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Le Monde en guerre : (2) Une diplomatie purement dissuasive ?

par Henri Maler,

Une fois la guerre commencée, Le Monde affirme péremptoirement que le projet de Rambouillet proposait une solution acceptable et constituait une ultime tentative.

L’éditorial du 25 mars - sous le titre " Un tournant historique " -, n’hésite pas à affirmer que " Le président de la RFY, Slobodan Milosevic, refuse l’honnête solution qui lui a été proposée à Rambouillet ". En quoi s’agissait-il d’une honnête solution ? Le Monde ne le dit pas. De quelles informations disposons nous pour en juger ? Le Monde ne les fournit pas.

Alors que Le Monde diplomatique, sur son site internet, puis L’Humanité hebdo du 30 avril ont publié les annexes du projet d’accord, Le Monde (qui pourtant a publié sans délais l’intégrale du rapport du procureur Starr dans " l’affaire Monica Lewinski ") n’a pas jugé bon de faire connaître le texte à ses lecteurs. Mais le quotidien ne s’est pas privé pour autant d’engager, sous la plume de Henri de Bresson, la polémique sur son interprétation. La totalité du projet révèle que les dispositions militaires revenaient à ceci : l’intervention d’une force d’interposition de l’Otan, autorisée à circuler librement sur la totalité du territoire Yougoslave. Mais le journaliste du Monde ergote. Sous prétexte que ces annexes n’ont pas été débattues - " la discussion n’est pas arrivée jusque-là " -, il serait inutile de les discuter [1].

Une fois éludées les conditions imposées au gouvernement de Milosevic, la solution proposée pouvait passer pour honnête et, en ce sens, pour ultime. Deux arguments fusionnés en un seul permettent d’expliquer que l’on a atteint l’extrême limite et que la guerre est devenue inévitable : à la fois parce qu’elle a été trop longtemps différée et qu’elle est dictée par l’urgence.

 Une intervention trop longtemps différée : " après des mois de négociations aboutissant à l’accord de Rambouillet, refusé par le seul Milosevic ; après tant de temps perdu, il n’y avait plus d’autre solution que le recours à la force " (éditorial du 22 avril, " Le but de guerre "). Comme si ce recours à la force n’était pas aussi la conséquence d’une politique catastrophique des puissances occidentales depuis une dizaine d’années. Comme si " l’honnête solution " diplomatique ne faisait pas corps avec la seule " solution " du recours à la force (qui supposait notamment la mise l’écart de la diplomatie russe). Comme si les prétendus accords de Rambouillet avaient été autre chose qu’un ultimatum, comme Kissinger lui-même l’a reconnu.

 Une intervention dictée par l’urgence : " plus l’OTAN attendra, plus le conflit au Kosovo sera lourd de massacres et plus la déstabilisation régionale sera exacerbée " (éditorial du 25 mars, " Un tournant historique "). Comme si la guerre n’avait pas contribué à précipiter ce qu’elle prétendait empêcher. Nous y reviendrons.

Ce faisant, Le Monde en guerre avalise la présentation des efforts diplomatiques fournis par les diplomates eux-mêmes. Rien d’étonnant à cela : pendant toute la période des " négociations ", les articles de Claire Tréan - qui " suit " les négociations - épousent, sans la moindre distance critique, la version des diplomates occidentaux.

Or les prétendus accords de Rambouillet ne relevaient ni d’une diplomatie préventive, ni d’une diplomatie dissuasive, mais d’une diplomatie expéditive et immédiatement belliqueuse. La perspective d’une intervention de l’OTAN est officialisée dès octobre 1998, quelques jours après le vote des résolutions de l’ONU et avant toute ouverture de négociations. Le Monde, dès le jeudi 8 octobre annonçait en première page : " Kosovo l’OTAN prête à frapper les Serbes ". Et Javier Solana, secrétaire général de l’OTAN, déclarait, dans un entretien publié le même jour que " Le compte à rebours pour une intervention de l’OTAN a commencé ", dans le but d’éviter " le risque d’une catastrophe humanitaire " (en précisant cependant que la présence de l’OTAN sur le territoire du Kosovo restait une question ouverte). Mais rapidement, sur une question éminemment conflictuelle - et alors que les grandes puissances ont pris tout leur temps pour différer, voire pour empêcher la solution de conflits similaires -, c’est l’OTAN que l’on cherche à imposer dans une diplomatie qui ne laisse pratiquement aucune marge de négociation.

La menace du recours à cette intervention était présentée comme une condition de l’efficacité des efforts diplomatiques en direction du gouvernement de Milosevic. A moins que la diplomatie expéditive n’ait eu essentiellement pour fonction de préparer et de légitimer le recours à la guerre.

Dans Le Monde du 6 février - sous le titre " Quinze jours pour parvenir à la paix " -, Claire Tréan décrit, sans le moindre état d’âme, cette diplomatie expéditive : " L’idée [sic !] est de fixer un cadre rigide aux négociations, les parties en conflit n’ayant à s’entendre que sur les détails de cette épure [re-sic], qui doit dessiner pour trois ans un statut "d’autonomie substantielle " du Kosovo. 85% du projet qu’on mettra sur la table "ne sont pas négociables" a déclaré jeudi un responsable américain, ajoutant qu’on ne laisserait aux intéressés "aucune marge de manœuvre pour décider des aspects fondamentaux" de ce plan [sic]. ". Et Claire Tréan de conclure, sans le moindre tremblement de plume : " Quant aux intéressés eux-mêmes, ils partent de positions diamétralement opposées sur tout (...) le plus difficile restera à venir obtenir un accord en moins de quinze jours. " Autant dire que l’ " échec " de la diplomatie et la guerre déclenchée par l’OTAN étaient programmés d’avance et depuis longtemps.

Quelle guerre ? Les éditoriaux du Monde répondent : une guerre légale, européenne et humanitaire ; une guerre ciblée et préventive.


(1) Une information solidement explicative ? / (2) Une diplomatie purement dissuasive ? / (3) Une guerre juridiquement fondée ? / (4) Une guerre essentiellement européenne ? / (5) Une guerre essentiellement humanitaire ? / (6) Une guerre politiquement ciblée ? / (7) Une guerre strictement préventive ? / (8) Une guerre militairement ciblée ? / (9) Qu’est-ce qu’un journal de référence ?

(octobre 1999, complété en juin 2000)

 
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Notes

[1Henri de Bresson, " Polémique sur les clauses non publiées de l’accord de Rambouillet sur le Kosovo. Des mesures comparables à celles régissant la SFOR en Bosnie ", Le Monde du 2-3 mai 1999, page 32.

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