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Actualité des médias n°18 (juillet/août 2018)

par Benjamin Lagues, Jérémie Fabre,

Avec cet article, nous poursuivons notre série d’information mensuelle sur l’actualité des médias [1]

I. Du côté des journalistes, des médiacrates et de leurs œuvres

- Pierre Haski remplace Bernard Guetta à France Inter – Après avoir sévi pendant 27 ans sur France Inter, le « spécialiste en géopolitique » et en pédagogie libérale et européiste Bernard Guetta [2] a quitté ses fonctions cet été. Il est remplacé par l’ancien journaliste de Libération et de Rue89, actuel président de l’ONG Reporters sans frontières Pierre Haski, dont il est permis d’attendre des chroniques un peu plus équilibrées.

- Frédéric Taddeï s’installe à RT France – Après avoir été écarté sans ménagement de ses émissions « D’art dart » et « Hier, aujourd’hui, demain » par France 2 en juin dernier, le présentateur Frédéric Taddeï a annoncé son arrivée prochaine sur RT France : « Dans un paysage télévisuel sinistré, où les intellectuels, les chercheurs, les savants, les contestataires n’ont plus la parole et où les vrais débats ont totalement disparu, c’est la seule chaîne de télévision qui m’ait donné carte blanche pour faire ce que je faisais dans “Ce soir ou jamais” : des émissions intelligentes, sans parti pris, dans lesquelles on pourra discuter de tout, entre gens qui savent de quoi ils parlent, qu’on ne voit pas ailleurs, et qui ne sont pas d’accord entre eux ». Une liberté qui reste à prouver : RT France, chaîne financée par le gouvernement russe, ne brille pas particulièrement pour la diversité des points de vue qu’elle diffuse [3]...

- Frédéric Haziza pour l’instant écarté de la grille de LCP – Le présentateur Frédéric Haziza est absent de grille de rentrée de LCP. D’après son directeur Betrand Delais, cité par France Info, cette absence est due à « l’arrêt de son émission politique. A la place, nous lançons une émission commune avec Public Sénat (...). Pour ne pas donner l’impression que l’une des deux chaînes avait l’avantage sur l’autre, il a été décidé de ne pas choisir le présentateur parmi nos équipes respectives  ». D’après lui, la décision d’écarter Frédéric Haziza n’aurait « rien à voir avec le fait divers dont on a entendu parler cette année. » Pour mémoire, le « fait divers » en question est une accusation d’agression sexuelle à l’encontre d’une journaliste de LCP [4]...

- France Inter va produire des podcasts sur l’univers Marvel financés par Disney – Une série de podcasts sur l’univers des héros Marvel (« Marvel, la fabrique des super-héros ») sont disponibles depuis cet été sur le site de France Inter. Problème : d’après Télérama, le projet serait largement financé par la multinationale du divertissement Disney, propriétaire de la marque Marvel. Le procédé est assumé par le directeur numérique de la station Erwann Gaucher : « Nous avons un peu hésité car il s’agit effectivement d’un mode de production inédit. Mais nous avons eu l’assurance que Charline disposait d’une liberté d’écriture totale, et nous avons posé des conditions très strictes : tout devait se dérouler dans nos studios, avec nos techniciens ». D’après Télérama, ce genre d’opération de communication dissimulée pourrait avoir de beaux jours devant lui : « Avec ces podcasts natifs, France Inter a bel et bien ouvert à Radio France, et en pleine réforme de l’audiovisuel public, la boîte de Pandore des productions et financements externes. »

- Quand Europe 1 assure la communication du président Macron – Une rencontre entre un jeune garçon de six ans et Emmanuel Macron sur son lieu de villégiature dans le sud de la France a permis d’illustrer la servilité de la station de radio Europe 1 vis-à-vis de la communication de l’Élysée. D’après Le Point, Europe 1 a d’abord consacré un reportage au jeune garçon qui souhaitait rencontrer le président depuis des mois. Après la diffusion de ce reportage, « les services de la présidence ont contacté Europe 1 pour qu’il retrouve le petit garçon, afin d’organiser une rencontre avec le président. Mais comment retrouver un enfant au milieu de milliers de vacanciers ? La tâche fut ardue pour le journaliste d’Europe 1 qui aurait sillonné le sable durant des heures pour mettre la main sur l’enfant. » Victor Dhollande, le journaliste en question, a confirmé lui-même cette version des faits sur le site d’Europe 1, affirmant fièrement avoir « fait [son] boulot  ».

II. Du côté des entreprises médiatiques et de leurs propriétaires

- La direction du Média en grave crise – Le site d’informations Le Média connaît une grave crise interne. Depuis le départ, début juillet, de la présidente du Média Sophia Chikirou, les équipes du site d’information se déchirent. Sophia Chikirou se voit reprocher un management autoritaire et un pilotage très personnel du journal. Elle est aussi accusée, par son ancien associé, Gérard Miller, d’avoir sous-estimé les difficultés financières de la web télévision et aussi d’abus de biens sociaux. La nouvelle équipe dirigeante est composée d’Aude Lancelin, la nouvelle présidente du titre, ainsi que de Gérard Miller et Henri Poulain, tous deux co-fondateurs du média. Ces deux derniers ont été épinglés par Arrêt sur images et Le Canard enchaîné le 22 août, pour lesquels ils « ne se [seraient] pas privés de faire fructifier leurs petites entreprises respectives grâce au Média » – Arrêt sur images a cependant précisé que les tarifs des factures adressées par leurs sociétés à la web télévision « semblent conformes à ceux pratiqués dans la presse en ligne. » Le site d’information fera sa rentrée le 17 septembre.

- France Télévisions en première ligne face aux obsessions budgétaires – Le projet de démantèlement du secteur public audiovisuel porté par le gouvernement d’Edouard Philippe continue d’avancer. France Télévisions est particulièrement concernée. Ainsi, d’après Le Monde, « le gouvernement a fixé à 190 millions d’euros le montant total des économies que l’audiovisuel public devra réaliser dans le cadre du vaste plan de réduction des dépenses publiques à l’horizon 2022. Ces économies se répartiront à hauteur de 160 millions pour France Télévisions et 20 millions pour Radio France. Les 10 millions restants seront à la charge des autres groupes du service public audiovisuel, à savoir Arte, l’Institut national de l’audiovisuel (INA), TV5 Monde et enfin France Médias Monde (maison mère de France 24 et RFI). » Par ailleurs, la chaîne France Ô « sera supprimée d’ici à 2020. Cette suppression de la chaîne de la TNT se fera au profit d’un renforcement des médias publics ultramarins (le réseau Outre-mer 1ère) et d’un “portail numérique enrichi” ».

- Audiences radio : Europe 1 et France info continuent de plonger – Les deux radios généralistes accusent des baisses d’audience importantes. Ainsi que le détaille Le Monde, c’est Europe 1 qui connaît les plus graves difficultés : « La station du groupe Lagardère a vu son audience chuter à un nouveau plus bas historique sur la période avril-juin, à 6,5 % (contre 7,1 % un an plus tôt). » Pour la suite, Arnaud Lagardère, propriétaire de la radio, a décidé de prendre la direction du pôle « news » de son groupe, Lagardère active [5]. Pour contribuer au développement de ses différents médias ? Rien n’est moins sûr : cette nouvelle gestion personnelle devrait plutôt « permettre de faciliter la vente à la découpe du groupe entamée depuis plusieurs années et dont l’épisode le plus récent est la vente du magazine Elle à Czech Media Invest. » écrivions-nous en juin. Du côté de la radio France Info, « si elle conforte sa place de quatrième radio française, elle accuse tout de même une sévère chute par rapport à l’année dernière (-0,9 point) » explique Le Monde.

- En difficulté, Le Nouveau magazine littéraire est repris en main par son propriétaire – Lancé en grande pompe à la fin de l’année 2017, Le Nouveau magazine littéraire serait aujourd’hui au bord du gouffre, d’après Le Figaro : « Fortement soutenu par une campagne de promotion, le premier numéro avait été vendu à 31.863 exemplaires. Mais ensuite, les choses se sont rapidement gâtées avec des ventes qui ont chuté à 14.193 exemplaires pour le suivant et 8105 exemplaires pour le numéro 4, après une augmentation du prix de vente de 1 euro. » Le propriétaire du groupe, Claude Perdriel, aurait en conséquence évincé le directeur du journal Raphaël Glucksmann, pour le remplacer par Nicolas Domenach, ancien directeur adjoint de Marianne. Pour Raphaël Glucksmann, son départ forcé serait cependant dû à une ligne pas assez complaisante vis-à-vis du président Macron : « Il ne fut jamais question pour nous de faire un magazine pro ou anti Macron. Comme vous avez pu le noter en nous lisant, le président de la République n’était pas au cœur de nos préoccupations. Il était même le cadet de nos soucis. Pourtant c’est bien notre façon de l’aborder qui suscita les désaccords menant aujourd’hui au divorce avec l’actionnaire majoritaire ». Une explication que Claude Perdriel, pourtant expert en matière de licenciement politique [6] dément formellement.

- Les sites Buzzfeed et Mashable France mis définitivement à l’arrêt – Début juin, nous relations la fermeture annoncée de l’antenne française du journal en ligne Buzzfeed France : « La direction du site d’information et de divertissement Buzzfeed a annoncé début juin qu’elle comptait fermer sa filiale française et licencier ses 14 salariés. » Le 30 août, malgré la grève de la rédaction et la suspension par le Tribunal de grande instance de Paris de la procédure de licenciement économique, le site a définitivement fermé (même s’il reste en ligne à l’heure où nous écrivons ces lignes) le 30 août 2018. Autre fermeture de journal en ligne annoncée : celle de Mashable, un site d’information spécialisé «  dans les nouvelles technologies et le divertissement ». D’après Le Monde, « l’arrêt de la version française du pure player anglophone, lancée en 2016 et qui emploie sept journalistes, est une décision commune entre ses deux copropriétaires : le groupe de presse américain Ziff Davis, qui a racheté Mashable en décembre 2017, et France 24. » La cause, toujours selon Le Monde : « Le groupe Ziff Davis est spécialisé dans les sites basés sur le modèle économique du commerce affilié, consistant à toucher une rémunération sur des liens commerciaux présents dans les articles. Il pratique également le “brand content” : des contenus produits pour promouvoir une marque. France 24 ne s’estime “pas en phase” avec cette stratégie. »

- Le directeur de L’Express, Guillaume Dubois, renvoyé par Altice – Le directeur de L’Express est licencié. D’après Le Monde, « M. Dubois paye les difficultés de L’Express. Sa nouvelle formule numérique, alimentée par les rédactions du journal papier et du site Web, fusionnées, n’a pas pour l’heure provoqué le sursaut espéré.  » Les journalistes de la rédaction de l’hebdomadaire se sont plaints de ce licenciement, accusant Patrick Drahi et Altice de mauvaise gestion. Ainsi, comme l’a raconté Alexandre Debouté, journaliste au Figaro, sur Twitter : « La SDJ de l’hebdo dénonce des "errements stratégiques", un "fonctionnement low-cost" et un "management incompréhensible" »

- Google arrose à nouveau la presse française – La presse française est la plus gâtée cette année par Google. La multinationale américaine distribue en effet, chaque année depuis 2015, des subventions aux journaux européens dans le cadre de la « Google News initiative ». Le principe : « Soutenir le journalisme de haute qualité  » via des projets de journalisme numérique. C’est à cette fin, détaille le site CBNews, que Google a distribué 485 000 euros à Ouest-France afin que « le quotidien [définisse] un algorithme de [republication] des archives en fonction des goûts ou de l’endroit où se trouve le lecteur. » Ou encore 300 000 euros au groupe Nice-Matin afin qu’il tente « de repérer les actualités qui méritent d’être creusées d’un point de vue très local. » D’autres journaux sont concernés, pour des projets aussi divers que de « développer le logiciel de gestion de contenus  » (Le Monde), « adapter et créer des contenus pour les enceintes connectées  » (TF1), ou encore « rendre chacun de ses articles écoutables en ligne  » (L’Express). Pour mémoire, on doit notamment au fond Google pour la presse le tristement célèbre « Décodex » du Monde [7]...

- Presstalis : le gouvernement veut « libéraliser » la distribution de la presse – Permettre aux distributeurs de négocier avec les journaux pour rééquilibrer les forces en présence. C’est en substance, d’après Les Echos, le projet proposé par Marc Schwartz, membre de la Cour des comptes. Le journal économique explique ainsi que « ce nouveau droit à être distribué pour les éditeurs serait accompagné, pour les entreprises de distribution, de la nécessité d’être agréées par l’autorité de régulation. Un tel système suppose la signature de contrats avec les entreprises de presse. L’équilibre des forces s’en trouve ainsi modifié, redonnant de la capacité à négocier aux distributeurs, même s’ils auraient une obligation de contracter avec les éditeurs. » Par ailleurs, « l’autre mesure phare consiste à [permettre] aux marchands de presse d’avoir leur mot à dire sur la quantité de titres proposés dans leurs rayonnages.  » Ce qui serait une attaque importante au principe de pluralisme de la presse distribuée dans les kiosques, un principe obligatoire en vertu de la Loi Bichet qui régule la distribution de la presse. Sûrement pour répondre à cette critique, Marc Schwartz propose « d’introduire dans la loi un principe d’indépendance et de pluralisme [pour la presse d’information générale et politique] dont le rôle est reconnu dans la démocratie. » Concernant spécifiquement la société Presstalis, «  Marc Schwartz prépare le secteur à l’idée que l’État va lâcher Presstalis  » en condamnant par principe les aides publiques, assure Emmanuel Schwarzenberg, auteur d’un billet de blog publié sur le club de Médiapart, qui cite le rapport de M. Schwartz à l’appui : « Cette situation [les aides de l’État pour aider Presstalis] ne saurait perdurer indéfiniment car elle crée un aléa moral préjudiciable à la recherche de solutions pérennes.  » In fine, ce serait alors les sociétés privées qui rafleraient la mise, avec la perspective que la concurrence et le profit priment désormais sur la pluralité des titres distribués en kiosque...

- Le Conseil constitutionnel valide la loi sur le secret des affaires – Malgré la saisine du Conseil constitutionnel par « plus de 120 députés et sénateurs de gauche (Parti socialiste, Parti communiste français, La France insoumise), auxquels s’étaient joints une cinquantaine d’associations, de syndicats et de sociétés de journalistes » selon Le Monde, la loi sur le secret des affaires s’appliquera. Le Conseil constitutionnel a en effet validé la loi le 26 juillet dernier. Contre les critiques selon lesquelles cette loi empêchera les journalistes de travailler, les juges ont « fait valoir à ce sujet l’existence d’une “exception à la protection du secret des affaires bénéficiant aux personnes physiques exerçant le droit d’alerte”  », mais aussi « à toute personne révélant, dans le but de protéger l’intérêt général et de bonne foi, une activité illégale, une faute ou un comportement répréhensible  ».

- « Fausses informations » : le Sénat rejette le projet de loi – Pas d’examen au Sénat pour le projet de loi sur les fausses nouvelles. Ainsi, « suivant l’avis des commissions de la culture et des lois de la Haute Assemblée, les sénateurs ont adopté une question préalable, qui entraîne le rejet automatique du projet de loi  », explique Le Monde. Pour en savoir plus sur l’objet de ce projet de loi, lire notre actualité des médias de juin 2018.

- Le Gabon suspend la diffusion de France 2 – La chaîne publique française s’est vu interdire toute diffusion pendant un an au Gabon par la haute autorité de la communication gabonaise (HAC), d’après France info. En cause : la rediffusion d’un reportage critique vis-à-vis du président Ali Bongo et de son clan. Pour Reporters sans frontières, « la HAC se trompe de combat et se discrédite. En suspendant des médias qui enquêtent sur des sujets d’intérêt général, elle se pose en défenseur des intérêts du régime au lieu de défendre la liberté de la presse garantie par la constitution. C’est un signal inquiétant envoyé aux journalistes qui souhaitent mener des investigations sur les plus hauts responsables politiques du pays. » La HAC a depuis ramené cette sanction à trois mois d’interdiction de diffusion.

Jérémie Fabre et Benjamin Lagues, grâce au travail d’observation collective des adhérent.es d’Acrimed

 
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