Jacques Nikonoff écrit :
Le Nouvel Observateur, daté du 24 au 30 juin 2004, vient de lancer une nouvelle thèse dans le débat public. Elle est résumée dans le titre d’un article de cet hebdomadaire : “ Attac-PS : la guerre est finie ”. Selon ce journal, des composantes, parmi les plus importantes de la mouvance altermondialiste, auraient effacé une bonne partie de leurs désaccords avec le Parti socialiste.
Attac n’ayant pas déclenché une guerre contre le PS à laquelle l’association renoncerait aujourd’hui - nous n’utilisons pas ce vocabulaire - il n’en demeure pas moins que notre contentieux avec les partis de gouvernement reste intact.
Pour justifier et authentifier sa thèse, l’article du Nouvel Observateur contient de nombreuses “ citations ” attribuées au président d’Attac et à l’ancien porte parole de la Confédération paysanne.
“ Enfin seuls ”, aurait ainsi lancé Attac aux socialistes après la défaite électorale de l’extrême gauche, justifiant cette remarque attribuée à un dirigeant de l’association : “ Qu’est-ce qu’il est devenu vieux d’un coup, le jeune Besancenot ”. L’ancien porte parole de la Confédération paysanne ne serait pas en reste, car il aurait affirmé : “ Pour moi, le succès du Larzac, l’été dernier, c’était le réveil de la société contre le libéralisme de Raffarin. Mais ce n’était certainement pas la matrice d’une nouvelle force politique, ou un meeting d’extrême gauche ”. Un autre signe de rapprochement d’Attac avec le PS porterait sur la question des retraites : “ Les gauchistes croient que le mouvement sur les retraites a été un échec parce qu’ils n’ont pas réussi à imposer leur grève générale. Au contraire, je pense que nous marquons des points dans l’opinion, dans les esprits. Le refus du libéralisme s’accentue. La défaire de la droite le prouve ”. A propos des privatisations du gouvernement Jospin, qui étaient dénoncées par Attac dans le discours de clôture de son Assemblée générale de La Rochelle, le journaliste fait dire à son président : “ C’était vrai. Mais je ne pourrais plus tenir ce discours aujourd’hui ”. De plus, nous apprenons que les adhérents d’Attac “ sont souvent socialistes ou socialisants ”. On fait dire par ailleurs à l’ancien porte parole de la Confédération paysanne : “ Aujourd’hui, mieux vaut aller à l’université d’été du PS pour parler, se mettre d’accord sur des projets concrets ”.
Ces “ preuves ” irréfutables confirmeraient donc un changement de la stratégie d’Attac, de son président, et de l’ancien porte-parole de la Confédération paysanne. Comme chacun peut le constater, en ce qui concerne Attac, aucune de ces “ citations ” ne correspond à la position de l’association.
Quant aux commentaires faits dans l’article, ils servent à renforcer la thèse du journal comme le résume bien le sous-titre : “ La rencontre (du PS avec Attac) est inévitable... mais ne sera pas facile ”. Il y aurait même eu une “ offre de partenariat " d’Attac au PS. Dès lors, “ un couple peut se former ”, car “ Attac a bougé " (vis-à-vis du PS). Et même “ le rusé José est devenu le plus fidèle allié des partis de gauche. Aux régionales il a soutenu le socialiste Georges Frêche en Languedoc-Roussillon ”, car “ Bové, pour le moment, pense plus à travailler avec les socialistes qu’à les affronter au nom du reste de la gauche ”.
Au total, “ l’entrée en résonance d’Attac et du PS s’affiche aujourd’hui ”. Quant à José Bové, il considérerait que “ maintenant, il faut travailler avec les politiques. Imaginer des contrats passés entre le mouvement social et les partis, sur tel ou tel objectif ”.
(Après avoir exposé « les relations d’Attac avec les partis politiques » et ce qu’il faut « penser de l’article du Nouvel Observateur », Jacques Nikonoff poursuit :)
Une sous-estimation, au sein d’Attac, du rôle idéologique d’une certaine presse
Une chose frappe à la lecture de quelques réactions de militants d’Attac qui ont lu l’article du Nouvel Observateur. Dans leur raisonnement, le journaliste serait, en quelque sorte, quelqu’un de neutre, et il se serait borné à rendre compte mécaniquement, sans aucune interprétation personnelle, de ce que lui auraient dit ses interlocuteurs. Cet article serait donc une traduction objective de l’état de la réflexion et de la stratégie d’Attac, de son président et de José Bové.
Ce n’est évidemment pas le cas. Toute traduction contient forcément une dose de subjectivité, a fortiori quand elle émane d’un grand média d’opinion.
En réalité, dans cet article du Nouvel Obs, le journaliste développe une thèse qu’il appuie sur des “ citations ”. La thèse (Attac et le PS : la guerre est finie), que le journaliste a le droit de défendre, n’est pas celle d’Attac. Chacun peut le constater aisément en lisant les prises de position d’Attac. En revanche, tous les organes de presse ont une “ ligne éditoriale ” et les journalistes des opinions, ce que certains oublient trop facilement.
C’est pour cela qu’il est nécessaire d’avoir un présupposé de méfiance face aux médias dont certains sont des vecteurs de l’idéologie néolibérale. Nous avons besoin de nous armer face à cette presse pour ne pas nous laisser impressionner par les articles du Nouvel Obs, de Libération ou du Monde pour ne prendre que ces exemples. Cette presse n’est pas “ neutre ” et elle joue un rôle idéologique décisif dans le combat au service de l’idéologie néolibérale ou de ses différentes variantes comme le social-libéralisme.
Un petit travail de décryptage de l’article du Nouvel Obs n’est peut-être pas inutile.
Comment se prépare un tel article ?
Le journaliste choisit des interlocuteurs et les rencontre pour leur poser des questions. Certains utilisent un magnétophone, d’autres non qui se contentent de prendre des notes. Le journaliste rédige ensuite son article et le transmet à son rédacteur en chef pour publication. A aucun moment les personnes interrogées ne sont invitées à relire le projet d’article. C’est toute la différence avec une interview où, parfois, les journalistes acceptent que l’interviewé relise le papier. En ce qui me concerne, j’ai passé 2 heures, un dimanche après-midi, avec le journaliste, comme José à une autre date.
Sur le titre de l’article
Il faut savoir que, d’une manière générale, ce ne sont pas les journalistes qui rédigent les titres de leurs articles, mais un responsable de la rédaction en chef. Quand le Nouvel Obs titre “ Attac-PS : la guerre est finie ”, c’est l’expression de la ligne éditoriale du journal et la thèse du journaliste qui apparaît. Ce n’est pas celle d’Attac.
Sur l’usage des citations
Dans ce genre d’articles, les guillemets sont censées rapporter les propos tenus par les interviewés, sans aucune altération, voulant ainsi donner la garantie de leur exactitude. Beaucoup de gens se laissent prendre à cette grosse ficelle, car rien, justement, ne permet cette garantie. Les citations, qui ne sont jamais soumises pour approbation préalable aux interviewés, servent en réalité à légitimer et à authentifier la thèse du journaliste ou de la ligne éditoriale du média.
Fallait-il ou non accepter cette rencontre ?
Depuis plusieurs années, certains médias ont adopté une attitude de black-out ou de franche hostilité envers Attac (souvent alimentée par des “ confessions ” plus ou moins véridiques de membres d’Attac souhaitant faire connaître par ce moyen leur position personnelle), comme c’est le cas pour le Nouvel Obs, Le Monde ou Libération. Les “ accrochages ” ont été nombreux avec ces journaux, nous conduisant même à demander des droits de réponse. Cette situation a amené le Bureau d’Attac à proposer à chacun de ces trois journaux un déjeuner pour mettre les choses à plat. Seul le Nouvel Obs a accepté l’invitation, et un déjeuner s’est donc tenu entre une douzaine de membres du Bureau d’Attac d’un côté ; Claude Askolovitch et Laurent Joffrin de l’autre. Nous nous sommes expliqués et avons convenu d’un entretien entre Claude Askolovitch et moi.
Cependant, au niveau de la direction d’Attac, nous n’avons pas vraiment de position générale sur les rapports à entretenir avec la presse, qui donnerait une ligne de conduite claire à chacun de nous. Nous avons dit plusieurs fois qu’il faudrait le faire, mais nous n’avons pas avancé car c’est très compliqué. En effet, un équilibre doit être tenu entre deux attitudes radicalement opposées : nous engager dans une codification peu évidente de nos rapports avec la presse qui risquerait d’aboutir à la production d’une usine à gaz pouvant même remettre en cause la liberté d’expression de chacun d’entre nous ; ou à l’inverse refuser tout contact avec la presse ou une partie de celle-ci. Dans les deux cas, aucune solution évidente ne se dégage, et il existe toujours une marge de risque. Ce débat n’est pas clos, mais il faut bien dire que peu de monde se lance pour avancer des propositions concrètes qui nous feraient progresser.
Tout cela n’est pas très encourageant, et on pourrait en conclure que, décidemment, nous n’avons pas à nous prêter à ce petit jeu des questions-réponses avec les journalistes. Le même problème se pose pour les comités locaux dont la situation est très proche de celle d’Attac national vis-à-vis de la presse. On ne connaît aucun comité local qui refuse, par principe, tout contact avec la presse écrite ou audiovisuelle régionale. Au contraire même, puisque les comités locaux, par exemple lorsqu’ils organisent une initiative, font quasi-systématiquement des communiqués de presse et apprécient quand la presse quotidienne régionale couvre l’événement. D’une région à l’autre, la situation est très contrastée. Dans certains cas, les relations sont très bonnes entre le comité local et le correspondant local du journal. Des interviews de responsables locaux d’Attac sont souvent faites, et certains se trouvent parfois placés dans la même situation que celle créée par l’article du Nouvel Obs.
Bref, c’est compliqué, et il existe toujours une part de risque que nous devons assumer, et réagir éventuellement lorsque c’est nécessaire. Mais surtout il faut une méfiance de principe vis-à-vis de l’image d’Attac reflétée dans la presse, et ne pas lui faire confiance a priori (la presse est détenue par de grands groupes de l’armement ou de la finance).
Finalement cet article du Nouvel Observateur nous sert dans la mesure où il suscite un débat permettant de réaffirmer et de préciser nos positions.
Jacques Nikonoff
P.S. d’Acrimed : lire, en guise de commentaire provisoire, la fin du texte du groupe Média d’Attac (désormais en sommeil ou en coma) : « Médias, information et mondialisation libérale (2) »