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Robert Ménard (RSF) sanctifié par Le Monde

par Jean Teulière,

TF1 a les pièces jaunes de Mme Chirac, Le Monde a RSF de Robert Ménard. En ces temps d’unanimisme humanitaire [1], l’occasion était trop belle pour le quotidien du soir de verser son écot à une cause irréprochable : Reporters sans frontières.

Le Monde (21/01/05) consacre une pleine page " Horizons " à " La saga Reporters sans frontières ". L’actualité le justifie : l’association aura bientôt vingt ans, elle " se mobilise actuellement pour Florence Aubenas, journaliste à "Libération", disparue en Irak " (chapô), et, hier, pour Christian Chesnot et Georges Malbrunot...

Mais l’intérêt - voire l’objectif ? - de l’article, est aussi qu’il tente d’apporter, longuement (sur pas moins de deux tiers de sa longueur), une réplique aux principaux reproches formulés à l’encontre, non pas de l’association, mais de l’orientation que lui a donnée son fondateur et principal animateur, Robert Ménard.

Saint Ménard, ami des patrons de presse

Dès le tout début du papier, Ménard est sanctifié sans retenue : si l’" on se prend à penser que Robert Ménard, 52 ans, a forcément beaucoup d’amis " (sic), c’est que " s’il y a bien une personne qui ne ménage jamais sa peine quand un journaliste est en difficulté ou en danger, c’est bien le secrétaire général et fondateur de Reporters sans frontières (RSF). Infatigable, pugnace, il est de tous les combats. "

A bon entendeur, salut ! Tous les journalistes au garde-à-vous ! Bien téméraire serait celui qui oserait ébrécher cette vivante statue ! La même semaine - malencontreuse coïncidence - les grèves dans la fonction publique donneront lieu à de multiples commentaires sur la gangrène du " corporatisme "...

Ménard a " longtemps été militant de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) avant d’effectuer un bref passage au Parti socialiste ", indique l’auteur de l’article, Laurent Mauduit. Lequel était encore récemment directeur adjoint de la direction du Monde, réputé proche du directeur de la rédaction Edwy Plenel, avant d’être emporté dans la chute de ce dernier...

A sa fondation en 1985, grâce au soutien de Rony Brauman, alors président de Médecins sans frontières, et du journaliste Jean-Claude Guillebaud, " l’association entend avant tout promouvoir des formes de journalisme alternatif "." Très vite, c’est l’échec : les reportages en question, réalisés par des journalistes dont ce n’est pas la spécialité, ne trouvent guère de publications prêtes à les accueillir. "

" Rectifiant le tir ", RSF " fait appel à des plumes connues ". De cette période, Le Monde retient une seule anecdote, puisée dans un livre de Ménard (Ces journalistes que l’on veut faire taire, Albin Michel, 2001), celle qui enfonce... Régis Debray.

Changement de cap à nouveau pour RSF, que Le Monde résume ainsi : " Adieu le tiers-mondisme ! Vive les droits de l’homme ". Ce qui, selon Le Monde, se traduit par deux " registres de combats " :
1. " Sorte d’Amnesty International spécialisée dans la défense des journalistes, elle défend partout où elle le peut la liberté de la presse ".
2. " elle se veut aussi un lieu de débat et de réflexion critique sur la presse ". On traite de l’attitude des médias " lors de la première guerre du Golfe ", " dans l’affaire de la découverte (sic) du charnier de Timisoara en Roumanie ", etc.

Mais Ménard, " dans un souci d’efficacité autant que par tempérament " (sic) choisit délibérément d’abandonner... le deuxième aspect, la critique des médias : il ne veut pas risquer d’entrer en conflit avec les grands patrons de la presse française :

" Je découvre, en somme, qu’il est difficile de mener de front nos deux activités : pour défendre les journalistes dans le monde, nous avons besoin du soutien consensuel de la profession, tandis que la réflexion critique sur le métier de journaliste prête par définition à polémique. Comment, par exemple, organiser un débat sur la concentration de la presse et demander ensuite à Havas ou à Hachette de sponsoriser un événement ? "
écrit-il en 2001 dans son livre Ces journalistes qu’on veut faire taire (passage auquel Acrimed avait alors fait écho, lire Le prix de l’indépendance à... RSF).

Plus loin, on lira :
" Un jour, nous avons eu un problème d’argent. J’ai alors appelé l’industriel François Pinault pour qu’il nous apporte son aide. Cela allait totalement à l’encontre de ses intérêts, mais il a répondu aussitôt à ma demande. Et c’est cela, seul, qui compte ".
Au moins, c’est clair... (Lire aussi A RSF, l’argent n’a pas d’odeur... [2]).

Comme pour enfoncer le clou, peu de temps après le virage à 180 degrés, Ménard ne trouve rien de mieux que d’avoir recours à Patrick Poivre d’Arvor, lequel vient juste de commettre une des plus grossières manipulations de l’histoire de la télévision française : la fausse interview de Castro (en langue Le Monde : " le présentateur de TF1 a peu auparavant été au centre d’une vive controverse au sujet de sa vraie-fausse interview de Fidel Castro à Cuba ").

" Après quelques incidents du même type, RSF est donc confrontée à une grande crise de croissance ". Les cofondateurs Jean-Claude Guillebaud, premier président de l’association, et Rony Bauman, démissionneront...
Guillebaud : " Je pensais que ce type d’association ne pourrait conquérir sa légitimité que si elle consacrait autant d’énergie aux dévoiements de la presse dans les pays riches - à l’information-spectacle, à la concentration... - qu’aux entraves à la liberté de la presse dans les autres pays ".

Tandis que Brauman " continue de déplorer l’autoritarisme de Robert Ménard et la "dictature domestique", qu’il fait, selon lui, régner sur RSF. " On remarquera, ici, le choix du style indirect par Le Monde.

Critique sans frontières de la critique des médias

Une fois neutralisés les " ennemis de l’intérieur ", restent ces fâcheux qui ont le tort de croire encore en la nécessité d’une critique des médias.

" Est-il ainsi pris à partie par la revue PLPL (animée par Pierre Rimbert et par le journaliste du Monde diplomatique Serge Halimi) qui, en août 2001, voit en RSF l’un des outils servant à "camoufler la peste médiatique en bienfait universel", et en son animateur un symbole du "trotsko-reniement mondain" ? L’intéressé attend son heure, mais la réplique finira par venir, et elle sera violente. Dans Médias (n° 1, été 2004), une revue lancée dans l’orbite de RSF, Robert Ménard cosigne avec Pierre Veilletet un article vengeur, intitulé "La guérilla des altermondialistes contre l’info", dans lequel il pointe par le menu les outrances auxquelles se livrent selon lui certaines figures de proue de la gauche radicale dans leur critique des médias. Sans parler, pour quelques-uns d’entre eux, de leur complaisance avec le régime de Fidel Castro à Cuba. " [3]

Cette présentation est remarquable par ce qu’elle dit, mais aussi par ce qu’elle tait : Le Monde annexe l’article de Ménard et Veilletet dans Médias à sa vindicte et l’accommode à sa convenance. En effet, la charge des deux compères n’était pas une réplique au seul PLPL, mais aussi à Pierre Bourdieu, Ignacio Ramonet (du Monde Diplomatique... groupe Le Monde), à l’Observatoire Français des Médias (OFM), ainsi qu’aux " rossignols du marxisme recyclés dans Attac and Co. ". Tous omis par le journaliste du Monde.

Quant à PLPL, ce n’est pas la première fois que Le Monde lui réserve ses attaques ; elles sont toujours d’une rare médiocrité, mais ne répugnent pas, à l’occasion, aux procédés dignes des pages les plus noires de l’histoire de la presse [4]...

En ce qui concerne ce numéro de Médias, la " réplique " à PLPL aura été tellement " violente " que son écho a été quasiment nul hors du clan groupusculaire qui entoure ses auteurs [5].

Laurent Mauduit poursuit... Aujourd’hui, " le petit groupe qui a fondé RSF ne s’est pas réconcilié ". Mais que pèse-t-il, face aux " 1 800 adhérents (journalistes ou non) " (sources ?), au " budget de 3 millions d’euros ", aux " permanents dans quelques grands pays ", au " réseau de correspondants "... Tout cela " dans un souci d’efficacité autant que par tempérament " ?

Ménard, nous dit-on, " se fait un malin plaisir à rendre coup pour coup " (sic). Mais l’article se conclut par une sentence de Jean-Claude Guillebaud, premier président de RSF : " Si RSF avait engagé ce travail dignement, l’espace n’aurait pas été occupé par d’autres, avec tous les excès que l’on a connus. C’est ce que je dirais à Ménard si je le rencontrais : "Tu vois... le boulot auquel nous avons renoncé, il a été fait par d’autres, mais beaucoup moins bien" ". Une forme d’hommage involontaire...

 
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Notes

[1Interrogé le 9 janvier 05 dans " Arrêts sur images " (France 5) à propos du traitement par les journaux télévisés du tsunami asiatique, l’ancien président de Médecins sans frontières Rony Brauman déclarait :" Ces grandes mobilisations pour la vertu, cela a quelque chose d’un peu totalitaire. Quand la presse n’a plus d’autres objectifs que de nous asséner des leçons de vertu, de nous dicter des comportements moraux, cela m’évoque des milieux totalitaires. Quand la presse quitte son rôle qui est de nous informer, de nous permettre de comprendre, de prendre une certaine distance critique, elle rejoint ce genre de travers. "

[5Il faudra revenir sur la revue Médias, succursale de RSF et cache-misère de son Président et de son ex-Président, sponsorisée gratuitement par... Le Monde : une revue et des auteurs qui méritent le détour.

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