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Actualité des médias n°20 (octobre 2018)

par Benjamin Lagues, Jérémie Fabre,

Avec cet article, nous poursuivons notre série d’information mensuelle sur l’actualité des médias [1].

I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres

- Grève au Parisien - Aujourd’hui en France – Une grève de vingt-quatre heures a été votée début octobre par le personnel du quotidien Le Parisien - Aujourd’hui en France. D’après Le Monde, «  les salariés réclament notamment de connaître la feuille de route pour l’ensemble du groupe Les Echos-Le Parisien, le pourvoi des postes non remplacés ou pourvus par des CDD, tout comme celui des arrêts maladie de moins d’une semaine. » Acrimed soutient bien sûr la « grogne » (pour parler comme un éditorialiste du Parisien) des salariés du groupe de presse de la première fortune de France, Bernard Arnault.

- Vers un conseil de déontologie des médias ? – L’ex ministre de la Culture Françoise Nyssen, quand elle était encore en poste, a confié d’après LCI une mission de réflexion à Emmanuel Hoog, président-directeur général de l’Agence France-Presse de 2010 à 2018. Le but de cette mission : réfléchir à la mise en place d’une « instance qui jouera les médiateurs entre le public et les médias. » Une affaire à suivre, qui permet de rappeler la position d’Acrimed sur l’idée de la création d’un « Conseil de la presse ».

- Patrick Sébastien viré de France 2 – France Télévisions l’a annoncé mi-octobre : l’animateur et producteur de l’émission « Le plus grand cabaret du monde » et des soirées du nouvel an de France 2 n’a pas été reconduit pour une saison supplémentaire. D’après Ozap.com, Patrick Sébastien réclamait depuis des mois des émissions supplémentaires, tout en ne se privant pas de critiquer la gestion de la télévision publique. D’après l’animateur, c’est sa femme qui aurait été prévenue par téléphone : « Je n’ai vu personne, pas un coup de téléphone. On a appelé ma femme pour lui dire : “Vous lui direz que c’est fini”. C’était violent. » Ce limogeage est le dernier d’une impressionnante série depuis l’arrivée de Delphine Ernotte à la tête de France Télévisions : « Si Michel Drucker fait de la résistance, le groupe s’est séparé ces dernières années de David Pujadas et de Julien Lepers. Tex a été viré suite à une blague sexiste, William Leymergie a rejoint C8 tandis que Georges Pernoud est parti en retraite, tout comme Gérard Holtz, Daniel Lauclair, Henri Sannier, Lionel Chamoulaud et Daniel Bilalian. En décembre prochain, Catherine Ceylac, animatrice emblématique de "Thé ou Café" fera, elle, ses adieux aux téléspectateurs de France 2. »

- L’ambassade d’Israël en France a tenté d’obtenir la censure d’un reportage – Un reportage de l’émission « Envoyé spécial » (France 2) traitant des Palestiniens victimes de tirs israéliens a donné lieu à un activisme scandaleux de l’ambassade d’Israël en France. D’après Télérama, « évoquant un reportage “déséquilibré” présentant Israël de manière “très négative”, l’ambassadrice en France a demandé à la présidente de France Télévisions d’annuler la diffusion ». France 2 a heureusement décidé de passer outre et de diffuser le sujet. Les syndicats SNJ, SNJ-CGT et CFDT ont vivement réagi dans un communiqué commun : « Cette volonté d’imposer la censure contre un média en France est une ingérence grossière inadmissible d’autant qu’elle est contraire à la liberté d’expression et au pluralisme d’opinions contenus dans la Charte du Conseil de l’Europe. L’ambassadrice devrait en revanche exiger de son gouvernement qu’il respecte les droits des journalistes palestiniens à circuler librement et à pouvoir faire leur métier au lieu d’être victimes de la répression des services de sécurité : en témoignent les arrestations, les détentions, les bris de matériels. Mais aussi nos collègues tués ou blessés à Gaza dans la couverture des manifestations. »

- Une journaliste suivie par la police pour arrêter Redoine Faïd – Marie Peyraube, journaliste à BFMTV, a été suivie par la police qui la croyait susceptible d’obtenir une interview avec le fugitif Redoine Faïd. D’après l’Association de la presse judiciaire, citée par L’Obs, « un journaliste ne peut en aucun cas servir de “poisson-pilote” aux magistrats et aux policiers en charge d’une enquête judiciaire, car cela constituerait une violation de la loi sur la protection du secret des sources des journalistes. » La direction de BFMTV a demandé des explications à la Direction générale de la police nationale (DGPN) qui n’a pas fait de commentaire pour l’instant.

- La presse éloignée de l’Elysée, où elle travaillait jusqu’à présent – Les journalistes chargés de suivre l’Elysée déménagent… de force. Jusqu’ici, ceux-ci travaillaient dans une salle au sein même de l’Elysée. Dorénavant, ils travailleront à l’extérieur du lieu de résidence du président de la République. Le Monde rappelle pourtant l’importance de ce lieu de travail pour les journalistes : « C’est Valéry Giscard d’Estaing qui avait ouvert un espace pour les journalistes à l’intérieur du palais et François Mitterrand qui, en 1984, l’avait transféré à son emplacement actuel, sur la cour d’honneur, dans un souci de transparence. » D’où le mécontentement de l’Association de la presse présidentielle, qui a affirmé que cette décision « ne saurait être considérée autrement que comme un verrouillage de l’Elysée et une décision attentatoire à la liberté d’informer et de travailler des journalistes. »

- Le quotidien Corse-Matin aurait censuré des articles sur un gang criminel – Seul quotidien de l’île, Corse-Matin a publié deux articles consacrés à des tentatives d’assassinat récentes en omettant de nommer le gang local du « Petit Bar » (pourtant principal suspect dans cette affaire). D’après Le Parisien, « ces interventions auraient eu lieu à l’insu du rédacteur, ce que conteste la direction, qui évoque un accord préalable. Quoi qu’il en soit, le 24 octobre, cette journaliste expérimentée adressait un courriel de protestation à l’ensemble de la rédaction. » Coïncidence, le nouvel actionnaire principal du quotidien, Antony Perrino, fait actuellement l’objet d’une enquête du parquet d’Ajaccio sur ses liens avec… plusieurs membres du gang du « Petit Bar » ! Toujours d’après Le Parisien, « les employés de Corse-Matin ont recensé une demi-douzaine d’articles annulés, dans d’autres secteurs, comme la politique ou l’économie. Dans ce contexte, des cadres expérimentés ont fait part de leur intention de quitter le journal.  » Un constat réfuté par la direction du journal.

- Bio et cancer : maltraitance médiatique – Maltraitance médiatique, Xème épisode. En octobre, les consommateurs ont appris que « manger bio réduit bien le risque de cancer » (titre du journal Le Point). Se basant sur une étude scientifique de l’INRA, l’INSERM, La Sorbonne et l’Université Paris 13, de très nombreux journaux ont repris cet angle. Pourtant, écrit Arrêt sur images, «  les deux chercheuses, Julie Guyot et Emmanuelle Kesse-Guyot, co-autrices de cette étude (Inra, Inserm, La Sorbonne, Université Paris 13), sont elles-mêmes nuancées et émettent quelques réserves sur les conclusions de leur enquête. » Quelques jours après le traitement médiatique de cette étude, une des deux autrices, Emmanuelle Kesse-Guyot, «  s’est dite "outrée" sur France Culture, par le traitement médiatique de cette enquête." Ça a été présenté par les médias comme si on apportait une preuve, s’indigne-t-elle. On n’apporte pas une preuve, on apporte des premiers éléments de relation, d’association avec un travail qu’on a essayé de mener le plus rigoureusement possible justement en prenant les fameuses caractéristiques des consommateurs et des non-consommateurs. Mais on reste dans une étude d’observation, donc pas [une étude] de lien de cause à effet.”  »

II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires

- Accord européen pour réduire la TVA sur les publications numériques – Toute la presse européenne pourra désormais appliquer « des taux de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) réduits, très réduits ou même nuls  » a annoncé Le Monde. Une décision anticipée par la France puisque comme le rappelle le quotidien du soir, «  en 2014, la France avait déjà décidé de ramener le taux de TVA sur la presse en ligne à 2,1 %, au lieu de 20 %, comme pour la presse imprimée, afin de soutenir un modèle économique encore fragile. »

- Altice rachète la chaîne locale TLM pour créer BFM Lyon – Altice, la société du milliardaire Patrick Drahi, propriétaire du groupe BFMTV, a racheté début octobre la chaîne locale Télé Lyon Métropole, selon des informations de BFMTV. La chaîne sera rebaptisée BFM Lyon, sur le même modèle que la chaîne BFM Paris, lancée en novembre 2016. Aucune information n’a pour l’instant filtré sur les garanties d’emploi, mais il est acté que les studios resteront à Lyon. D’après Challenges, la chaîne est désormais en attente de l’agrément du CSA.

- Départ de Jacques Cotta du Média – Un désaccord éditorial et de méthode a poussé Jacques Cotta à démissionner de la web-télé Le Média. Le journaliste explique sur son blog qu’il « quitte le Media pour des raisons de fond qui touchent à la fois aux méthodes qui y ont cours, au contenu éditorial dont je ne peux accepter l’inflexion, à la conception de ce que doit être un réel média alternatif et l’exercice de notre profession. » En cause : une proposition de sujet sur l’Italie, pour « comprendre la nouvelle situation politique italienne marquée par la constitution du gouvernement Lega-M5S, la présence de personnages peu fréquentables à la tête de l’État et par l’affrontement engagé avec l’UE. » D’après Jacques Cotta, cette proposition a été refusée sans qu’une discussion soit possible : « Pour réponse j’ai reçu un mail m’indiquant une fin de non recevoir sans même un échange direct, sans une proposition de rencontre, sans un coup de téléphone pour argumenter, permettre de convaincre.  » Aude Lancelin, à la tête du Média depuis le mois de juillet, aurait argué que « la réhabilitation de l’Italie de Salvini dans un de nos programmes (…) ne passerait pas inaperçue, et mettrait le Média en danger  » et que « Le Média ne sera jamais le lieu pour amorcer l’union du souverainisme de gauche et du populisme de droite. »

- Le Conseil d’État annule une décision du CSA visant Zemmour – Le 14 juin 2017, RTL avait été mise en demeure par le CSA en raison d’un « éloge de la discrimination » par Éric Zemmour. Celui-ci y était alors chroniqueur régulier. Le 15 octobre 2018, le Conseil d’État a annulé cette décision. Éric Zemmour est pourtant coutumier du fait partout où il passe. Il a notamment réitéré l’exploit dans l’émission « Les Terriens du dimanche » du 16 septembre 2018, en affirmant que le prénom de Hapsatou Sy était une «  insulte à la France »...

- Le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky entre dans le Groupe Le Monde – Après avoir mis la main sur de nombreux magazines français tels que Elle et Marianne [2], le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky s’intéresse aujourd’hui au Monde. Le « quotidien de référence » est détenu par la société Le Monde libre, propriété conjointe du patron de Free Xavier Niel et du banquier Matthieu Pigasse. Ce dernier a annoncé fin octobre avoir cédé 49 % des parts de sa holding à Daniel Kretinsky. Dans un communiqué, la société des rédacteurs du Monde a annoncé être « surprise de cette modification de l’actionnariat (...) et de son annonce brutale.  » Si l’équilibre des pouvoir au sein des actionnaires du Groupe Le Monde n’est pas modifié (avec 51 % des parts de sa holding, Matthieu Pigasse garde la main sur les décisions), il n’est pas dit que Daniel Kretinsky s’arrête en si bonne voie. D’après Libération, Matthieu Pigasse aurait en effet négocié la vente de la totalité de ses parts, avant d’en être dissuadé par des proches. Pour Mediapart, « d’un seul coup, les rédactions du groupe Le Monde sont face à la plus brutale des réalités : leur indépendance qu’elles pensaient avoir sauvegardée est, en réalité, en grave danger, menacée par des tractations financières opaques menées par des puissances d’argent dont la liberté de la presse est le cadet des soucis. Non seulement la rédaction du Monde a perdu au début de 2017 sa minorité de blocage, mais par surcroît elle risque de se retrouver bientôt face à un nouvel actionnaire dont elle ignore tout, et qui, dans l’immédiat, ne joue peut-être pas cartes sur table. » Signe que l’indépendance de la rédaction du Monde est un sujet sensible, le président de la République Emmanuel Macron a déclaré que « s’il y avait quelque intrusion de l’actionnaire en la matière, nous serions amenés à réagir ».

- Canal+ condamné pour diffusion d’un publi-reportage sur le Togo – Vincent Bolloré a encore frappé. En décembre 2017, un reportage promotionnel sur le Togo est diffusé sur Canal+ sans qu’aucun avertissement de cette publicité soit transmis aux téléspectateurs, qui peuvent penser à un reportage journalistique. La raison ? Un numéro de l’émission L’Effet papillon consacré aux importantes manifestations contre une énième candidature du président Faure Gnassingbé aurait fortement déplu au clan au pouvoir. Vincent Bolloré a manifestement voulu faire bon effet auprès de ces dirigeants, avec qui il entretient des liens d’affaires. Résultat : une condamnation du CSA... à lire un « communiqué [...] par un présentateur en plateau une fois, hors week-end , dans les programmes en clair du service Canal+, dans les huit jours. » Vincent Bolloré est KO debout...

Jérémie Fabre et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérent.es d’Acrimed

 
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