15 juin : " Le Kosovo a été le banc d’essai des matériels présentés au salon du Bourget ". Dans le sous-titre : " (...) les Etats-Unis ont fait la démonstration que, sans leur technologie, l’Europe de la défense n’a pas de consistance ". L’auteur de l’article, Jacques Isnard, enfonce quant à lui un autre clou : " L’OTAN, Amérique et Européens confondus, a conceptualisé et choisi d’adapter sa forme de guerre - la défaite de l’adversaire sous l’effet des seules frappes aériennes - à sa panoplie d’armement ". On imagine à quelles contorsions doivent se livrer des éditorialistes qui pensent possible de soutenir la guerre de l’OTAN, sans soutenir le volet militaire de la stratégie de l’OTAN : des " frappes " aériennes, qui s’avèreront plus efficaces contre les objectifs civils que contre les cibles militaires. Il faudra attendre... le 14 septembre 1999, pour que l’on apprenne, au détour d’un article d’Alain Frachon consacré à une comparaison entre le Kosovo et Timor, que l’" humanitaire " ne fut qu’un " facteur " parmi d’autres de la guerre conduite par l’OTAN dans les Balkans [3].

Une fois le recours à la guerre légitimé, il reste à justifier la stratégie déployée. Celle-ci de présente deux dimensions indissociables - une dimension politique et une dimension militaire - que l’on peut cependant distinguer provisoirement, pour la clarté de l’exposé. Que valaient les objectifs politiques ? Que valaient les moyens militaires ?


(1) Une information solidement explicative ? / (2) Une diplomatie purement dissuasive ? / (3) Une guerre juridiquement fondée ? / (4) Une guerre essentiellement européenne ? / (5) Une guerre essentiellement humanitaire ? / (6) Une guerre politiquement ciblée ? / (7) Une guerre strictement préventive ? / (8) Une guerre militairement ciblée ? / (9) Qu’est-ce qu’un journal de référence ?

(octobre 1999, complété en juin 2000)

 
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Notes

[1On ne reviendra pas ici en détail sur ces motifs. Voir notamment Gilbert Achcar, La nouvelle Guerre froide, Actuel Marx Confrontations, PUF, 1999, 111 p., 98 FF ; Daniel Bensaïd, Contes et légendes de la guerre éthique, Textuel, 1999, 175 p., 110 FF. ; Noam Chomsky, Le Nouvel Humanisme Militaire - Leçons du Kosovo, Cahiers libres, Editions Page deux, 2000, 293 p., 129 FF

[2Jacques Isnard, " Les Etats-Unis en guerre contre les "Etats-voyous "", Le Monde du 21 - 22 février 1999. Le même Jacques Isnard, dans un article du Le Monde, du 31 mars - L’arme secrète de Clinton - souligne l’objectif de la présence - militairement inutile - de B-2 Spirit sur le théâtre des opérations : " Le Spirit va servir de vitrine à la technologie américaine ". A classer, sans doute, parmi les motivations humanitaires...

[3Le Monde, 14 septembre 1999, p. 3

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