Entre le 21 et le 23 août 2025, l’« affaire Pérou » s’est constituée en véritable sujet d’indignation politico-médiatique. Communiqués des journalistes politiques sur place (X, 22/08), communiqué d’une trentaine de SDJ (dont celles d’Arrêt sur images, Mediapart, Blast, BFM-TV, LCI, L’Humanité, Les Échos, etc.) dénonçant un « coup de semonce pour toute notre profession », communiqués des syndicats de journalistes, prises de position de personnalités politiques, d’éditorialistes et de figures publiques ou de maisons d’édition… Et une avalanche d’articles dans les grands médias, notamment dans Le Monde, Libération et Mediapart. Le Monde a publié au moins quatre articles, dont un billet virulent de son directeur, Jérôme Fenoglio, dénonçant une « entrave caractérisée à la liberté de la presse ». Libération a publié trois articles, dont un annonçant le retrait de son journaliste des Amfis en signe de « protestation » [2]. Mediapart, de son côté, a consacré un long article à l’affaire, accusant LFI de franchir une « ligne rouge jusqu’ici traversée par l’extrême droite » ; et sa présidente, Caroline Fouteau, s’est aussi fendue d’un billet de blog [3]. Exception faite d’une tribune publiée par Hors-Série, l’indignation est unanime…
Une indignation qui s’appuie pourtant en partie sur un faux constat : l’épisode serait inédit… et limité jusqu’à présent à la seule extrême droite. Or, ce n’est ni la première fois concernant Jean-Luc Mélenchon (« Le Petit Journal » en 2012, « Quotidien » en 2019), ni la première fois tout court dans le champ politique : le président Macron, par exemple, s’étant particulièrement illustré en la matière (dès 2017).
Cette indignation s’appuie aussi sur un double discours. La « liberté de la presse » constituerait ici un « principe » immuable : on ne trie pas les journalistes. Pourtant, il arrive que les « non-accréditations » de certains médias – perçus (parfois à juste titre) comme sulfureux – soient considérées comme tout à fait légitimes. Ce fut le cas par exemple pour RT, ou, plus récemment, pour Frontières (le groupe parlementaire Écologiste et Social demandant par exemple en avril dernier la « suspension temporaire et immédiate de l’accréditation de Frontières à l’Assemblée nationale »). Il est dans ce cas admis, et on le comprend aisément, que les pratiques journalistiques et les lignes éditoriales puissent être prises en compte dans la décision d’accréditer ou non un journaliste. En l’occurrence, LFI a justifié sa décision en accusant Pérou d’avoir « lourdement diffamé » le mouvement dans La Meute, co-écrit avec Charlotte Belaïch (Libération), un ouvrage qui dépeint LFI comme une organisation autoritaire centrée sur Jean-Luc Mélenchon.
L’accréditation est-elle un droit inaliénable des journalistes ?
Au-delà de critères « logistiques » (place limitée, sécurité), la question est donc celle-ci : les organisations politiques sont-elles légitimes à prendre en compte d’autres facteurs, comme les pratiques journalistiques ou la ligne éditoriale ? Ce n’est pas une question nouvelle : au début du XXe siècle par exemple, se posait, « dans les milieux syndicaux », « la question du rapport à entretenir avec les journalistes : faut-il continuer à les accueillir dans les congrès et à répondre à leurs sollicitations ? » [4] De même, les mobilisations sociales depuis au moins 20 ans font face à un enjeu récurrent : faut-il accepter certains journalistes lors d’assemblées générales ou de manifestations ? Ce sont bien deux légitimités qui s’affrontent.
Mais si la « polémique » de cet été, qui dépasse la question de l’accréditation en soi (la pratique est courante dans de nombreux autres champs : sport, culture, etc.), a pris tant d’importance, c’est pour trois raisons. D’abord parce qu’elle concerne un événement à caractère politique : si on comprend de ce point de vue l’exigence de transparence, on peut regretter l’absence de discernement entre ce que signifie ne pas accréditer un journaliste quand on est le pouvoir en place [5], et ce que cela signifie lorsqu’on est un parti d’opposition.
La deuxième raison, il faut bien l’admettre, tient à ce que les accusations contre LFI s’inscrivent dans un climat médiatique à charge : il ne faut qu’une pièce pour que le juke-box médiatique se mette à jouer à plein tube.
Enfin, on ne peut clore sans mentionner le haut corporatisme de la profession, et plus encore du journalisme politique, historiquement réticent à toute remise en question. Ce fut la même indignation généralisée, pour des motifs différents, lorsque LFI avait diffusé une affiche épinglant Nathalie Saint-Cricq. Et de ce point de vue, toucher à Olivier Pérou, et donc au Monde, c’est s’en prendre à l’élite journalistique.
Mathias Reymond