« J’ai quitté le plateau de Morandini sur CNews ce matin. Un sondage sur l’Islam de France, commandé par Le Figaro à l’Ifop, basé sur un échantillon de 1 000 sondés, ne peut résumer la position des jeunes musulmans de France », tweete, ce 18 novembre, la conseillère municipale d’Ivry-sur-Seine (et macroniste) Rachida Kaaout. Au programme du plateau ce jour-là : un sondage de l’Ifop sur les « musulmans de France » – celui-là même qui sera démonté par Mediapart deux jours plus tard. Ce n’était, ô surprise, pas l’angle d’attaque du jour. Au contraire même, puisque la prise de distance avec ce sondage, tentée par Rachida Kaaout, va lui valoir les foudres de Jean-Marc Morandini, animateur au sinistre pedigree.
Acte 1 : « C’est comme ça que ça se fait un sondage, vous dites n’importe quoi ! »
Au départ, il y a cette question : « Rachida Kaaout, votre regard sur ces trois chiffres ? Je voudrais juste qu’on se concentre sur ces trois chiffres, parce que pour moi ils sont très significatifs sur les jeunes de moins de 25 ans. »
Mais, problème, la conseillère municipale n’apporte pas la réponse attendue : « Moi, ce qui me pose problème, c’est la radicalisation. Après, maintenant, si je dois commenter votre sondage, je vais vous dire, sur un échantillon de 1 000 personnes, c’est ça ? Pour moi, il n’est pas représentatif de la réalité… » C’en est (déjà) trop pour Morandini, qui va recouvrir la voix de son invitée par des invectives et une même question, serinée à l’infini : « Un sondage politique, ça se fait sur combien de personnes ? »
Précisons-le d’emblée : les échanges qui suivent se basent sur une intox : si l’échantillon du sondage en général est bien de 1005 « personnes musulmanes », celui sur les moins de 25 ans est en fait de 291 personnes [1].
Morandini, ni personne d’autre sur le plateau, ne le précisera. L’animateur était semble-t-il trop occupé à rabrouer son invitée : « Quand le thermomètre dit de mauvaises choses, on casse le thermomètre en fait. » ; « Soyons sérieux ! » ; « Vous pouvez pas dire le sondage vaut rien parce qu’il vous plaît pas ! » ; « Là, c’est un sondage énorme, qui a été fait sur des centaines de personnes et on a retenu 1 000, qui étaient musulmanes en plus ! » ; « Mais enfin, c’est les sondages, c’est comme ça que ça se fait un sondage, vous dites n’importe quoi ! » ; « Arrêtez, vous répétez la même chose, vous êtes une machine à répéter la même chose ! » ; « Alors, je [ne] vous interroge plus. Je ne vous interroge plus. Je-ne-vous-interroge-plus ! » ; « Rachida Kaaout, essayez de répondre à ma question, autrement vous arrêtez de parler. » ; « Arrêtez, ça n’a aucun intérêt ce que vous dites… » ; « Arrêtez ! » ; « C’est pas parce que vous répétez 25 fois la même chose que c’est une vérité ! » ; « Vous répétez 25 fois n’importe quoi ! » ; « Stop ! » ; « Ça suffit ! »
Et de conclure ce premier acte avec un aveu… cristallin : « Ça m’intéresse pas de parler avec vous. »
Acte 2 : « Vous faites du bruit avec votre bouche, c’est tout ce que vous faites. »
15 minutes plus tard, c’est le feu d’artifice. Alors que Rachida Kaaout tente à nouveau de participer au débat, Morandini s’interpose : « Non, non, non, non, non ! Je ne vous donne pas la parole sur ce sujet ! »
Et de recouvrir, une nouvelle fois, son invitée : « Rachida, vous n’avez pas la parole. Ce sondage ne vous intéresse pas, il ne vaut rien, je ne vous donne pas la parole sur ce sujet ! » ; « Vous m’entendez ou pas ? Est-ce que vous m’entendez, Rachida ? » ; « Moi, je vous le dis, je ne vous donne pas la parole ! Je ne vous donne pas la parole sur ce sujet ! » ; « Mais vous [ne] constatez rien ! » (4 fois) ; « Vous faites de l’intox. » (3 fois) ; « Je vous donne pas la parole. » ; « Vous faites du vent. » ; « Vous faites du bruit avec votre bouche, c’est tout ce que vous faites. » (2 fois) ; « Ce que vous dites ne sert à rien. » « Non, parce que vous n’avez pas de solution, vous faites du vent. » ; « C’est du vent. » ; « Vous n’avez pas la parole… » ; « Est-ce que vous m’entendez ? Est-ce que vous m’entendez ou vous avez un problème d’audition ? » (2 fois) ; « Je veux que vous répondiez aux questions ou alors que vous ne parliez pas ! » ; « Alors répondez aux questions ! » ; « Non ! Non, non, vous ne répondez jamais aux questions. Vous n’avez pas la parole, ça vous l’entendez ? » ; « Est-ce que vous entendez que vous n’avez pas la parole ? » ; « Est-ce que vous entendez que vous n’avez pas la parole ? »
Et une troisième fois, fatale :
- Jean-Marc Morandini : Est-ce que vous entendez que vous n’avez pas la parole ?
- Rachida Kaaout : Alors, je m’en vais.
- Jean-Marc Morandini : Eh ben au revoir !
- Rachida Kaaout : Et bien, au revoir, très bien…
- Jean-Marc Morandini : Au revoir, merci d’être venue.
- Rachida Kaaout : Je ferai [inaudible] mon commentaire, merci…
- Jean-Marc Morandini : Vous ferez votre commentaire toute seule puisque vous parlez toute seule de toute façon.
- Rachida Kaaout : Vous ne voulez pas de solution !
- Jean-Marc Morandini : Non, je veux avoir des gens qui répondent aux questions, et pas des gens qui font du bruit avec leur bouche juste histoire d’occuper le terrain. Merci, au revoir !
On est certainement là face à un chef d’œuvre d’interrogatoire journalistique – un de plus dans le (long) palmarès de Jean-Marc Morandini. D’où cette question, lancinante : que fait-il encore sur un plateau de télévision ? Et, qui plus est, sur une chaîne qui bénéficie d’une fréquence publique ? Allô l’Arcom ?
Maxime Friot





