Dès le jour de la parution du livre de Péan et Cohen (26 février 2003), la première contre-offensive du Monde propose aux lecteurs du quotidien, sans la moindre trace de « haine » comme on s’en doute, non seulement d’amalgamer toutes les contestations dont Le Monde a fait l’objet depuis les années 50 [1], mais de réunir dans un même « complot », aux accents antisémites, Serge Halimi, Pierre Péan et Philippe Cohen. A l’aide d’une citation sortie de son contexte, un journaliste anonyme du Monde débusque, au terme d’une patiente investigation, l’antisémitisme latent du premier nommé (et du journal Pour Lire Pas Lu) [2]. A l’aide d’un propos inoffensif rapporté par les seconds, Pierre Georges produit un « faux » accusateur. Lire ici même : « La contre-attaque préventive de Spinoza ».
Dans une chronique de Libération centrée sur les rapports entre Le Monde et le quotidien gratuit 20 minutes, Pierre Marcelle met en cause, dans une note (lien périmé), le détournement effectué par Pïerre Georges sans sa propre chronique intitulée « Fierté » (Le Monde, 26 février [3]). Pierre Georges s’empresse, dans une réplique immédiate intitulée « Merci Docteur » (Le Monde, 27 février), de ne rien dire de ce détournement falsificateur, mais de préciser qu’il « ne renie pas un mot » de sa « fierté ».
En revanche, Charlie Hebdo, que Pour Lire Pas Lu ne ménage guère, s’interroge ironiquement, dans une page réalisée par Stéphane Bou et Riss, sur la réaction possible du Monde Diplomatique et poursuit :
« La mise en œuvre de sa critique des médias appliquée à la maison mère sera d’autant plus précieuse et palpitante que Serge Halimi est nommément apostrophé par Edwy Plenel (qui doit sans doute chercher à provoquer des divisions au sein de sa filiale), et d’une manière assez abjecte et tendancieuse. Dans un encadré qui suggère que Le Monde est « la cible d’attaques croisées des extrêmes dans des livres pamphlétaires et des libelles des années 50 » (26 février), Plenel met en cause l’auteur des Nouveaux Chiens de garde, membre de la rédaction du Monde diplomatique, en l’associant à une publication - PLPL - dont il laisse croire qu’elle serait antisémite ».
Le médiateur du Monde, pourtant, ne semble ne rien avoir lu qui mérite son intervention.
Et ça continue…
Dans Le Monde du 6 mars un article de Jean-Marie Colombani - « A nos lecteurs » - commence ainsi :
« Il fut une époque, sinistre, où Blum était " un homme à fusiller dans le dos ". La nôtre, par le biais d’un invraisemblable déferlement de haine, relayé jusqu’à plus soif, a fait feu sur Le Monde. Avec une arme : la calomnie. »
A cette référence à l’antisémitisme dont fut victime Léon Blum (et à quelques autres allégations du même genre), Pierre Péan et Philippe Cohen répondent dans Libération du 7 mars :
« Notons d’abord qu’il s’agit d’une phrase ex traite d’un éditorial de Charles Maurras, dans l’Action française du 9 avril 1935, puisque le président du directoire du Monde n’a pas jugé utile de le préciser. Cette attaque ignominieuse survient après de nombreuses autres, de Pierre Georges, d’Edwy Plenel et d’Alain Minc, ce dernier nous comparant aux journalistes de Gringoire, une feuille antisémite des années 30. Dans les années 50, également, les dirigeants communistes dénonçaient les dissidents comme des « fascistes ». »
Le 6 mars au soir, dans l’émission « Campus », animée par Guillaume Durand sur France 2, Jean-Marie Colombani, Edwy Plenel et Alain Minc répondent à des mises en cause personnelles qu’ils jugent, eux aussi, « ignominieuses ». Mais en reprenant les termes mêmes de leur contre-offensive. Ainsi, Edwy Plenel ressasse la citation détournée sur la « femme juive d’expérience » [4] et Alain Minc note finement à propos des accusations portées contre Jean-Marie Colombani : « judéo-corse, ils ne l’ont pas écrit mais ce n’est pas loin ».
Judéophobie contre francophobie ? Cette surenchère dans la guerre des mots et des allégations - des imputations fétides aux accusations calomnieuses - en dit long sur les versions médiatiques du débat public.