I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres
- Le mode d’attribution des cartes de presse en question – Même sans carte de presse, les journalistes sont... journalistes. Dans une lettre ouverte à la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels, signée par des dizaines de journalistes, le documentariste Stéphane Bentura critique les modalités d’attribution de la carte de presse. Un obstacle qui complique le travail de beaucoup de journalistes indépendants : « des centaines de journalistes indépendants, reporters, réalisateurs, photographes sont empêchés dans leur travail à cause des conditions draconiennes de renouvellement d’un document indispensable à l’exercice de leur métier, la carte de presse. » Les signataires de cette lettre ouverte souhaitent « que la Commission de la carte s’ouvre à nos réalités professionnelles de journalistes indépendants, réalisateurs, photographes, pigistes de toute sorte. » Dans une tribune publiée dans Libération, Olivier Da Lage, ancien président de la Commission de la carte des journalistes professionnels, répond à ces critiques. Il y affirme que « la baisse du nombre de cartes attribuées est directement liée à la fermeture de journaux, à la précarisation des journalistes et à la baisse des rémunérations » et que « ce qui est en réalité en cause est le comportement de certains éditeurs de presse qui, d’une part, ne paient pas les piges aux reporters-photographes, au juste montant que leur travail mérite, mais de surcroît, contournent les lois. »
- Crise à la direction de Valeurs actuelles – Le directeur général du groupe Valmonde (qui édite entre autres l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles) Yves de Kerdrel a annoncé fin mai qu’il quittait ses fonctions. Pour Mediapart, ce départ de l’homme qui a pourtant largement redressé la diffusion et les comptes du journal est le résultat d’un conflit d’autorité avec des « actionnaires interventionnistes » tels que Charles Villeneuve et Étienne Mougeotte. La gravité du conflit pourrait donner lieu à « une grande première au sein de l’hebdomadaire de la droite catholique et conservatrice : les journalistes prépareraient la création d’une société des rédacteurs, afin de défendre leur indépendance. » D’après CBNews, Yves de Kerdrel sera remplacé par Erik Monjalous, ancien directeur général du quotidien patronal L’Opinion.
- Suites de l’affaire du fichage des salariés de France Télévisions – Pendant l’été 2015, un scandale avait éclaté à France Télévisions suite à la découverte de pratiques de fichage généralisé des salariés, une pratique interdite par le code du travail. D’après Le Canard enchaîné du 2 mai, France Télévisions s’était alors empressé de faire « disparaître les fiches compromettantes », à l’exception de celles de France 3 Auvergne, faute de temps. Cinq salariés de la chaîne ont alors porté plainte. Si le procès s’ouvre enfin (une audience de conciliation à huis clos a eu lieu fin mai), Le Canard enchaîné relève leur triste sort : « Mis à la porte, au repos forcé ou au placard. Le rédacteur en chef ficheur de la station, en revanche, est toujours en poste et en forme. »
II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires
- Vincent Bolloré perd définitivement un procès en diffamation contre Bastamag – Dans un communiqué, le site Bastamag a annoncé qu’« après cinq ans de procédure (...), la Cour de cassation vient de désavouer totalement et définitivement le groupe Bolloré qui nous attaquait en diffamation. » Le groupe du milliardaire breton poursuivait Bastamag suite à la publication d’un article de 2012 sur l’accaparement des terres qu’il mènerait en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Bastamag n’en a cependant pas terminé avec les poursuites-bâillons : « Une seconde plainte en diffamation pour un article publié en octobre 2014 et intitulé “Accaparement de terres : le groupe Bolloré accepte de négocier avec les communautés locales” sera jugée à l’automne. »
- Changement de direction à Europe 1 et Radio France – Début mai, le numéro deux de Radio France Laurent Guimier a annoncé qu’il quittait la Maison de la radio pour la direction d’Europe 1. Candidat malheureux à la présidence de Radio France face à Sybile Veil, Laurent Guimier cherchait une porte de sortie depuis des semaines, d’après Le Canard enchaîné du 30 mai. La crise d’audience que subit Europe 1, et le limogeage soudain du patron de la station Frédéric Schlesinger par le propriétaire Arnaud Lagardère lui en a fourni l’occasion. Pour le remplacer à ce poste stratégique, la nouvelle présidente de Radio France Sibyle Veil a choisi une personnalité au parcours inquiétant : Guy Lagache. Ce journaliste de 52 ans, qui n’a jamais travaillé pour une radio, est en revanche passé par ce qui se fait de mieux en télévision privée : M6 et C8… Pire : d’après l’émission Quotidien, citée par Mediapart, Guy Lagache serait un expert des ménages [2] auprès d’entreprises privées ! Une nomination qui en interne ne semble pas faire l’unanimité, comme le rapporte Le Monde : « Pour décider de l’avenir de la radio, on met quelqu’un qui n’y connaît rien, s’inquiète le journaliste de France Inter. Le message, c’est “tout ce qui compte, c’est de répliquer le modèle France Info, qui s’appuie autant sur la télévision que sur la radio”. » Après la nomination de Catherine Nayl (TF1) au poste de directrice de l’information de France Inter en décembre dernier, l’arrivée de Guy Lagache à la direction de Radio France dessine une tendance consistant à confier les clés éditoriales et managériales du service public radiophonique à des recrues venues des médias privés les plus mercantiles – et de poursuivre ainsi la « normalisation » du groupe public…
- Les Jours ouvre son capital – D’après Le Canard enchaîné du 9 mai, le site Les Jours, régulièrement cité dans cette actualité des médias pour son travail sur le groupe Bolloré, a effectué une ouverture de son capital. Après une participation de 70 000 euros du milliardaire français Xavier Niel (co-propriétaire du Groupe Le Monde), deux nouveaux actionnaires ont mis la main au portefeuille : Renaud Le Van Kim (pour 100 000 euros) et Rodolphe Belmer (10 000 euros). Précision intéressante : ces deux nouveaux actionnaires font partie des salariés de longue date licenciés de Canal+ lors de la reprise en main du groupe par… Vincent Bolloré !
- Le Média introduit la publicité – Des publicités devraient être diffusées, à titre d’essai, sur la web-télévision Le Média. L’objectif : mieux financer la chaîne. Selon Arrêt sur images, les « socios » (les adhérents de la chaîne) n’ont pas été consultés sur le principe : ceux-ci « seront bien consulté·es sur les modalités de l’introduction de la publicité, [mais] ils n’auront en revanche rien à dire sur le principe même. » À l’issue de la période d’essai, fixée au 30 juin, un « contre-modèle » de distribution de publicités devrait être proposé par Le Média. L’enjeu : prioriser les entreprises « qui fabriquent en France, qui paient correctement leurs salariés, qui ne font pas de travail des enfants, qui respectent l’environnement » selon Sophia Chikirou, co-fondatrice de la web-télévision, citée par Arrêt sur images.
- Démission du PDG de La Provence – Le patron de La Provence Jean-Christophe Serfati a été contraint à la démission par le propriétaire du quotidien régional, Bernard Tapie. Le motif est original : Jean-Christophe Serfati aurait vendu via le journal de faux billets pour la finale d’une compétition de football. D’après Le Monde, « l’opération contrevenait au règlement de l’UEFA, qui stipule que seuls les sponsors de la Ligue Europa sont autorisés à gérer les billets des compétitions ou les opérations, ce qui n’est pas le cas de l’agence qui a fourni les billets à la régie publicitaire de La Provence. L’UEFA et La Provence devraient déposer plainte contre l’entité qui a vendu les places. “Bernard Tapie n’était pas au courant de l’opération”, précise une source au sein du journal. Franz-Olivier Giesbert, actuel directeur éditorial, assurera l’intérim à la tête du titre. »
- Le magazine Têtu finalement sauvé ? – Nous l’écrivions le mois dernier, Têtu, en liquidation judiciaire, annonçait l’arrêt de sa parution imprimée. Le magazine devrait pourtant être relancé puisqu’en mai, de nouveaux investisseurs se sont déclarés, selon Le Monde : « Le média iconique de la communauté gay en France a réussi à trouver une vingtaine de nouveaux actionnaires, principalement issus du secteur des nouvelles technologies et des médias. » D’après Arrêt sur images, l’investisseur à la tête du projet, Albin Serviant, est un macroniste convaincu. M. Serviant a en effet « rejoint Emmanuel Macron pendant la campagne présidentielle, dirigeant même le mouvement présidentiel, La République En Marche, au Royaume-Uni. »
- Nombreux départs volontaires dans deux journaux du groupe Ebra – Deux journaux du groupe Ebra (Crédit Mutuel) « vont être amputés de 47 postes, sur 300, d’ici au mois de juin 2019 » selon Le Monde. Raison invoquée par le groupe pour expliquer ce plan de départs : une « nouvelle stratégie, qui mise sur le développement de contenus payants sur Internet. »
- Le magazine Vraiment suspend sa parution – Après le placement en liquidation judiciaire de l’hebdomadaire Ebdo il y a deux mois [3], c’est le magazine Vraiment qui se retrouve en difficulté. Ce jeune magazine hebdomadaire généraliste, fondé par deux anciens conseillers du ministère de l’Économie sous Michel Sapin et Emmanuel Macron, a suspendu sa parution début mai après seulement huit numéros. D’après Le Monde, « le journal s’était lancé le 21 mars avec une rédaction de seize journalistes. Mais il n’a pas pu trouver sa place dans le paysage tourmenté des “news magazines”, bousculé par la chute des ressources publicitaires et la crise du principal distributeur de presse, Presstalis. La diffusion payée du premier numéro, au prix de vente de 4,50 euros, était de 18 000 exemplaires avant de tomber ensuite autour de 5 000, alors que le nombre d’abonnés s’élevait à un millier. Le point d’équilibre se trouvait à 40 000… » Plusieurs repreneurs, dont le Groupe Le Monde ont déposé une offre de reprise.
- Lobbying des patrons de chaînes contre le logo Nutri-Score – Le 10 mai, les patrons des principales chaînes de télévision (France Télévisions, TF1, M6, Canal+, NRJ, Lagardère…) ont adressé une lettre au Premier ministre Edouard Philippe pour s’indigner d’un amendement au projet de loi Agriculture et Alimentation déposé par un député de la majorité. Cet amendement propose de rendre obligatoire le logo Nutri-Score (censé guider les consommateurs vers des produits plus sains) dans les publicités diffusée à la télévision. La raison de ce lobbying inédit des patrons de télévision ? La défense de leurs rentrées publicitaires. D’après eux, « l’alimentation constitue le premier investisseur publicitaire en télévision, avec plus de 20 % du marché, soit plus de 650 millions d’euros net par an. » Et, d’après Arrêt sur images, les patrons de chaînes, usant du sempiternel chantage à l’emploi, ont évoqué un risque de voir disparaître 130 000 postes dans la production audiovisuelle, qu’elles financent. D’après Le Canard enchaîné du 30 mai, cet intense lobbying semble avoir porté ses fruits puisque l’amendement a été rejeté par l’Assemblée nationale, à la demande du Premier ministre, du ministre de l’Agriculture Stéphane Travert et du chef de la majorité présidentielle Richard Ferrand.
- Un millionnaire prêt à financer une « Maison des médias libres » – À Paris, il existera peut-être une « Maison des médias libres ». Le millionnaire Olivier Legrain apporte en effet son soutien financier au projet porté depuis trois ans par différents médias alternatifs. Concrètement, l’enjeu est de « faire cohabiter d’ici 2021 ou 2022 l’ensemble de ces rédactions [Mediapart, Arrêt sur images, Alternatives économiques, Politis, Basta !, Esprit, Reporterre et d’autres], dans l’espoir que la proximité leur soit bénéfique, financièrement et journalistiquement. En emménageant ensemble, elles pourraient mutualiser certains coûts (studios d’enregistrement, frais courants, cantine…) et s’associer pour monter des coups éditoriaux (enquêtes collaboratives, grands reportages…) » selon Libération. Proposé dans le cadre du concours proposé par la Mairie de Paris « Réinventer Paris », le projet se verra attribuer un accord ou un refus à la fin de l’année.
- « Fausses informations » : le CSA futur régulateur des contenus en ligne ? – La proposition de loi contre les « fausses informations » a été examinée par la Commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Les députés ont précisé leur définition de la fausse information… pour l’élargir : « La proposition de loi définit une fausse information comme “toute allégation ou imputation d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable” » selon Mediapart. Le journal en ligne ajoute que « cette définition est en réalité beaucoup plus large que celle de “fausse nouvelle”. Mais, pour répondre aux inquiétudes du Conseil d’État, les députés ont ajouté une nouvelle condition à l’ouverture d’une procédure pour référé. En plus d’être “de nature à altérer la sincérité du scrutin” et d’avoir été diffusée “de manière artificielle ou automatisée et de manière massive”, la “fausse information” doit désormais l’avoir été “de mauvaise foi” ». Par ailleurs, le CSA pourrait avoir « pour la première fois un pouvoir de contrôle sur l’Internet. « “Le Conseil supérieur de l’audiovisuel contribue à la lutte contre la diffusion de fausses informations”, affirme dans son premier alinéa le nouvel article 9. Les plateformes auront l’obligation de mettre en place des mesures de signalement et de lutte contre les fausses nouvelles. Le CSA sera chargé de surveiller la mise en place de ces mesures et pourra, le cas échéant, formuler des recommandations. » Le texte sera prochainement discuté en séance à l’Assemblée nationale.
- Restriction de la liberté de la presse en vue avec la loi sur le secret des affaires – Transposition dans le droit français d’une directive européenne, la proposition de loi sur le secret des affaires est en discussion, en commission mixte paritaire, depuis le 24 mai. Si le texte est adopté, la presse subira une restriction de liberté majeure : « Dès l’article 1er, on comprend en effet que la définition du secret des affaires est tellement vaste qu’elle est en fait laissée à l’appréciation des entreprises » note par exemple Mediapart. Plusieurs associations et collectifs de journalistes se sont opposés à ce texte de loi. De notre côté, nous affirmions, le 31 mai dernier, que cette proposition de loi « s’inscrit en effet dans une tendance durable de la part des détenteurs du pouvoir économique à mobiliser les ressources du droit pour dissuader les enquêtes portant sur la façon dont ils mènent leurs affaires et soustraire ainsi à l’attention du public des informations d’intérêt général. » Au final, disions-nous, « cette loi agira probablement comme un poison plus ou moins lent selon la solidité financière du média attaqué et la position dans l’espace médiatique des médias et journalistes concernés et sera une arme au service des intérêts privés contre l’intérêt général. »
- Vers l’effondrement des radios associatives – Il y a (un tout petit peu) plus de radios associatives aujourd’hui mais elles ont plus de mal à survivre, sans parler de leur développement. C’est le constat dressé par le 24e congrès annuel de la Confédération Nationale des Radios Associatives. Ainsi, comme le note La Lettre Pro, les radios associatives font face à « un FSER [fond de soutien à l’expression radiophonique] moribond qui semble devenir d’une année sur l’autre une véritable usine à gaz, des emplois aidés moins aidés pour des statuts souvent précaires, des soutiens financiers des collectivités qu’il faut âprement négocier… »
- Décès du milliardaire Serge Dassault – La 4e fortune de France et propriétaire du Groupe Le Figaro est décédé fin mai. Nous reviendrons prochainement sur le concert médiatique de louanges qui a suivi (tout particulièrement au Figaro…) envers ce marchand d’armes condamné pour corruption et en procès depuis des années pour achat de votes et blanchiment d’argent. L’interventionnisme de Serge Dassault dans ses journaux était un secret de polichinelle, qu’Acrimed a régulièrement pointé et dénoncé [4]. Pour Arrêt sur images, « le traitement "pravdaesque" par Le Figaro de tout ce qui concernait son actionnaire (et ses produits aéronautiques, et leur clientèle supposée, etc), est l’exemple le plus caricatural (...) de l’asservissement des médias français par les milliardaires qui les possèdent. »
- XXI et 6 Mois rachetés par Le Seuil et La Revue Dessinée – En mars dernier, nous évoquions l’abandon du magazine Ebdo par Rollin publication, en cessation de paiement. D’après Le Monde, dont le groupe était en lice pour la reprise des magazines, c’est l’association de l’éditeur Le Seuil et de La Revue dessinée qui a emporté l’adhésion des salariés et du tribunal de commerce de Paris. D’après les représentants des salariés, les conséquences humaines seront cependant lourdes : « Cette décision signifie également le licenciement de quarante-huit personnes. L’échec d’Ebdo devient très concret pour tous ces salariés. Certains travaillaient pour XXI ou 6 Mois et subissent les conséquences d’un projet qui ne les concernait pas, d’autres ont cru dans le projet Ebdo jusqu’à quitter des postes stables pour le rejoindre et se retrouvent aujourd’hui sans emploi (...) Nous déplorons à ce titre que les actionnaires de Rollin Publications, tout comme les repreneurs, aient refusé d’abonder au plan de sauvegarde pour l’emploi »
Jérémie Fabre, et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérent.es d’Acrimed