I. Curieuses et édifiantes pratiques
Promotion et autopromotion, omissions et connivences, pillages et ménages.
– Renvoi d’ascenseur « en hausse ». A l’instar d’hebdomadaires « généralistes » (Le Point, L’Express, Le Nouvel Observateur), le mensuel Lire comporte une rubrique « En hausse/En baisse » [1]. Dans le numéro d’avril 2005, se retrouve « en hausse » en première place (avant, excusez du peu, le philosophe René Girard, élu à l’Académie française) « Vol de nuit », l’émission « littéraire » de TF1 présentée par Patrick Poivre d’Arvor. Pourquoi cet honneur de la part de Lire ? L’émission a été « consacrée par les libraires comme la plus prescriptrice, celle qui fait vendre le plus (et le mieux) les livres ». Il est précisé entre parenthèses : « Source Livres Hebdo » (la publication professionnelle du secteur). Rien à voir, donc, avec le fait que François Busnel, le rédacteur en chef de Lire, est de longue date un collaborateur permanent de « Vol de nuit » [2].
– Marketing éditorial de Beigbeder par Beigbeder. Ou : comment s’auto-critiquer pour se récupérer. L’ex-publicitaire repenti en pseudo-dandy littéraire Frédéric Beigbeder utilise sa chronique dans Lire (avril 2005) pour tenter de damer le pion aux commentaires négatifs sur son dernier livre, L’égoïste romantique (Grasset, 2005) : il propose tout simplement un modèle de critique défavorable.
– Fâcheuses omissions. Trous de mémoire ou connivences ? Les « ménages » des « stars » du journalisme de marché font souvent l’objet de curieux silences.
- Ainsi, dans L’Express du 16 mai 2005, on peut lire un dossier narquois (et même critique...) qui met en cause « les dessous du star business : pubs à prix d’or, soirées rémunérées, scoops négociés ». Mais le magazine est tellement offusqué qu’il ne parvient pas à consacrer ne serait-ce qu’un encadré aux journalistes qui entrent dans cette catégorie. Ce sera pour une autre fois.... En attendant, on peut lire les articles que nous consacrons aux « ménages » et aux journalistes d’élite qui s’y adonnent.
- Autre exemple. L’émission « N’ayons pas peur des mots » (LCI) qui, le 27 avril 2005, invitait Jean-Luc Mano, mais omettait de détailler son identité professionnelle complète. Extraits d’une lettre envoyée à LCI et transmise à Acrimed à ce propos : « A quel titre votre invité surprise Mr JL Mano est compétent dans le domaine constitutionnel ? J’ai pour ma part mon idée. Jean-Luc Mano nous a expliqué au cours de l’émission [...], selon la manière bruyante et vulgaire de certains publicitaires, qu’il est pour le « oui » et que si l’ensemble des médias est pour le « oui » c’est parce qu’ils sont plus « averti » » que les autres. Or il est connu que Mr Mano est à la tête d’une société de media training, aujourd’hui sous contrat avec les ministres de la Défense et de la Coopération - Michèle Alliot-Marie et Xavier Darcos -, qu’il conseille personnellement. Je m’étonne que ces informations, pourtant utiles aux malheureux « non initiés » que nous sommes, ne nous aient pas été fournies dans la présentation. Elles auraient permis de discerner au delà de la compétence que s’autoattribue Monsieur Mano, le contractuel aux ordres » [3].
– « Cogemagouilles » (par Le Gri-Gri international). Accusée d’exploiter l’uranium nigérien au mépris de la santé des populations locales, la Cogema a déployé des trésors de com’ pour se « blanchir ».
" Gravement mise en cause par le réseau Sherpa [4] et par un documentaire diffusé sur Canal+ (voir les éditions 33 et 34 du Gri-gri), la Cogema souhaitait « rétablir les faits », comme l’entreprise française le claironne sur son site internet. La vive polémique qui entoure l’exploitation de la mine d’Arlit au Niger devait sans doute partiellement s’éteindre après la publication d’une étude « indépendante » réalisée par l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire). « Areva mis hors de cause dans la polémique sur ses mines au Niger », osait La Tribune le 22 avril, au lendemain de la publication officielle du rapport. Sauf que « l’indépendance » de l’étude peut prêter à sourire, lorsque l’on sait que la Cogema l’a commandée, financée, qu’elle s’est basée en grande partie sur des données fournies par l’entreprise, et qu’elle n’aurait jamais été rendue publique sans son accord [5]. Contacté par le Gri-gri, Didier Gay, un des auteurs du rapport, ne fait d’ailleurs pas de mystère sur cette « mission légère » de quatre jours « réalisée à titre commercial » où « la question sanitaire des travailleurs n’a pas du tout été abordée ».
Autre « contre-feu » allumé par la Cogema, le voyage de presse organisé au mois de février a rencontré un franc succès. Quasiment tous les grands médias ont répondu présent, et comme le témoigne un des journalistes invités, « ils avaient déployé les grands moyens pour que nous soyons le plus à l’aise possible. Ils nous présentaient une vision totalement idyllique des choses ». Une bienveillance qui transpire dans nombre de « reportages » consacrés à la mine d’Arlit, notamment celui publié par Le Figaro. « Les journalistes sont partis avec en tête une polémique un peu germano-pratine (sic), et ils sont revenus en ayant découvert un pays. Et ça, c’est toujours positif », explique-t-on le plus sérieusement du monde au service de presse de la Cogema, qui ne compte pas en rester là. Pour faire taire définitivement les mauvaises langues, l’entreprise promet pour l’année en cours une étude épidémiologique à grande échelle. Indépendante, cela va de soit... "
Article de Marc de Miramon, paru dans Le Gri-Gri international, n°35, jeudi 19 mai (reproduit avec l’autorisation du Gri-Gri).
– Pillage : Le Quotidien du médecin tacle Le Parisien . Editorial savoureux du Quotidien du médecin le 20 mai 2005 dont voici des extraits expurgés des circonvolutions : « Le 3 mai, « le Quotidien » a publié en exclusivité absolue l’essentiel du rapport du Pr Berland sur la démographie médicale [...] les médias grand public ont un peu pris l’habitude de puiser dans « le Quotidien », et presque toujours sans le nommer, des sujets d’intérêt universel. C’est positif parce que l’on peut voir dans ce phénomène la rançon du succès. C’est aussi négatif parce que, à force de nous piller, on finit par nous agacer. Notre confrère (il faut l’appeler ainsi) « le Parisien » a publié le rapport Berland le 18 mai, soit quinze jours après nous, en s’attribuant avec superbe l’exclusivité de l’information. Comme les mauvaises manières sont très partagées dans notre société, où l’on parle d’éthique professionnelle sans jamais l’observer, à son tour, Europe 1, le 18 au matin, en faisait ses choux gras. [...] Qu’ils fassent de la retape sur un scoop inexistant, c’est leur affaire. Mais au moins sauront-ils que nous ne sommes pas dupes. »
– TF1 et les grandes familles. Libération et Le Monde l’avait annoncé, la direction de l’information de la chaîne l’a confirmé : Guillaume Debré, fils du président de l’Assemblée nationale Jean-Louis Debré, a été choisi pour devenir à la rentrée l’un des trois correspondants de TF1 à Washington. Selon une porte-parole du directeur de l’information Robert Namias, citée par l’AFP, « il s’agit de renforcer notre bureau de Washington qui travaille pour TF1 et LCI » et le « profil » et l’ « expérience » de Guillaume Debré « intéressent Robert Namias ». Selon l’AFP et Le Monde, " l’annonce de ce recrutement aurait provoqué une telle émotion qu elle aurait provoqué le 3 mai une réunion d’une partie de la rédaction dans un café proche de TF1 et que le directeur de l’information Robert Namias avait reçu ensuite trois délégués syndicaux et reconnu, à cette occasion, qu’il y avait peut-être eu une "erreur de communication" dans l’annonce de la décision... ". Si c’est Robert Namias, pourtant spécialiste en communication qui le dit !
II. Drôles d’infos et infos pas drôles du tout
Chirac, Pentecôte, manifestations des « indigènes de la République », Fondations Pinault ... et Alexandre Adler au sommet de sa propre culture.
– Le Monde réécrit Chirac. A l’occasion des 10 ans de présidence de Jacques Chirac, Le Monde (8-9 mai 2005) lui consacre un abécédaire que le quotidien qualifie lui-même d’iconoclaste. Qu’on en juge :
- « Voyages (...) Deux images fortes ont marqué la décennie, celle d’une algarade dans la vieille ville de Jérusalem, en 1996, avec des gardes du corps israéliens qui jouaient les Rambo (...) La colère fuse dans un anglais impeccable » Si ce commentaire n’était pas dû au Monde, on pourrait croire à l’ironie mordante de l’auteur de cette remarque : on se souvient en effet que cette prestation de Chirac en langue anglaise en a fait se tordre de rire plus d’un, tant l’accent était franchouillard et la richesse de la répartie bien sentie ... limitée à quelques mots (approximativement : « ne me touchez pas ou je rentre »).
- « Xénophobie. Sa bête noire, confondue avec l’ennemi de toujours, le Front National. (...) Le vrai Chirac est sans doute celui qui aime l’humanité et toutes les civilisations, même s’il lui est arrivé de déraper. » Mais sans doute était-il trop « iconoclaste » de rappeler que « dérapage » en question traitait du « bruit et l’odeur » [6] qui incommoderaient les Français " de souche ".
– Pentecôte sur France Info. Le 16 mai 2005, lundi de Pentecôte, les médias français étaient en émoi : la « journée de travail, en solidarité pour les personnes âgées et les handicapés », ainsi que la nomma le gouvernement, ne fut pas un franc succès pour celui-ci.
Journée de RTT, journées de grève... Des l’aube, les monotones voix de la radio s’émeuvent. La France serait à la limite de la paralysie. Des grèves s’annoncent dans tout les secteurs de la fonction publique. Des centaines de préavis ont été déposés. Travailler un jour férié ? Un français sur deux chômera, semble-t-il. Les Français s’uniraient-ils derrière un large mouvement de désobéissance civile ? A chaque flash d’information, la situation est commentée, analysée, décortiquée. Les reportages font le tour de la France et chacun reste suspendu derrière son poste de radio à attendre un résumé de la situation. Journée de solidarité, journée de solidarité.
Illustration par un correspondant qui nous écrit :
« A 9h40, un journaliste à France Info diffuse son reportage depuis Lyon, dans un lycée du 8° arrondissement. Il interroge Hugo, lycéen. Ce dernier, est « dégoûté » que sa mère se soit levée plus tôt que d’habitude pour le déposer au lycée. Sa « prof » est absente : une gréviste qui ne l’a « même pas prévenue ». Le pauvre élève si studieux et plein de bonne volonté crie au « scandale » car en plus, il ne sait même pas si le service de cantine sera assuré. Présenté ainsi, pas le choix : l’auditeur de France Info ne peut que compatir à sa colère, son isolement, la détresse que de se retrouver dans un lycée sans professeurs. Et en vient, évidemment, à se demander ce que fichent encore ces professeurs, gens de la fonction publique qui refusent de se soumettre à une loi gouvernementale, servie comme une mesure de solidarité qui plus est.
Reviennent alors en flash les souvenirs de ces journées de paralysie, de cauchemars pour les usagers, ces attentes interminables sur les quais de gare et ces wagons bondés jusqu’à la saturation. Heureusement il fait beau en mai. Plus tard, J.F. Copé, porte parole du gouvernement, nous dira que finalement cette journée travaillée par mesure de solidarité ne fût pas un échec. Même si les employés du privé ont posé des jours de RTT, ce n’est pas si grave, parce que les entreprises cotisent pour leurs salariés même pendant les jours de congés. Alors que ces fonctionnaires, ceux justement qui travaillent dans le service public... osent défier une mesure gouvernementale.
Il est grand temps d’ouvrir le dit service à la concurrence. Se glisse un murmure assourdissant sur les ondes de France Info : vivement le 29 mai et la directive Bolkestein. Petite précision, dans mon petit collège du Val d’Oise, là où il n’y avait pas de reportage, ceux ne sont pas les professeurs qui ne sont pas venus, mais les élèves. Ils n’ont sans doute pas entendu le témoignage si émouvant d’Hugo. Ça auraient certainement évité que les enseignants gaspillent l’argent du contribuable dans la machine à café ou soient payés discuter entre collègues. Dubitatif, je ne sais même pas si l’Assemblée Nationale était ouverte hier » (David Lefevre).
– De Reuters aux DNA, les avatars de l’information. Au lendemain de la "Marche des indigènes de la République", l’agence Reuters informait ainsi sur les organisateurs : « ... notamment le Collectif des musulmans de France, proche de l’intellectuel Tariq Ramadan. » Une seule organisation citée, mais on comprend qu’il y en avait d’autres. Dans Les Dernières Nouvelles d’Alsace, la phrase devient : "... à l’appel du Collectif des musulmans de France, proche de l’intellectuel musulman controversé Tariq Ramadan. " [7] Le CMF est devenu le seul organisateur. Quant à l’intellectuel, il est devenu musulman et controversé... N’en jetez plus !
– Fondation Pinault (1) : deuil national. Rappel : François Pinault dont la France, le monde entier et l’univers attendaient une fondation d’art contemporain en banlieue parisienne, recule, renonce. Et c’est le « drame », le « gâchis », la « double catastrophe » pour « les amateurs d’art moderne d’abord, même si Venise n’est qu’à trois heures de Paris et 120 euros aller-retour par avion, mais aussi pour l’économie de l’Ile-de-France », résume, pour tous et avec les autres, la couverture du Point (12 mai 2005). Paris-Match du 19 mai 2005 verse dans le pathétique : « Le rêve en ruines de François Pinault » (12 mai). « Désespéré par Billancourt (bravo - ndrl) et ses lenteurs administratives (figure imposée), le plus grand collectionneur d’art contemporain (et de fleurs médiatiques) français a renoncé »...
– Fondation Pinault (2) : les vrais-faux atermoiements du Point . Sous le sommaire du Point (12 mai 2005) un « A nos lecteurs ». Extraits commentés d’un exercice qui le défausse bien que s’annonçant pourtant bien : « N’ayons pas peur de le dire, il est toujours délicat d’écrire sur son actionnaire » mais se gâte vite : « en tout cas au Point, où l’on a l’indépendance chevillée au corps » (sic) [...] « pour plus de tranquillité (re-sic) on pourrait se réfugier lâchement derrière les articles de presse qui à l’unisson de Libération dénoncent souvent une pouvoir frileux » [...].
Et Le Point, courageusement, d’écrire en toute « indépendance » ce que soutient son actionnaire : « Nous sommes en France, mère Patrie de Courteline » ; « Total, après maintes complications administratives, les travaux n’ont toujours pas commencé en cinq ans » ... « lourdeur administratives », « cette affaire est un cas d’école pour la France. Elle illustre parfaitement ce que Le Point dénonce semaine après semaine. »
Qui nous dira pourquoi c’est en toute indépendance que s’effectue la convergence ?
– Fondation Pinault (3) : l’éclairage de La Tribune . Pourtant, le 13 mai 2005, dans La Tribune (dont l’actionnaire de référence, Bernard Arnault de LVMH, est le rival de ... Pinault), sous le titre « Ile Seguin : les fondations cachées de l’abandon de Pinault », on peut lire ceci :
« Celui qui ne veut pas finir comme la chèvre de l’île Seguin (excellent !) ne pouvait ignorer les méandres d’un projet de cette ampleur : l’aménagement de 74 hectares, répartis entre l’île et la berge. A cette aune, il aurait dû se féliciter de voir dès le 22 avril dernier l’apurement des recours engagés. Eh bien non ! C’est justement le moment qu’il choisit pour jeter l’éponge. La vraie raison est peut-être ailleurs. Comme l’a indiqué Jean-Pierre Fourcade, maire de Boulogne, la fondation Pinault est toujours dans les limbes. Ne serait-ce donc pas plutôt dans cette direction qu’il faudrait fustiger les retards ? Le milliardaire a pourtant obtenu contre les caciques de Bercy - toujours rétifs dès qu’il s’agit de fiducie - une réforme d’ampleur du droit des fondations, surnommée "loi Pinault". Malgré les cadeaux fiscaux obtenus et les arrangements concédés sur le droit successoral, le nouveau droit des fondations a des habits trop étroits pour l’homme d’affaires qui préfère délocaliser » [8].
Curieusement, cet argument n’a pas été souvent mentionné par les médias qui, comme Le Point, cultivent jalousement leur indépendance.
– Et pour finir, cette découverte : Alexandre Adler n’est pas un gorille. Champion toutes catégories de l’outrance, Alexandre Adler - dont on ne dira jamais assez qu’il officie aussi sur France Culture... - est en passe de devenir aussi un spécialiste des injures dont les connotations racistes sont de plus en plus manifestes. Satisfait d’avoir déjà présenté Hugo Chavez comme un « gorille » [9], Adler récidive. Dans Le Figaro du 11 mai 2005, on pouvait - sous le titre « Les tentations de Chavez » - lire ceci :
« Les inventeurs de la théorie du chaos étaient des poètes, précisément parce qu’ils étaient de grands mathématiciens. On leur doit donc la métaphore devenue enfin célèbre selon laquelle le battement d’ailes d’un papillon dans une partie du monde peut provoquer un ouragan à l’autre bout de la planète. [...] Les relations internationales sont pleines d’exemples de ce type. [...] Nous sommes actuellement en Amérique latine à la veille d’une situation de ce genre, mais on se prend à imaginer des métaphores moins poétiques et plus brutales pour y exprimer la même théorie des catastrophes, par exemple que le claquement brusque d’une mâchoire de primate peut provoquer une éruption volcanique. Le primate ou le gorille, on l’aura reconnu, c’est l’apprenti dictateur du Venezuela, Chavez [...] » Ce n’est, bien sûr, qu’une métaphore... [10]