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Mythologie médiatique : « Face à l’Iran, Israël a le droit de se défendre »

par Mathias Reymond,

Le 13 juin 2025, Israël a lancé une série d’assassinats ciblés et de bombardements massifs contre des « sites stratégiques » iraniens. Dans la foulée, les médias français, en particulier les chaînes d’information en continu, se sont empressés de relayer un récit unilatéral, reprenant les éléments de langage du gouvernement israélien et arguant qu’« Israël a le droit de se défendre » ou, selon la formule choisie par Macron : « de se protéger ».

Depuis des décennies, Benyamin Netanyahou brandit comme un leitmotiv, repris sans recul par les médias, la menace d’une bombe nucléaire iranienne imminente. En 2025, cette menace est réactivée pour justifier les frappes israéliennes contre l’Iran, malgré les déclarations de la directrice du renseignement américain, Tulsi Gabbard, affirmant qu’aucune preuve ne soutient l’existence d’un programme d’armement nucléaire actif en Iran. Cette désinformation, amplifiée par des éditorialistes comme Ruth Elkrief (« La bombe nucléaire n’est toujours pas disparue », LCI, 19/06), alimente une hystérie qui légitime les actions israéliennes et ignore purement et simplement le droit international – qui ne reconnaît pas de légitime défense « préventive » et au regard duquel ce genre d’opération n’est rien d’autre qu’une agression.

Lors d’une interview sur BFM-TV, le porte-parole de La France insoumise, Manuel Bompard, a été confronté à une série de « questions » visant à le forcer à condamner la riposte iranienne aux frappes israéliennes (« Est-ce que vous condamnez également la riposte iranienne sur Israël ? », « Vous ne condamnez pas la riposte iranienne ? »), avant que Bruno Jeudy lui enjoigne de choisir : « La France est-elle au côté d’Israël pour qu’Israël puisse se défendre, ou au côté du régime iranien ? » Cette formulation binaire qui ne laisse aucune place à une analyse nuancée du conflit impose un cadre où critiquer Israël équivaut à soutenir l’Iran, interdisant toute discussion sur les violations du droit international et les conflits qui déchirent la région depuis des décennies.

Les plateaux télévisés ont largement relayé les arguments du gouvernement israélien, souvent sans recul critique [1]. Bernard-Henri Lévy, invité récurrent, a justifié les frappes israéliennes comme « nécessaires et inévitables » (BFM-TV, 16/06), reprenant l’idée d’une menace nucléaire iranienne imminente, basée sur des rapports de l’AIEA qu’il présente comme indiscutables. Pourtant, l’AIEA elle-même, par la voix de Rafael Grossi, a précisé qu’il n’existe « aucune indication d’un programme systématique de production d’armes nucléaires en Iran » (CNN, 19/06). Mais qu’importe, cette contradiction n’est pas relevée par la présentatrice, qui laisse BHL dérouler son discours.

De même, Frédéric Encel, sur RMC, réaffirme « le droit d’Israël à se défendre » (16/06), tandis que Robert Ménard, sur LCI, déclare : « Depuis 1979, la Constitution iranienne vise l’éradication d’Israël, donc Israël se défend » (18/06). Pour Bernard Guetta, « il est tout à fait logique que les dirigeants israéliens interviennent » (BFM-TV, 19/06). Ces prises de parole omettent de mentionner qu’Israël n’a jamais autorisé d’inspections de l’AIEA sur son propre territoire, contrairement à l’Iran. Cet oubli renforce une lecture asymétrique où l’Iran est systématiquement diabolisé, tandis qu’Israël est présenté comme une victime agissant en légitime défense, même lorsque c’est son armée qui déclenche les hostilités.

Cette défense tous azimuts voit Pascal Praud proclamer sur CNews : « Nous sommes tous israéliens », exaltant Israël comme « la seule démocratie de la région », sans mentionner les violations documentées des droits humains à Gaza ou en Cisjordanie.

Par ailleurs, la censure israélienne limite l’accès à l’information. Depuis mai 2024, Al Jazeera est interdit en Israël, et le quotidien Haaretz a été sanctionné pour ses critiques. Les nouvelles restrictions imposées par Israël sur la couverture des frappes iraniennes interdisent aux journalistes de rapporter les impacts précis des missiles, sous prétexte de « sécurité nationale ». Cette opacité contraste avec la propagande israélienne, qui fournit des images, facilitant une couverture médiatique favorable. Un exemple frappant est la couverture de l’attaque iranienne sur l’hôpital Soroka à Beersheba, présentée comme une agression délibérée par les médias israéliens et relayée sans nuance par certains médias français. Si l’Iran a affirmé que ses frappes visaient des cibles militaires à proximité, avec des « dommages superficiels » à l’hôpital, les chaînes françaises comme BFM-TV ont privilégié la version israélienne, sans interroger les allégations contradictoires, renforçant l’idée d’un Iran menaçant et irresponsable. Quand l’armée israélienne bombarde un hôpital ou une école, on se contente en général de préciser qu’elle déclare avoir visé des terroristes avant de passer à autre chose.

Ce déséquilibre, on le retrouve avec le décompte (sordide) des morts : les pertes israéliennes (moins de trente morts) sont dramatisées, alors que les victimes iraniennes (plus de mille morts) sont minimisées.

Le point culminant de cette mythologie médiatique restera la sortie de Robert Ménard sur LCI : lorsque David Pujadas évoque «  les principes du droit international », Ménard hurle : « Le droit international, je m’en contrebalance ! »


***


Deux semaines après le début des hostilités, Donald Trump a sonné la fin de la récréation... au grand désarroi des va-t’en guerre médiatiques. Ainsi Bernard-Henri Lévy s’agace : « Eh bien, il y a trois jours, j’avais dit merci au président Trump pour les frappes américaines sur les sites nucléaires iraniens. [...] Mais aujourd’hui, je lui dis : de quoi je me mêle ? Qui est-il pour ordonner un cessez-le-feu à Israël et à l’Iran ? » (CNews/Europe 1, 24/06) Et pour Luc Ferry, il faut poursuivre : « C’est le pire régime qui tombe depuis la chute du nazisme et du communisme. [...] Parler de désescalade est totalement ridicule. Il ne faut surtout pas désescalader. Il ne faut pas rester au milieu du gué. » (LCI, 22/06)

En défendant sans recul le « droit d’Israël à se défendre », les médias français participent à une mythologie médiatique qui simplifie un conflit complexe, diabolise l’Iran et marginalise les voix critiques. Cette couverture, marquée par une complaisance envers les éléments de langage israéliens, trahit, encore une fois, les principes du journalisme.


Mathias Reymond

 
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