Du côté des journalistes, des éditocrates et de leurs œuvres
- Gilets jaunes : un raout pour rien au CSA – Qu’on se rassure : le CSA « n’a relevé aucun problème majeur » dans la couverture médiatique de la mobilisation sociale des gilets jaunes par la presse audiovisuelle. Pour autant, « le CSA a invité tous les patrons des chaînes d’information à se rendre au siège du régulateur, dans la journée de jeudi 10 décembre » afin de mener « une réflexion collective » selon Le Figaro. L’objectif : « mieux comprendre à la fois leurs difficultés de traiter du sujet des gilets jaunes, des angles éditoriaux qu’ils ont pris et le tri dans les images diffusées. » Une réunion dont on peut être à peu près certain qu’il n’en sortira rien puisque, toujours selon Le Figaro, le CSA avait déjà, le 7 décembre, mis « en garde contre toute diffusion complaisante, déséquilibrée ou insuffisamment vérifiée d’images et de commentaires qui attiseraient les antagonismes et les oppositions. » Trois semaines plus tard, Jean-Michel Aphatie publiait une fausse nouvelle, reprise ensuite par de nombreux médias (cf. ci-dessous)… Quant à la mise en garde contre les « diffusions complaisantes » ou « déséquilibrées », le CSA n’a manifestement rien trouvé à redire au matraquage médiatique contre les gilets jaunes, pas plus qu’il n’a reproché le silence médiatique sur les violences policières...
- Gilets jaunes : la ligne BFM-TV critiquée en interne – D’après un document diffusé par Arrêt sur images, de nombreux journalistes de la chaîne d’information en continu BFM-TV sont en désaccord avec leur direction sur le traitement du mouvement des gilets jaunes. Lors d’une assemblée générale exceptionnelle, les journalistes y ont protesté contre « la disproportion entre le reportage, le travail de terrain et le blabla en plateau, avec des éditorialistes politiques qui déblatèrent à longueur d’antenne ». La course à l’audience, et les conditions de travail dans les manifestations ont aussi été vertement critiquées. Attaquée de toute part, la direction de la chaîne d’information se retranche derrière un argument très subtil : « Malgré la grande diversité de sources d’informations en France aujourd’hui, nous restons de loin la chaîne la plus regardée dans ce genre de cas, ce qui est une marque de confiance ». En somme, tant que l’audience (et les profits publicitaires) sont au rendez-vous, il n’y a pas lieu de s’inquiéter.
- Les agressions de journalistes davantage médiatisées lorsqu’elles sont le fait de manifestants que lorsqu’elles sont commises par des policiers – Depuis le début des manifestations des gilets jaunes, plusieurs journalistes ont été agressés, tant par la police que par les manifestants (quoique à un degré bien moindre et bien moins grave par ces derniers). Pourtant, les agressions de la police sont beaucoup moins visibles dans les médias dominants. À titre d’exemple, le site Arrêt sur images a comparé deux agressions contre des journalistes : celle qu’a subie Eric Dessons, un photographe frappé par la police le 8 décembre dernier à Paris, et l’attaque d’une équipe de LCI par des manifestants à Rouen le 11 janvier. Après avoir comparé la couverture médiatique de ces deux agressions de journalistes, Arrêt sur images conclut qu’« entre une main cassée à coups de matraque par un policier pour empêcher de photographier et un nez fracturé à coups de pieds par des manifestants pour empêcher de filmer, la différence de couverture, tant en nombre qu’en longueur d’articles, est... frappante. » Une différence en faveur des agressions policières, lesquelles sont manifestement plus acceptables, aux yeux des médias dominants, que les agressions des manifestants.
Dans un autre registre, c’est un journaliste de l’hebdomadaire de gauche Politis qui a fait les frais des méthodes étonnantes de la préfecture de police. Bousculé par des manifestants d’extrême droite au cours de leur « Marche en l’honneur de Sainte Geneviève », qu’il couvrait pour son journal, un journaliste stagiaire de Politis a été expulsé… par des policiers ! Politis raconte : « Un homme affirmant être de la préfecture de police s’immisce et demande à contrôler l’identité… de notre journaliste. Sans motif, au mépris du droit. Notre reporter s’y oppose, avant d’être mené à l’écart par un autre policier. “Ça va mal finir pour vous. On ne va pas assurer votre sécurité. Vous feriez mieux de partir.” Pointé par un laser le désignant comme cible, notre journaliste est alors encadré, pendant une quinzaine de minutes, par quelques sbires du “service d’ordre professionnel en lien avec la préfecture de police”, pour reprendre les mots du mail d’invitation des organisateurs. »
- Jean-Michel Aphatie à l’origine d’une « fausse nouvelle » – Nous l’avions écrit dans notre actualité des médias de septembre 2018 : les médias dominants, devenus grands chasseurs de « fausses nouvelles », en publient eux aussi. À l’époque, certains de ces médias avaient annoncé la mort du cinéaste Costa-Gavras en se basant sur un tweet... Une erreur qui n’a pas servi de leçon à Jean-Michel Aphatie. En janvier 2019, l’éditocrate a cru bon d’affirmer qu’Éric Drouet, une des figures du mouvement des gilets jaunes, avait voté FN lors de la dernière élection présidentielle. Problème : selon des propos rapportés par L’Express, M. Drouet a publiquement démenti l’information ; laissant Jean-Michel Aphatie fort contrit.
Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires
- Grande manœuvres au sein du groupe Le Monde – En octobre dernier, le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky a racheté au millionnaire Matthieu Pigasse 49 % des parts de sa holding Le Nouveau Monde, qui contrôle avec Xavier Niel le Groupe Le Monde [2], holding qu’il partageait avec Xavier Niel. Face à l’inquiétude des journalistes du groupe, Matthieu Pigasse avait alors réaffirmé qu’il ne céderait pas sa part majoritaire à Daniel Kretinsky afin de garder le co-contrôle sur la holding. Depuis, Etienne Barbier, conseiller du milliardaire tchèque, est devenu administrateur de la société Le Nouveau Monde… Le Canard enchaîné du 16 janvier dresse un portrait peu flatteur du nouvel administrateur, qui a déjà travaillé dans le milieu de la presse : « Au Point, (1990-1993), notamment, de jeunes confrères de l’époque ont retenu les deux fortes pensées qu’il avait coutume d’exposer. La première : “Journaliste c’est un métier de con, tu mènes une vie de cadre sup, alors que tu as un salaire d’ouvrier spécialisé.” La deuxième : “Il y a deux catégories de journalistes : les lèches-cul et les fouille-merde. Choisis ton camp !” » De quoi rassurer les salariés du Groupe Le Monde : il est entre de bonnes mains.
- Denis Olivennes à la tête des médias de Daniel Kretinsky – Autre grande manœuvre, l’embauche de l’ancien directeur des activités médias du Groupe Lagardère Denis Olivennes à la tête des médias de Daniel Kretinsky. Parti en très mauvais termes avec son ancien groupe suite aux résultats d’audience calamiteux d’Europe 1 [3], cette nomination fait grincer des dents : après avoir vendu à la découpe la branche magazine de Lagardère au groupe du milliardaire tchèque, Denis Olivennes se retrouve à la tête des médias qu’il a lui-même vendus ! Parmi les magazines vendus, une prise en particulier donne des idées à Olivennes. D’après Le Canard enchaîné du 30 janvier, le nouveau patron des médias de Kretinsky espère obtenir près de deux millions d’euros du gouvernement grâce au magazine féminin Elle. Pour y parvenir, Olivennes « a entrepris de faire le siège des gouvernants. Il s’agit de les convaincre d’accepter le classement de Elle comme “journal d’information politique et générale”. Une décision qui déclencherait l’aide de l’Etat pour ses dépenses postales. »
- L’Humanité en cessation de paiement – Le quotidien de gauche communiste est à nouveau en manque d’argent. « Le quotidien de la gauche antilibérale est au bord de l’asphyxie financière » relate La Croix. Alors que, dans une lettre envoyée aux directeurs et directrices de journaux français fin décembre 2018, le directeur de l’Humanité a indiqué que le journal a reçu près d’un million d’euros de dons, La Croix relève l’ampleur du chemin qu’il reste à parcourir : « le journal aurait besoin de trois millions d’euros avant la mi-février. ». Le quotidien a alors « lancé un appel à l’aide plus général “aux mondes de la culture, de l’économie, aux élus et parlementaires” ». Le couperet est finalement tombé fin janvier : d’après Marianne, « Le journal de Jaurès a déposé une déclaration de cessation de paiement devant le Tribunal de commerce, qui doit décider [dans les semaines à venir]le 30 janvier d’un éventuel redressement judiciaire du journal. »
- Mediapart condamné suite à une plainte de Vincent Bolloré – La passion de Vincent Bolloré pour les poursuites-baillons ne se dément pas. Dans la plupart des cas, l’oligarque des médias Vincent Bolloré perd les procès qu’il intente à la presse. Le 8 janvier dernier, Mediapart a malgré tout été condamné pour diffamation contre Vincent Bolloré en raison d’un article de Fanny Pigeaud intitulé « Comment le groupe Bolloré a ruiné deux entrepreneurs camerounais ». Selon Le Monde, « le tribunal correctionnel de Nanterre a condamné cette spécialiste de l’Afrique à une amende de 1 500 euros avec sursis. Le journaliste Edwy Plenel, poursuivi en tant que directeur de la publication, se voit infliger une amende de 1 500 euros ferme. Le tribunal a également condamné les deux prévenus à verser solidairement 2 000 euros à chaque partie civile – Vincent Bolloré et deux de ses entreprises, Bolloré SA et SAS Bolloré Africa Logistics – en dédommagement du préjudice d’image subi. Mediapart devra en outre supprimer de son site les passages de l’article incriminés, sous peine d’astreinte. »
- Pas de « Maison des médias libres » à Paris – En mai dernier, nous évoquions le projet de « Maison des médias libres » porté par le millionnaire Olivier Legrain. Ce projet, qui visait à installer et mutualiser les locaux d’une soixantaine de médias indépendants dans l’ancien poste électrique du XIe arrondissement, a été officiellement rejeté mi-décembre par le jury de la ville de Paris. Dans une tribune, le collectif des médias concernés fait part de sa déception. D’après Libération, c’est une proposition de studios d’enregistrement de musique qui a été préférée par la ville de Paris.
- Matignon réfléchirait à une mise à mort de Presstalis – Suite de l’interminable feuilleton sur les difficultés financières du distributeur Presstalis. Dans notre actualité des médias de cet été, nous pointions la volonté supposée du gouvernement de libéraliser ce secteur, dont la gestion publique est un acquis de la Libération, et nous nous inquiétions du résultat prévisible : « In fine, ce serait alors les sociétés privées qui rafleraient la mise, avec la perspective que la concurrence et le profit priment désormais sur la pluralité des titres distribués en kiosque… » D’après un long article d’Emmanuel Schwartzenberg, ces craintes semblent se matérialiser : le Premier ministre Edouard Philippe « vient de valider un plan visant à confier la distribution des journaux français à Hopps Group un groupe spécialisé dans la distribution d’imprimés et journaux publicitaires. Autrement dit à une société low cost qui doit s’affranchir de la loi mise en place à la Libération pour prendre ce marché. » Pour Schwartzenberg, cette décision permettrait au gouvernement de faire porter le chapeau de la mort de Presstalis à la loi du marché plutôt qu’à ses propres politiques. La disparition de Presstalis, malgré ses dysfonctionnements évidents, porterait un coup de plus au pluralisme déjà anémié de la presse écrite française [4].
- Explicite s’arrête – Le site web d’information et de reportage Explicite ne passera pas l’hiver. Dans un communiqué son directeur de la publication Olivier Ravanello [5] a annoncé fin janvier l’arrêt du site courant février : « il faut se rendre à l’évidence : nous n’arriverons pas à trouver les nouveaux investisseurs qui nous auraient permis de franchir la dernière étape et d’installer durablement Explicite dans le paysage médiatique. » Fondé par des anciens salariés d’i-Télé partis lors de la longue grève d’automne 2016 [6], Explicite aura tenu un peu moins d’un an.
- Les télés de Lagardère vendues à M6 – La vente à la découpe des médias du groupe Lagardère continue, cette fois avec la vente de toutes ses activités télévisuelles au Groupe M6. D’après Le Figaro, « Le groupe M6 dirigé par Nicolas de Tavernost aurait déboursé environ 200 millions d’euros afin, entre autres, de mettre la main sur la chaîne TNT Gulli et celles payantes Canal J et Tiji, ainsi que les services de vidéo à la demande Gulli Replay et Gulli Max. » La concentration des chaînes de télé entre les mains de quelques groupe se poursuit donc. Parce qu’il n’y a pas d’âge pour la vente du « temps de cerveau disponible », M6 rafle au passage, grâce à la chaîne Gulli, « 40 % du marché publicitaire » sur le public des 4 à 10 ans.
Jérémie Fabre, et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérentes et adhérents d’Acrimed