II. Attac et l’information
Propagandistes et non pas analystes, acteurs et non pas spectateurs de la mondialisation néolibérale, détenteurs du monopole de l’information sur l’information et investis du pouvoir de recycler les mouvements contestataires qui se prêtent au jeu journalistique, les médias ne peuvent échapper à la critique d’une association créée pour " reconquérir les espaces démocratiques perdus au profit de la sphère financière ".
Une association qui entend jouer un rôle d’éducation populaire, ne peut pas se satisfaire d’une approche exclusivement utilitaire des médias, qu’elle courtiserait dans l’espoir de s’en servir.
1. Acteur de la contestation sociale, Attac conteste le traitement de " la contestation " par les médias.
La plupart des journalistes privilégient ce qu’ils jugent " nouveau " (" nouveaux mouvements sociaux ") au détriment des mobilisations " traditionnelles " (perçues comme " archaïques "). Le désir de leur complaire peut donc conduire à l’adoption de mises en scènes spectaculaires, dont l’effet politique est incertain et qui exposent ensuite de se voir reprocher sa propre médiatisation.
De même qu’ils sélectionnent les mouvements contestataires, les médias choisissent les porte-parole les plus conformes à leurs attentes : c’est-à-dire des intervenants qui ont montré leur disposition à se soumettre aux exigences professionnelles des journalistes (être disponible, accepter de se plier aux thèmes, délais et durées des journalistes, se résigner dans le cas d’un entretien au choix par le journaliste de l’extrait, en général minuscule, jugé " significatif ", retenir cet extrait pour le répéter lors des prochains entretiens (ce qui facilitera le travail des autres journalistes) etc.
L’intervention fréquente dans les médias pose aussi le problème de sa légitimité démocratique tant le rythme des médias diffère de celui, plus lent, de la délibération collective. Répondre séance tenante aux injonctions des journalistes interdit toute consultation préalable de la base sur les questions à propos desquelles on peut être amené à répondre. Au demeurant, les critères d’excellence médiatique étant souvent très différents des critères militants, la médiatisation risque de substituer une autorité construite sur la notoriété médiatique appuyée par des talents de communication .à une forme d’autorité militante basée sur l’expérience, le courage, le savoir-faire, l’aptitude à payer de sa personne.
2. Acteur de l’information et du débat public, Attac refuse de se soumettre à la prétention des tenanciers des médias dominants d’être les principaux arbitres du débat démocratique.
L’un des moyens par lesquels les médias dominants tentent de civiliser et de discipliner les opposants à l’ordre établi, consiste à les inviter à participer à des " débats " médiatiques, auxquels les journalistes-animateurs aimeraient réduire la vie démocratique dans l’espoir d’en devenir les seuls metteurs en scène.
– Attac n’entend pas intervenir dans les médias dominants à n’importe quelle condition. L’Association se réserve le droit de refuser de participer à des émissions qui loin de favoriser la diffusion de ses idées, contribuent à leur défiguration spectaculaire, quand ce n’est pas, plus simplement, à conforter la notoriété individuelle de ses porte-parole.
- Attac n’entend pas intervenir dans les médias sur n’importe quel sujet, mais seulement sur les questions qui correspondent à ses priorités définies démocratiquement. Faute de quoi, la construction journalistique d’Attac contredirait sa réalité militante et accorderait un pouvoir indu aux journalistes et aux animateurs de télévision.
- Attac, qui conteste le pouvoir des multinationales, n’entend pas devenir amnésique lorsque la filiale d’une de ces multinationales les convie dans un studio. Lorsqu’ils parlent dans les médias, les contestataires ne sauraient ni se taire sur les médias ni se plier à la mise en scène que ces médias réclament. Ils ne sauraient oublier de rappeler le rôle des médias dans la mise en place et dans l’imposition de la pensée de marché. Il ne sauraient se priver de rappeler, à l’occasion de participation à des émissions ou tribunes offertes par un grand média, leurs critiques des médias dominants et, par exemple, la censure qu’ils opèrent lorsqu’une information vient compromettre la réputation de leurs propriétaires, actionnaires ou amis influents (mise en examen, condamnation pour plagiat, etc.)
L’objectif ultime de notre association n’est pas de passer dans les médias, mais de " passer " dans la société, c’est-à-dire de faire avancer ses priorités pour les voir devenir des choix politiques et des pratiques sociales.
3. Conformément à sa vocation d’éducation populaire, Attac se donne pour objectif d’informer sur l’information et dans ce but :
a) de diffuser par tous les moyens à sa disposition (tracts, conférences, affichage sur son site Internet, décryptage des émissions auxquelles on accepte de participer) les chiffres, les faits et les analyses des effets de la mondialisation libérale dans le domaine de l’information ;
b) d’effectuer un travail de veille médiatique qui peut tirer parti des initiatives qui existent déjà sur ce terrain-là (Acrimed, PLPL, Global Watch, Extra !, etc.) et les relayer ;
c) de conduire une critique des médias indépendante, sans se laisser dissuader par la crainte de déplaire aux journalistes. Nombre d’entre eux expriment un jugement très sévère sur leur pratique et vivent de plus en plus mal la contradiction entre les valeurs qu’ils revendiquent et les contraintes qu’ils subissent. C’est pourquoi Attac :
- appuie la constitution et le renforcement des sociétés de rédacteurs, soutient les syndicats de journalistes et les sociétés de rédacteurs et relaie leurs critiques et leurs propositions quand ils se battent pour imposer une information libérée des contraintes du rendement et des soumissions aux préférences des propriétaires de médias et pour contrer la répression antisyndicale qui existe dans ce secteur comme ailleurs ;
- ne se laisse pas laisser berner par les arguments invoqués par les critiques complaisants et les journalistes soumis quand ils récusent toute critique intransigeante sous prétexte qu’elle serait entièrement extérieure à la profession, ignorante de sa " complexité ", et donc inutile [voire néfaste parce qu’elle postulerait une recherche aléatoire de la pureté dans une société où tout étant déjà compromis, les compromissions seraient naturelles].
C’est parce que Attac est solidaire des journalistes quand ils se battent pour un droit à l’information dégagé des contraintes étatiques ou financières, que notre association critique sans ménagement les médias dominants. Ces journalistes-là ne s’en offusquent pas plus qu’on ne s’indignerait d’une critique des modes de reproduction sociale de l’école qui froisserait les enseignants ou d’une critique de la prison qui ferait de la peine aux gardiens
4. Mouvement d’éducation populaire et donc un acteur du droit à l’information, Attac entend contribuer à la défense de ce droit qui est d’abord le droit à une information différente de celle que diffuse les médias dominants. C’est pourquoi Attac se propose :
- de rappeler inlassablement que liberté de la presse se justifie d’abord par le droit à l’information qui est compromis quand la liberté de la presse est confisquée à des fins commerciales par les défenseurs de l’ordre néo-libéral.
- d’intensifier son propre rôle de média alternatif, de soutenir les médias alternatifs qui partagent ses principaux objectifs et de s’appuyer sur eux, le cas échéant en leur réservant ses meilleures analyses.
- de soutenir l’internet non marchand et solidaire, dans la mesure ou cet outil (qui demeure toutefois socialement et générationnellement inégalitaire) offre des possibilités d’information et de communication à bon marché.
5. Conformément à son combat pour la défense et l’amélioration des services publics, Attac entend participer aux combats pour l’extension et le renforcement du service public et pour soustraire l’information du statut de marchandise. La logique de la concurrence entre un secteur privé et un secteur public sous-financé et livré à la publicité conduit à la dégradation mécanique de l’information publique. C’est pourquoi Attac :
- appuie la bataille pour la défense de la propriété publique dans les médias, et du service public dans des médias publics de plus en plus dépendants d’une logique purement commerciale. ;
- soutient la revendication d’une suppression à terme de la publicité dans l’audiovisuel public, défendues notamment par les organisations professionnelles de ce secteur, et d’une taxe sur la publicité reçue par les chaînes privées, destinée à financer les chaînes publiques et alternatives.
En tout cas, si les médias de masse exercent un quasi monopole sur le journalisme, ils n’ont pas le monopole de l’information. L’information, la connaissance, le divertissement sont également le produit d’une pratique sociale : les gens s’informent sur la société, se mobilisent pour la transformer, se cultivent, voire se divertissent à travers leurs conditions d’existence ; les débats entre amis et camarades, les réunions publiques, les luttes collectives, la lecture d’ouvrages, l’école sont autant de formes de " médias " alternatifs, susceptibles à ce titre de contredire et de combattre l’information officielle. Se croire condamné au silence social pour peu que l’on ne se soumette pas aux médias dominants, ce serait leur concéder une grande victoire : l’idée qu’il serait impossible d’agir et de vivre sans eux et que, sans eux, aucun autre monde n’est possible.
REFERENCES :
Livres
– Accardo Alain, Abou Georges, Balbastre Gilles, Balbastre Patrick, Binhas Stéphane, Dabitch Christophe, Puerto Annick, Roudie Hélène, Stechel Joelle, Journalistes précaires, Le Mascaret, Bordeaux, 1998
– Accardo Alain, Abou Gorges, Balbastre Gilles, Marine Dominique, Journalistes au quotidien. Ouitls pour une socioanalyse des pratiques journalistiques, Bordeaux, Le Mascaret, 1995
– Bourdieu Pierre, Sur la télévision, Paris, Liber-Raisons d’Agir, 1996
– Bouveresse Jacques, Schmock ou le triomphe du journalisme. La grande bataille de Karl Kraus, Paris, Seuil, 2001
– Brémond, Janine et Greg, L’édition sous influence, Liris, 2002
– Champagne Patrick, Faire l’opinion. Le nouveau jeu politique. Paris, Minuit, 1991
– Chomsky Noam, Les médias et les illusions nécessaires, K films Editions, Paris, 1993
– Halimi Serge, Les nouveaux chiens de garde, Paris, Liber-raisons d’Agir, 1997
– Junqua Daniel, La presse, le citoyen et l’argent, Folio Actuel ,n° 71, 1999
– Mattelart (Armand) : " La mondialisation de la communication ", PUF, Que Sais-je, 1998.
– Neveu Erik, Sociologie du journalisme, La Découverte (coll. Repères), 2001
– Péan Pierre & Nick Christophe, TF1, un pouvoir, Paris, Fayard, 1997
– Ramonet Ignacio, La Tyrannie de la communication, Folio Actuel n° 92, 2001
– Ruffin François, Les Petits soldats du journalisme, Les Arènes, (à paraître en janvier 2003)
– Tailleur Jean-Pierre, Bévues de presse, Le Félin, 2002
– Vidal Dominique et Halimi Serge, " L’opinion, ça se travaille ". Les médias et les " guerres justes ". Du Kosovo à l’Afghanistan, Marseille, Agone, 2002
Revues et journaux
– Actes de la recherche en sciences sociales : L’emprise du journalisme, n°101-102, mars 1994 et Le journalisme et l’économie, n°131-132, mars 2000
– Pour Lire Pas Lu (PLPL), bimestriel de critique des médias (BP 2326 F-13213 Marseille cedex 02)
– Manière de Voir, " L’empire des médias " (mai-juin 2002).
Sites et Associations
– Acrimed (Action-Critique-Médias) : [ici l’ancienne adresse, lien périmé, supprimé en août 2013 ]
– Transnationale (Portail d’information sur les entreprises et les marques) : http://www.transnationale.org/
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Lire la première partie : I. Les médias et la mondialisation libérale