Dans la tradition internationaliste des flottilles pour Gaza et quinze ans après l’assaut du Mavi Marmara – en mai 2010, au cours duquel l’armée israélienne tuait neuf passagers –, le Madleen entendait briser le blocus israélien à Gaza, à l’instar d’autres actions de solidarité actuellement en cours [2]. Il réunissait à son bord douze personnes, parmi lesquelles des militants, l’eurodéputée LFI Rima Hassan et deux journalistes, Yanis Mhamdi (Blast) et Omar Faiad (Al Jazeera). Dans la nuit du 8 au 9 juin, l’armée israélienne a arrêté ses passagers, dont trois sont toujours emprisonnés en Israël à l’heure où nous écrivons ces lignes.
En France, la couverture médiatique de ces énièmes violations du droit international par l’État d’Israël a donné une nouvelle occasion de mesurer la surface et le crédit que continuent d’accorder à sa propagande de très nombreuses chefferies éditoriales. Gangréné par l’éditorialisation, le débat public s’est souvent mué en cabale contre les passagers du Madleen tandis que dans les formats les plus exposés du PAF, les interviews de responsables LFI ont viré au procès, à grand renfort de désinformation.
Sur Franceinfo par exemple (10/06), alors que la journaliste Salhia Brakhlia requiert de Clémence Guetté une confirmation selon laquelle « quatre des six Français ont refusé de signer le fameux document qui mène à l’expulsion d’Israël », la députée LFI témoigne du fait qu’elle ne dispose alors d’aucune information suffisante sur « le contenu des documents en question », ajoutant que « certains [passagers français du Madleen] attendent un conseil juridique avant de [les] signer ». Ni une ni deux, elle est interrompue par le journaliste Jérôme Chapuis, visiblement plus « informé » : « Alors, on a eu des informations sur ce sujet tout à l’heure avec l’ancien ambassadeur de France en Israël qui nous disait [que] ce document, il est très simple. C’est trois lignes. "Acceptez-vous d’être expulsé du territoire israélien ?" Est-ce que dans ces conditions, il y a une raison de refuser ? » Patienter et recouper ses sources aurait sans doute évité au journaliste de diffuser des fake news avec autant d’aplomb à heure de grande écoute : comme le souligne Blast, « ce texte stipule, si ratifié, une acceptation d’expulsion du territoire, une reconnaissance du caractère illégal de l’opération humanitaire du Madleen et un engagement à ne plus fouler le sol israélien pour une durée de cent ans. […] Ainsi, contrairement à la communication des autorités israéliennes, reprise quasi mécaniquement par une série de médias français, les sept militants et notre journaliste Yanis Mhamdi n’ont pas refusé de quitter le territoire israélien. Ils ont en revanche refusé de signer un texte inique et mensonger, en dehors d’une véritable consultation avec un avocat, sous la pression de l’armée israélienne. »
Cette master class de Franceinfo est loin d’être isolée : disqualification de l’action humanitaire sur fond de moqueries indignes ; criminalisation des passagers du Madleen dans la grande tradition du journalisme de préfecture ; poursuite de l’acharnement contre Rima Hassan ; reprise sans recul de la propagande israélienne et légitimation de l’action des autorités, certains commentateurs allant jusqu’à nier la famine à Gaza ou l’illégalité du blocus israélien…
Des plateaux en roue libre de CNews aux studios tamisés de Franceinfo, rien n’aura été épargné. Certaines déclarations resteront même gravées dans les archives du naufrage médiatique face au génocide en cours. Parmi celles-ci, les outrances de Caroline Fourest dans Franc-Tireur – titré cette semaine « La flottille s’amuse » à la Une [3] – ou encore une spectaculaire inversion des responsabilités signée Alba Ventura, feignant de regretter qu’avec la flottille, « ni Rima Hassan, ni Greta Thunberg n’ont rendu compte du vrai drame humanitaire qui se déroule à Gaza » (TF1, 10/06). Au contraire des grands médias ?
Meilleur du pire [4].
Pauline Perrenot