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Guerre et service militaire : les médias sonnent le tocsin

par Jérémie Younes,

Mercredi 19 novembre, devant le Congrès des maires de France, le chef d’état-major des armées, le général Fabien Mandon, a estimé que la France était « en risque » face à la « Russie de Vladimir Poutine » si le pays n’avait pas la « force d’âme » d’accepter « de perdre ses enfants » à la guerre. Sans attendre, de nombreux médias se sont emparés de cette déclaration pour décréter la mobilisation générale…

« À quoi nous prépare le général Mandon ? » demande inquiet Maxime Switek, sur BFM-TV. Il est 21h08 ce mercredi 19 novembre quand le présentateur prend connaissance des « propos chocs » du chef d’état-major des armées. Un bandeau accompagne sa lecture de la déclaration : « Si notre pays flanche – écoutez-bien – insiste Maxime Switek, si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, alors on est en risque ». Léger moment de sidération sur le plateau – qui jusqu’ici parlait de la neige. La mine grave, la journaliste maison Elsa Vidal lui répond : « Une guerre, c’est finalement la confrontation de deux volontés, et il est important que "l’arrière", les civils, soient disposés à ce que cette guerre ait lieu ! Mais la formulation du chef d’état-major est quand même… j’ai envie de le dire… malheureuse. »

Les déclarations « chocs » de Fabien Mandon vont en effet, dans un premier temps, provoquer un « tollé » dans la classe politique. Les politiciens de presque tous les bords s’en indignent, et les premiers articles, publiés dans la foulée de la dépêche AFP rapportant le discours du général, portent presque tous sur ces réactions politiques assez univoques. À peine prononcés, voilà en tout cas les mots du chef d’état-major des armées propulsés à la Une de l’actualité. Le lendemain, le ton change, avec la ministre des Armées Catherine Vautrin qui « vole au secours » (JDD, 20/11) du général Mandon, expliquant (sur X) que ses propos ont été « sortis de leur contexte » et qu’il était parfaitement fondé à les tenir.


« Faut-il préparer les Français à la guerre ? »


La machine médiatique se met en branle à toute vitesse, et les réactions des politiciens sont rapidement recouvertes par le commentariat des éditorialistes, qui ont reçu l’incitation de la ministre et se font les exégètes du général Mandon. « Vous voyez bien que la guerre est revenue en Europe et que la menace existe, justifie Didier François, « éditorialiste défense BFM-TV », à peine une heure après les déclarations du chef d’état-major : ce qui est important c’est de dissuader l’ennemi […] pour cela, il faut que nos adversaires soient persuadés qu’on est prêts, qu’on sera prêts à se battre et qu’on acceptera la bagarre ». « Ça fait peur ! » réagit la présentatrice Julie Hammett, avant de se tourner vers un nouvel éditorialiste, Ulysse Gosset : « Effectivement, les mots sont très forts et ils sont inquiétants, et quand les Français les entendent, ils se disent, "est-ce que la guerre est pour demain ?" » Selon l’éditorialiste, qui se demande à voix haute si « les Français sont prêts à entrer en guerre », ce n’est pas encore « un appel à la mobilisation générale, mais c’est un appel à la prise de conscience ». Les Français ne sont d’ailleurs pas les seuls inquiets, ajoute Gosset, « les services allemands, les services britanniques, disent tous la même chose ». Didier François rebondit : « Pour ceux qui croient que c’est politique… » « Ça c’est un message à Jean-Luc Mélenchon », relève la présentatrice.

Le lendemain matin (20/11), sans doute prise de court par l’actualité, BFM-TV déploie un procédé pour le moins surprenant : l’invité de la matinale de Laurent Neumann n’est nul autre que… Didier François, « l’éditorialiste défense » maison, encore lui. BFM-TV interviewe BFM-TV, et cette fois, la fonction d’exégète du général Mandon que remplissait symboliquement la veille au soir l’éditorialiste est explicitée littéralement sur le bandeau : « Chef des armées : que voulait-il dire vraiment ? » Didier François va nous le dire : « On a cru pendant des années, enfin pendant les 30 dernières années, que la parenthèse exceptionnelle de paix que nous avons vécue était la norme ! Bah on est en train de se réveiller… Alors c’est évidemment difficile pour l’autruche de sortir la tête du sable, parce que c’est désagréable… honnêtement ça gratte. Mais la vérité c’est ça, c’est qu’on revient à un monde normal tel qu’on le connaissait avant ». Un monde « normal » est celui où la guerre plane sur chaque enfant.

Sur RTL, dans l’émission d’Anne-Sophie Lapix (20/11), le ton est moins familier, mais le fond n’est pas bien différent : « La Russie de Vladimir Poutine, manifestement, nous considère comme un adversaire », avance son invitée Muriel Domenach, ancienne ambassadrice de France à l’OTAN. « Nous sommes déjà en guerre », explique quant à lui l’immanquable Michel Goya, ancien colonel et « expert en stratégie militaire », qui explique qu’il fulmine en entendant les pacifistes s’insurger des déclarations du chef d’état-major : « Si la nation n’est pas prête à cela, si elle considère que ce sacrifice n’est pas utile ou nécessaire, et bah c’est pas la peine quoi… on perd, en réalité, la vraie force… la vraie force des nations c’est dans cette volonté en réalité, de prendre des risques, pour essayer d’obtenir quelque chose… » Anne-Sophie Lapix passe ensuite la parole à Jean-Marie Bockel – ex-ministre sous Mitterrand et sous Sarkozy dont le fils, militaire, a été tué au Mali. Puis à Michel Duclos, ancien diplomate, qui parle de la « menace russe aux portes de l’Europe » et explique qu’il y a un vrai « besoin de pédagogie » à ce sujet. Anne-Sophie Lapix constate que son plateau est à sens unique et le verbalise : « On va parler dans un instant des réactions […] qui ne sont pas forcément très positives ou aussi unanimes que sur ce plateau… » Ce sera après la pub, et ce qui fera office de contradictoire est un petit « sonore » de Jean-Luc Mélenchon. La même unanimité se retrouve sur le plateau de LCI, dans l’émission « 24h Pujadas » (20/11) : « J’ai d’abord envie d’entendre le colonel, le colonel de réserve Servent, Pierre, est-ce que c’est alarmiste ou est-ce que c’est indispensable cette déclaration du chef d’état-major ? » « Indispensable », répond sans hésiter son invité, qui est éditorialiste sur la chaîne. Jean-Dominique Merchet introduit une petite nuance et trouve que ce discours « doloriste » est une « formidable erreur de communication », même s’il n’en conteste pas le fond (« Je ne suis pas un pacifiste », dira-t-il) À ses côtés, Isabelle Lasserre du Figaro est beaucoup plus enthousiaste : « Pour qu’un bâtard [1] puisse être tué, il faut que la dissuasion de la France soit rétablie ! La guerre étant un affrontement des volontés, il faut rétablir la volonté des Français et des Européens, qui pour moi, fait complètement défaut. » La journaliste du Figaro va plus loin :

- Isabelle Lasserre : Ce qui me choque moi en fait dans toute cette histoire, c’est qu’on a l’impression que la France sort lentement du déni qui était le sien depuis le début des années 1990 […]. Donc on se réveille depuis 2014, et surtout depuis 2022, mais tout le monde ne se réveille pas ! Alors effectivement, le chef d’état-major, lui, a pris pleinement conscience de la menace russe… c’est la Russie qui nous a déclaré la guerre ! C’est pas la France qui a déclaré la guerre…

- David Pujadas : Qui nous a déclaré la guerre ?

- Isabelle Lasserre : C’est la Russie, c’est Poutine…

- David Pujadas : … Qui a déclaré la guerre à l’Ukraine…

- Isabelle Lasserre : Non, non, à nous aussi ! Non, Vladimir Poutine considère qu’il est en guerre contre l’Union Européenne. Il lance tous les jours des actes de guerre hybride contre les pays d’Europe occidentale. […] Les extrêmes droite et gauche qui protestent contre ces propos sont celles qui depuis le début sont complètement pro-russes et défendent la…

- David Pujadas : Attendez y’a pas que les extrêmes ! Y’a pas que les extrêmes…

- Isabelle Lasserre : C’est surtout les extrêmes […]

- David Pujadas : C’est du défaitisme ?

- Isabelle Lasserre : C’est une tentation de l’apaisement, une tentation munichoise […]. C’est pas comme ça qu’on va protéger les enfants de la France

En face, Jean Quatremer parle lui aussi de Munich, de 1940 et de « désarmement moral », et se réjouit des déclarations du chef d’état-major : « C’est très bien que ça choque ». Ces tirades inspirent une question à David Pujadas : « Pour refamiliariser [les jeunes] avec l’idée de guerre, est-ce qu’il faut d’abord mettre l’accent sur la mort ? »

Les « experts militaires » ou les militaires tout court vont ainsi se succéder sur les plateaux et dans les colonnes des journaux. L’amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine, est sur RTL (20/11) dès le lendemain matin des déclarations du général Mandon. Le général Vincent Desportes pointe sur RTL (20/11), RMC (21/11), Europe 1 (27/11) et Marianne (26/11). Michel Goya est lui sur RTL (20/11), BFM-TV (21/11), France 5 (22/11), ainsi que dans Le Point (21/11). L’ancien chef d’état-major de l’Armée de l’air Jean-Paul Paloméros est sur France Info (21/11), BFM-TV (21/11), CNews (21/11, une journée chargée !), ou RMC (24/11). Pierre Servent passe lui presque tous les jours sur les chaînes de son employeur, TF1 ou LCI, mais aussi occasionnellement sur France Inter (27/11). Le général Mandon sera lui-même invité dans « C à Vous » (France 5, 22/11), pour réitérer ses propos tout en s’excusant d’avoir pu heurter. Bref, un véritable « journalisme de caserne » au service, pendant toute une semaine, de l’objectif admis par Pujadas : refamiliariser la population avec l’idée de guerre.


Préparer les esprits à la guerre


La séquence éditoriale déclenchée par le discours du chef d’état-major est massive, et il est quasiment impossible d’en faire une revue exhaustive. On peut néanmoins en dégager le message de fond, qu’une dépêche AFP, reprise telle quelle ici et là, résume lapidairement : « Les autorités françaises tentent de préparer les esprits à la guerre » (20/11). La dépêche note que le gouvernement français a, le même jour, publié en ligne « un guide de survie » en cas de catastrophe ou de conflits armés. « Les autorités tentent, depuis des mois, de préparer les esprits des Français à des sacrifices en cas de guerre. Mais le message peine à infuser », regrette ainsi Le Télégramme (21/11), dans un article titré « Pourquoi la France doit se préparer à la guerre ». « Le message passe mal », confirme un autre titre régional, Le Maine Libre (21/11). « Depuis qu’il est devenu chef d’état-major des armées, le 1er septembre, [Fabien Mandon] n’a de cesse de frapper les esprits, afin que la population civile se prépare à "un conflit de haute intensité" contre la Russie » retrace Le Parisien (21/11). « Menace russe : l’opinion, la première bataille », rappelle le bien nommé L’Opinion (21/11).

Dans Libération, les papiers oscillent entre les reproductions de dépêches sur la classe politique qui « bondit » (20/11), les « débats » lancée à la cantonade par la directrice adjointe de la rédaction Alexandra Schwartzbrod (« Faut-il accepter de perdre nos enfants, comme l’a dit le chef d’état-major des armées ? », 21/11), et les critiques très mesurées contenues dans les éditos de Thomas Legrand, qui eux non plus ne contestent pas le fond : « L’Europe est devenue un îlot de démocratie libérale assiégée. Si l’on est attaché à la préservation de ce modèle, qui a fait de notre continent le petit bout de terre le plus libre du monde, il faut effectivement se préparer à se battre et, sans doute, à faire des sacrifices. ». Mais l’on trouve aussi, dans les pages de Libé, des papiers beaucoup plus ouvertement favorables aux déclarations du général Mandon, comme celui de Jean Quatremer (20/11) : « Un appel à la mobilisation morale et économique de la nation absolument nécessaire pour que l’industrie de la défense française passe enfin en mode "économie de guerre" et que l’opinion publique comprenne enfin qu’il va falloir faire des choix budgétaires douloureux pour permettre la montée en puissance de l’armée française. Afin de décourager les nuisibles d’attaquer nos démocraties. »

Dans un long papier, titré « Derrière les polémiques stériles, ce qu’a vraiment dit le chef d’état-major des armées » (21/11), le magazine Challenges estime que le discours de Fabien Mandon « n’a rien d’une sortie de route », et que ceux qui le condamnent font preuve « de déni ou d’angélisme » : « Oui, la guerre fait des morts, écrit le journaliste Vincent Lamigeon, faire comme si cette réalité n’existait pas, comme si ce sacrifice n’était pas consubstantiel à toute intervention armée, comme si un chef d’état-major n’avait pas le droit de la rappeler, c’est faire preuve d’un déni étrange, ou d’un angélisme qui ne peut que faire les affaires de Moscou ». Le constat est le même dans les colonnes de Ouest-France (23/05), où c’est le général Daniel Brûlé qui donne son point de vue : « L’hypothèse d’une guerre impliquant la France n’est pas un objet de débat mais une réalité. » Le Monde se lance lui sur le terrain de la comparaison internationale (« Les propos du général Mandon, une position partagée en Europe », 24/11) puis regrette dans un autre papier que « la pédagogie de l’effort de défense » se déroule « en terrain miné » (25/11) : « S’exprimer sur le rapport que la nation peut entretenir à sa défense est un exercice extrêmement sensible, voire périlleux. Le chef d’état-major des armées, Fabien Mandon, en a fait l’expérience […] », écrit le journal de référence. Le Point, qui n’aime rien tant que la guerre, est bien sûr au rendez-vous. C’est d’abord Sophie Coignard qui s’y colle, avec un angle que son titre résume bien : « Royal, Mélenchon, Roussel : derrière le pacifisme, le carriérisme » (21/11). Puis c’est Kamel Daoud qui se laisse aller dans sa chronique à un lyrisme guerrier : « La France est-elle prête à envoyer ses enfants se faire tuer à la guerre ? Cette question lancée par le chef d’état-major est cruciale : c’est celle par laquelle s’affirme une nation. » Le registre de l’humour est aussi employé : c’est par exemple Sophia Aram qui fustige sur France Inter (25/11) les « patriotes en carton » et proclame toute sa confiance au général Mandon. Les Échos, enfin, par l’intermédiaire de son chroniqueur « philosophe » Gaspard Koenig, s’avance sur la question morale : « Au nom de quoi perdre ses enfants ? » (27/11) Bonne question.


Macron chef de guerre, le retour


Au fil de la semaine et des commentaires qui ont suivi les déclarations du général Mandon, la presse a commencé à bruisser d’une rumeur : le chef d’état-major était-il en « service commandé » (Libération, 21/11) pour le véritable chef des armées, le président de la République ? A-t-il pu faire des déclarations de ce type sans l’aval d’Emmanuel Macron, dont il est notoirement proche, puisqu’il fut l’un de ses conseillers ? La question est posée dans le 20h de Léa Salamé du 20 novembre. Dans le sujet diffusé, France 2 cite anonymement « un conseiller de l’Élysée », qui affirme que Macron n’avait pas supervisé le discours du général, mais qu’il en validait le fond : « La phrase isolée est angoissante bien sûr mais il faut prendre le propos dans son ensemble. Une prise de conscience est nécessaire », cite le JT. Un autre sujet est lancé dans la foulée par Salamé, pour faire « l’état précis de la menace russe ». Dans celui-ci, on peut entendre « l’expert » de l’IFRI, Thierry Gomart, dire que « la Russie a déclaré la guerre à l’Europe, d’une certaine manière ». Mais nous n’en saurons pas plus sur la « certaine manière » avec laquelle la Russie a « déclaré la guerre à l’Europe ». Dans le même JT est évoquée une rumeur qui va être, tout au long de la semaine, la deuxième jambe de la marche médiatique vers la guerre : « Selon nos informations, le président de la République doit faire des annonces dans les prochaines semaines sur la création d’un service militaire volontaire. »

Les uns après les autres, les journaux font part de leurs informations exclusives en provenance de l’Élysée et très vite le calendrier se précise : ce ne sera pas « dans les prochaines semaines », comme initialement annoncé par le JT de France 2, mais dès ce jeudi 27. Lundi 24 novembre, depuis un déplacement en Angola, Emmanuel Macron accorde un entretien à RTL et M6, diffusé le lendemain sur les deux antennes, dans lequel le président de la République apporte son soutien à son chef d’état-major – « Son propos a été déformé » – et confirme « la transformation du Service national universel vers une nouvelle forme ».

Débats de plateaux, tribunes, entretiens, éditos, comparaisons internationales, sondages, le « retour du service militaire » ouvre illico une nouvelle page de cette séquence militaro-médiatique. L’idée est chaudement accueillie par une très large partie de la presse.

Jeudi 27 novembre, depuis Varces (Isère), Emmanuel Macron annonce donc le retour du service « volontaire » et « purement militaire » de 10 mois que la presse avait teasé depuis une semaine. Sur LCI, Renaud Pila ne sait plus comment contenir son enthousiasme :

- Éric Brunet : Nous avons Renaud Pila qui lève le doigt comme un enfant sage, il veut prendre la parole. Dès qu’il y a la chose militaire, je le vois extrêmement mobilisé.

- Renaud Pila : Moi, je suis discipliné hein ! J’ai fait mes classes !

- Éric Brunet : Très bien. On vous écoute.

- Renaud Pila : […] Il va y avoir dans les jours qui viennent énormément de débats sur : « Oui mais ça ne sert à rien de faire un service national si on ne fait pas nation, s’il n’y a pas un but collectif du pays et si l’armement moral n’est pas sur l’économique et le social, mais vous comprenez… » Mais enfin ! Ça, c’est des questions, franchement… Ça, c’est des questions pour prendre le thé le dimanche à 17h ! Mais avant de prendre le thé le dimanche à 17h et de se poser dix milliards de questions philosophiques […], on met son treillis, on s’engage si on est volontaire, on s’engage ! Le cœur de cible, 18 ans, 19 ans, on s’engage pour dix mois. […] Lorsqu’on était dans les années 70, 80, 90, on ne se posait pas toutes ces questions ! On avait le service militaire obligatoire et […] on ne se disait pas « Mais oui, mais non, mais est-ce que je vais faire mon service parce que, la France, où sont les fondamentaux ? » Mais non ! À un moment donné, il y a une menace. […] [Macron], c’est le chef des armées. Lorsque le chef de l’État quel qu’il soit dit « Il y a une menace » – on la voit tous les jours, sur LCI on informe tous les jours, depuis des années il y a eu 800 morts français sur les théâtres africains ou en Afghanistan, il y a tous les jours des soldats qui risquent leur vie –, eh bien aujourd’hui, il y a une menace, il y a une menace claire, il faut demander aux Baltes, il faut demander aux Polonais, eh bien, on s’engage ! Et les débats philosophico-philosophiques, on pourra les faire le dimanche à 17h ! Là il y a quelque chose qui est clair et il y a un besoin du pays !

Caricatural chez Renaud Pila, l’enthousiasme éditorial pour cette idée marconiste va être très largement partagé, sous diverses modalités, par la quasi-totalité du paysage audiovisuel. « C’est une très bonne chose, réagit dans la foulée le général Dutartre sur BFM-TV, moi je pense que ça va faire l’unanimité ! ». « Quand vous êtes volontaire pour dix mois, ajoute le chef du service international, Patrick Sauce, à moins d’une très mauvaise expérience, en fait vous êtes, je dirais non pas fana-mili [sic], mais un ami de la famille militaire pour la vie ! »

Même euphorie sur CNews, dans l’émission de Laurence Ferrarri : « Moi, je trouve que c’est une initiative formidable que de remettre quelques jeunes sous les drapeaux ! On est d’accord ? » « Absolument, on peut terminer le débat », acquiesce son invité, le général Bruno Clermont. Éric Naulleau y est aussi « favorable dans l’ensemble », mais regrette que le service ne soit que volontaire : « Si c’est sur la base du volontariat, ce n’est pas ceux qui ont le plus besoin d’être remis d’équerre qui iront ». « Ce n’est qu’une première étape, le rassure le lieutenant-colonel Vincent Arbarétier sur France Info, les Allemands ne sont pas dupes : leur service militaire volontaire va se transformer tôt où tard en service militaire obligatoire ». Sur LCI, Ruth Elkrief exulte : « Il y a une dimension de réarmement moral, et elle est bienvenue parce qu’il y a une demande en fait ! […] Il y a une sorte de vide et un besoin existentiel de but dans la vie, d’objectif, de beauté en quelque sorte, d’idéal ! Et là on en offre un, qui est cadré, qui est clair, et qui est pour la France avec ses valeurs. Quoi de mieux ? »

Le soir de l’annonce, le journal de Léa Salamé se charge du service après-vente. La présentatrice reçoit la ministre des Armées, Catherine Vautrin, et consacre une grande partie de son interview… à expliquer aux jeunes concernés comment candidater à ce nouveau service militaire volontaire : « Si y’a des gens qui nous regardent là, s’il y a des jeunes de 17-18 ou 19 ans qui nous regardent… ils veulent s’inscrire, qu’est-ce qu’ils doivent faire concrètement ? ». « Et on sera rémunéré 800 euros ? », relance Salamé. « Rémunéré, nourri, logé, blanchi, et avec une carte de réduction SNCF de 75% ! » répond la ministre. Léa Salamé s’inquiète : « Si dans les prochains jours vous recevez des milliers de candidatures – imaginons – comment vous allez les sélectionner ? » Les questions de Salamé sur la réalité de la « menace russe » arriveront bien après cette séquence « numéro vert », mais là encore, elles ne seront pas bien déstabilisantes pour la ministre : « Il avait raison [le général Mandon] de le dire ? C’est ça dire la vérité aux Français ? » ; « La menace elle est sérieuse ? Elle est là, elle est sérieuse ? » ; Certaines de ses relances ne sont même pas des questions : « Il faut se préparer à sacrifier nos enfants dans les prochaines années… On ne pourra pas échapper à une confrontation avec la Russie d’ici 3 ou 4 ans… »


***


L’unanimisme éditorial que nous documentons sur de nombreux sujets s’est donc donné à voir dans un nouvel épisode fort impressionnant. Et on le sait : face à la propagande de guerre, les médias se mettent au garde-à-vous.


Jérémie Younes

 
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Notes

[1Isabelle Lasserre rebondit ici sur la prise de parole antérieure de Jean-Dominique Merchet : « Moi j’admire le général George Patton qui disait à ses soldats : "L’objet de la guerre ce n’est pas de mourir pour son pays, c’est de faire que le bâtard d’en face meurt pour le sien". »

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