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Le Monde en guerre : (4) Une guerre essentiellement européenne ?

par Henri Maler,

Une fois la guerre commencée, la thèse du Monde est des plus simples : les USA ont prêté leur appui aux Européens dans une guerre humanitaire. De simples auxiliaires en quelque sorte, essentiellement désintéressés.

Dès le 27 mars, l’éditorial - " Le débat et les faits " - affirme : " Dans l’affaire du Kosovo (...) l’initiative politique est largement revenue aux Européens, notamment à la France et à la Grande-Bretagne. " L’éditorial du 24 avril - " OTAN : l’enjeu de Washington " - ressasse et précise la même idée : " Répétons-le en Bosnie comme au Kosovo, les Etats-Unis n’étaient pas demandeurs. Ce sont les Européens qui ont sollicité l’assistance américaine, parce qu’ils n’avaient pas les moyens militaires de leur diplomatie. " L’éditorial du 10 mai - " La guerre de la France " -, inlassablement, conforte cette légende : " La France participe à une guerre européenne, décidée sous l’impulsion politique de Paris et de Londres, et non sous la pression des Etats-Unis, comme veut le faire croire une faribole trop souvent entendue sous nos cieux. " Les Etats-Unis se seraient bornés à mettre leurs armes au service d’une diplomatie qui n’était pas la leur. La guerre " n’est majoritairement conduite par les Etats-Unis que du fait des faiblesses d’une Europe de la défense (...) ". Comme si les Etats-Unis ne tiraient pas parti des faiblesses des Européens, pour imposer - avec le consentement de la plupart d’entre eux - la réalisation d’objectifs géopolitiques déterminés qui sont indissociables de leurs intérêts particuliers. Comme si la stratégie des Européens était parfaitement dissociable de la stratégie de l’OTAN sous hégémonie américaine.

De simples auxiliaires vraiment ? Sans doute est-il exact d’affirmer que les gouvernements de l’Union européenne ont tenté de garder l’initiative dans la " gestion " de cette " crise " (et de la retrouver après la fin des bombardements). Le Monde, pourtant, à relire les articles de Claire Tréan, savait que les américains cherchaient à tout prix l’épreuve de force et intervenaient directement sur le cours des " négociations ". Ainsi, dès le 27 janvier, sous le titre " Divergences occidentales sur la crise du Kosovo ", Claire Tréan indiquait que les américains étaient partisans d’un accord préalable avec l’UCK ouvrant la voie à un ultimatum face au gouvernement serbe " un ultimatum de quatre jours ". Comme on peut le voir, affirmer qu’il existait une pression des Etats-Unis n’est rien d’autre qu’une " faribole ".

Des supplétifs désintéressés ? Un américanisme primaire ne suffirait pas à expliquer une telle absence de lucidité. Un européanisme foncièrement libéral : tel est l’idéal qui aveugle Le Monde au point qu’il ne craint pas de présenter la guerre comme une " guerre européenne ". Cette croyance - réelle ou affectée - ne laisse ouverte qu’un seule question : comment faire en sorte que les européens disposent de forces armées à la hauteur de leur diplomatie ?

Revenons à l’éditorial du 27 mars : " l’initiative politique est largement revenue aux Européens (...) Aussi, ceux qui, légitimement, de part et d’autre du spectre politique, à droite comme à gauche, soulignent que l’Europe, dans la crise du Kosovo, est à la traîne ou sous la tutelle de Washington, devraient-ils reconnaître qu’il n’est, à l’avenir, qu’une solution pour l’éviter la poursuite de la laborieuse - lente, trop lente - constitution d’une Europe de la défense. Mais le paradoxe c’est que ce sont souvent les mêmes qui contestent la prépondérance américaine et l’intégration européenne ! L’affaire du Kosovo plaide de manière criante pour une identité européenne en matière de défense. " Comme si la construction militariste de l’Europe - le projet d’ une armée européenne rivalisant de technologie avec les Etats-Unis et destinée à mener le même type de guerre - ne faisait pas problème.

Il est vrai que pour Le Monde la " guerre européenne ", comme le précise l’éditorial cité, " est menée au nom des intérêts politiques - et non pas économiques - de l’Europe de demain, des valeurs morales qui doivent la fonder ".


(1) Une information solidement explicative ? / (2) Une diplomatie purement dissuasive ? / (3) Une guerre juridiquement fondée ? / (4) Une guerre essentiellement européenne ? / (5) Une guerre essentiellement humanitaire ? / (6) Une guerre politiquement ciblée ? / (7) Une guerre strictement préventive ? / (8) Une guerre militairement ciblée ? / (9) Qu’est-ce qu’un journal de référence ?

(octobre 1999, complété en juin 2000)

 
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