Impossible de parler des concentrations dans l’audiovisuel allemand sans évoquer le service public, qu’il s’agisse de la radio ou de la télévision, qui capte plus de la moitié de l’audience. Mais il s’agit d’un service public décentralisé, à l’opposé de la centralisation à la française. Quant au secteur privé, il est dominé par deux groupes, RTL et P7S1, autrement dit Bertelsmann et Berlusconi.
Introduite en 1923 en Allemagne, la radio fut l’instrument-roi de la propagande nazie. En 1933, Goebbels, le ministre nazi de la propagande, déclarait que « la mobilisation générale des esprits […] est l’une des principales missions de la radiodiffusion » et que celle-ci est « le plus moderne et le plus important des instruments pour influencer les masses » [1]. Elle est alors écoutée à travers 4 millions de récepteurs (Volksempfänger, soit Récepteur du peuple, qui fut à la radio ce que la Volkswagen fut à l’automobile), puis 16 millions en 1943 (récepteur encore plus performant et moins onéreux, le DKE38, appelé ironiquement par la population « La gueule de Goebbels », qu’on y entendait très souvent). Seul média à même de s’adresser à l’ensemble de la population (la télévision est alors balbutiante), la radio est contrôlée et utilisée par les forces d’occupation de 1945 à 1955. Elle est animée par de jeunes journalistes, mais aussi, faute de personnel qualifié, par d’anciens partisans du nazisme. Le modèle, inspiré de la BBC, dessinait une radio indépendante de l’État et des partis politiques [2] – alors qu’en France, dès la Libération et malgré le projet du CNR, la radio et la télévision furent sous monopole d’État (jusqu’en 1986).
Un audiovisuel public fort, décentralisé et indépendant
En fait, c’est aux Länder que les Alliés vont confier le monopole de la diffusion radiophonique. Dès 1950, la création de l’ARD [3] définissait pour la radio un statut de droit public régional indépendant de l’État fédéral. En 1955, sept ans après les journaux, la radio passe à son tour sous souveraineté allemande, et y restera, de même que la télévision par la suite, sous cette forme de service public régional où chaque Land apporte sa contribution à la conception et la réalisation des programmes et émissions diffusés. Même les programmes à diffusion nationale sont assurés par les 9 instituts régionaux de l’audiovisuel qui produisent aussi des programmes régionaux (appelés Troisième chaîne : Dritten Programme). Cette structuration fut confirmée en 1961, par le jugement du Tribunal constitutionnel fédéral sur le projet de « télévision Adenauer ». C’est à la suite de ce jugement que fut créée la deuxième chaîne publique, ZDF [4], gérée et contrôlée de la même façon que l’ARD, par les régions, mais sans la radio et centralisée.
Ainsi, « pendant plus de vingt ans [en fait, 30 ans, ndlr], la télévision et la radio furent exclusivement organisées par des institutions de droit public. Il n’y avait de place ni pour une radio privée – comme par exemple Radio Luxembourg ou les chaînes de télévision anglaises –, ni pour une radio contrôlée par l’État ou le gouvernement comme en France ou en Italie. » [5]
Jusqu’en 1986, les auditeurs et téléspectateurs allemands ne connurent que les télévisions et radios publiques gérées au niveau des Länder. Pendant la même période, en Allemagne de l’est, la radio de propagande nazie était devenue la radio de propagande du SED, le parti communiste unique au pouvoir.
Contrairement à la France qui a vendu, scandale unique au monde, sa première chaîne publique au privé (au bétonneur Bouygues), les deux premiers groupes audiovisuels allemands (ARD-La Première pour la radio et la télévision, ZDF-La Deuxième pour la seule télévision) sont demeurés publics jusqu’à aujourd’hui. Bénéficiant d’une redevance due par chaque habitant et parmi les plus élevées au monde [6], l’audiovisuel public allemand capte une part d’audience record : 50,5 % pour la radio ARD contre 31,9 % pour Radio France, 55,4 % pour les chaînes de télévision publiques allemandes, contre 29 % pour France Télévisions (chiffres 2024) [7]. La redevance est révisée tous les quatre ans par les Länder réunis. Elle contribue pour 85 % du budget des deux chaînes, la publicité pour autour de 6 % [8].
Une mission démocratique
Dans son jugement de rejet de la « télévision Adenauer », le Tribunal constitutionnel fédéral déclare que la télévision « est plus qu’un simple "medium" dans la formation de l’opinion publique ; elle en est bien plutôt un "facteur" éminent », et pas seulement dans les émissions politiques, car « la formation de l’opinion se fait également par le biais des pièces radiophoniques, des concerts, des retransmissions de spectacles de café-concert et de chansonniers, jusqu’à la mise en forme même d’une émission » [9]. On ne saurait mieux dire. La radio et la télévision publiques se trouvent ainsi investies d’une véritable mission démocratique et doivent pour cela demeurer à bonne distance de l’État et des partis politiques. C’est du moins ce qu’affirme le Tribunal constitutionnel : « L’art. 5 […] exige que cet instrument moderne de la formation de l’opinion ne soit livré ni à l’Etat, ni à un seul groupe social. »
Dès lors, chaque Land dispose d’un système public de diffusion – qui doit rester indépendant de l’État fédéral et être administré par des conseils de l’audiovisuel (Rundfunkrat) où siègent des représentants des « groupes importants pour la société » dont les principaux partis politiques, syndicats, fédérations professionnelles, églises, associations, etc., choisis par les parlements des Länder [10]. Ces représentants sont élus ou nommés par leur organisme. Ce système s’est également peu à peu imposé dans les Länder issus de la RDA.
Ainsi par rapport à la France, l’Allemagne possède un audiovisuel public fort (en termes de financement et d’audience), décentralisé (la législation sur l’audiovisuel étant de la compétence exclusive des Länder) et en principe « indépendant » ou « distant » de l’État par un financement sous forme de redevance fixée par les Länder réunis, et une gestion assurée par la société civile. La presse allemande use d’ailleurs du terme plutôt péjoratif Staatsrundfunk (« audiovisuel d’État ») pour désigner les médias publics d’autres pays du monde, dont la France, perçus comme plus dépendants de l’État.
Hélas, la pratique n’a pas été à la hauteur de ces beaux principes. On se doute que les acteurs politiques n’ont pas apprécié d’être mis à l’écart par les Alliés des instances de décision de l’audiovisuel public. Ils n’eurent de cesse de chercher à influencer, à noyauter les organes de décision, c’est-à-dire les conseils de l’audiovisuel de l’ARD et le conseil de télévision de ZDF. Les partis politiques dominants, SPD et CDU-CSU, les représentants du gouvernement ou du parlement des Länder (considérés comme partie de l’État) et même l’État fédéral prennent une place prépondérante au sein des conseils de l’audiovisuel, au point qu’un arrêt du Tribunal constitutionnel de 2014 limite la place des partis à un maximum d’un tiers des membres des conseils. Mais il ne semble pas que cela ait suffi à résoudre le problème, car les autres représentants de la société civile aux conseils sont souvent associés aux partis politiques. Le système rôdé des « proporz » perdure, où le SPD et la CDU/CSU se partagent les sièges de direction, ce qui a pour effet de réduire considérablement l’influence de la société civile en tant que telle, et de marginaliser l’influence des autres forces politiques. Sans parler d’une certaine sélectivité dans le choix par les parlements des « groupes importants pour la société ». Le schéma d’indépendance vis-à-vis des partis et de l’État serait plutôt, selon Valérie Robert, un mythe professionnel [11].
Il n’empêche que le succès des chaînes publiques est constant et suscite bien des convoitises. L’Alternative für Deutschland (AfD), parti d’extrême droite en pleine ascension, souhaite leur privatisation (tout comme le RN en France) et le parti libéral Freie Demokratische Partei (FDP), celle de la seule deuxième chaîne. Une certaine usure d’un service public de quelque 70 ans, et quelques scandales aidant, notamment sur le montant des salaires et les abus de pouvoir des dirigeants, une réforme importante est en cours depuis plusieurs années : rationalisation, modernisation, numérisation, coopération, mais sa mise en œuvre est assez laborieuse, étant donné le succès persistant des chaînes publiques et la résistance des Länder, peu tentés de céder sur leur compétence médiatique.
Des médias privés indépendants de l’État mais régulés
Les médias audiovisuels privés allemands sont également sous la surveillance d’une autorité de régulation (Landesmedienanstalten) dans chaque Land, également composée de représentants de la société civile (de 30 à 60 personnes) qui sont élus par le parlement du Land. Bien que ce soit souvent à la majorité des deux tiers, le rôle des partis peut être ici important, comme dans le cas des conseils de l’audiovisuel. L’autorité de régulation élit son président qui est son représentant légal pendant six ans. Au total, il existe 14 autorités régulatrices qui veillent au respect du pluralisme, à l’affectation des stations de radio et des chaînes de télévision, à la protection des jeunes, etc. Ces autorités sont néanmoins regroupées dans des commissions centrales, dont une est chargée spécifiquement du contrôle des concentrations : la KEK [12], qui s’ajoute à l’autorité de la concurrence qui intervient en cas de rachats dans le secteur des médias. Ces commissions centrales réunissent 6 présidents des autorités régionales des médias élus par leurs pairs, et 6 experts des médias, souvent des juristes, choisis par les présidents des Länder. A priori, elles semblent très différentes d’une institution comme l’Arcom française, organisme de composition très politique [13], chargée notamment du contrôle des concentrations des médias audiovisuels.
L’ouverture des ondes au secteur privé, en 1986, a provoqué une forte mobilisation des groupes de presse très intéressés à l’idée de se faire une place dans l’audiovisuel. Ceux qui éditent surtout de la presse quotidienne, déjà fortement implantés localement, ont investi les entreprises radiophoniques à vocation locale, tandis que les groupes de presse à dominante de magazines, à vocation nationale et plus sensibles à l’image, ont plutôt investi la télévision [14].
Le dispositif de contrôle des concentrations : le « pouvoir d’opinion »
Comme pour la presse écrite, la concentration des médias audiovisuels allemands est limitée. Depuis 1976, des contrôles interviennent pour des opérations de concentration dont les parties ont un chiffre d’affaires cumulé inférieur au 1/8e du plafond de 500 millions d’euros appliqué aux autres entreprises, soit 62,5 millions d’euros (2021). C’est moitié moins de ce qui est exigé pour les opérations des entreprises de presse. Cette disposition, plus restrictive que pour la presse écrite, s’inscrit dans une évaluation de ce que les Allemands appellent le « pouvoir d’opinion », plus important selon eux dans les médias audiovisuels que dans la presse, et de ce fait à contrôler davantage.
La loi française prévoit des seuils de concentration par type de média, presse, radio, télévision. Ces seuils ne sont pas très contraignants, c’est le moins qu’on puisse dire. Par exemple, un seul propriétaire ne peut posséder que 49 % maximum d’une chaîne de télévision dont l’audience dépasse 8 %, sans limite supérieure. En Allemagne c’est la limite de 30 % d’audience qu’un seul propriétaire de chaîne de télévision ne peut pas dépasser. Mais de plus, et c’est là toute l’originalité du système allemand, cette audience est calculée sur l’ensemble des intérêts médiatiques dudit propriétaire, tous types confondus.
Par exemple, en 2006, lorsque le groupe Springer a voulu acquérir le groupe audiovisuel P7S1, la KEK a refusé le rachat : en additionnant les parts d’audience du groupe Springer dans la presse écrite (notamment le Bild) et les parts d’audience télévisuelles du groupe P7S1, la fusion des deux groupes aurait représenté une part d’audience de 42%, supérieure au seuil maximal de 30 % défini dans l’accord entre les Länder. La KEK a ainsi évalué le « pouvoir d’opinion » total du groupe en prenant en compte les différents types de médias détenus, ici presse et TV (concentration horizontale) [15]. Mais elle peut aussi, du fait de l’importante marge d’appréciation qui lui est laissée, prendre en compte tout « marché lié aux médias » y compris en amont et en aval de la chaîne de production ou de distribution de programmes (concentration verticale) ou encore ses éventuelles participations dans des sociétés avec lesquelles elle n’a pas de relations client-fournisseur (concentration diagonale). En France, en revanche, aucune loi n’aurait empêché une telle fusion : la seule qui règlemente les concentrations horizontales pluri-médias (la règle dite des « deux sur trois ») définit des seuils tellement élevés qu’elle n’empêche aucune concentration [16].
Une autre disposition originale de la loi allemande en faveur du pluralisme : la règle des « tiers indépendants » (Drittanbieter). Lorsqu’une entreprise de médias détenant une chaîne généraliste ou spécialisée détient une part d’audience annuelle de plus de 10 %, elle doit accorder, à ses frais, un temps d’antenne à des tiers indépendants, c’est-à-dire d’autres groupes audiovisuels qui ont une audience faible. Cette « fenêtre » ne peut être inférieure à 260 minutes dont 75 à une heure de grande écoute (entre 19h et 23h30). Des programmes régionaux sont éligibles à ces fenêtres à raison de 150 minutes par semaine. Actuellement, ces fenêtres sont ouvertes par RTL, P7S1, et Vox (filiale de RTL). Bien sûr, cette disposition a fait l’objet de vives protestations, mais elle a fonctionné et fonctionne toujours, même si on peut trouver contestable que RTL diffuse ainsi Spiegel.tv, alors que le propriétaire de RTL, Bertelsmann, l’est aussi en partie (à 25 %) de Spiegel.tv. Il n’empêche que le dispositif permet à des programmes de petites chaînes et de chaînes régionales de toucher un large public.
Transparence sur la concentration des médias
Les autorités régulatrices des Länder publient conjointement, tous les trois ans, un rapport sur le développement de la concentration dans les médias et sur les mesures visant à assurer le pluralisme dans l’audiovisuel privé. Pour ce faire, elles tracent précisément les structures de propriété des groupes de médias dans une base de données publique – tout changement devant obligatoirement leur être notifié – puis elles calculent un « pouvoir d’opinion » pour chaque groupe en agrégeant les parts d’audience des différents médias détenus, pondérées par le poids du support (TV, radio, presse…) dans l’influence sur l’opinion [17]. Enfin, un tableau de bord de la concentration des médias est mis à jour régulièrement pour permettre à quiconque de suivre graphiquement la plupart des groupes et des médias, leurs détenteurs, leurs pouvoirs d’opinion respectifs... Bref, un travail comparable, moins beau graphiquement mais plus détaillé, à celui que font Le Monde diplomatique et Acrimed avec la carte « Médias français, qui possède quoi ? », est réalisé outre-Rhin par des autorités publiques mandatées pour cela.
On notera que l’évaluation du « pouvoir d’opinion », même si son calcul est relativement complexe, est tout à fait pertinente pour mesurer l’influence, non pas d’un ou plusieurs médias, mais d’un groupe médiatique entier, avec toutes ses ramifications. Ce que le dispositif français ne permet de toute évidence pas.

Selon le critère du « pouvoir d’opinion », tous médias confondus, les dix plus gros groupes de médias concourent pour 64,8 % à la formation de l’opinion allemande. Dans l’ordre : ARD (20,3%), Bertelsmann (11 %), ZDF (7,4%), Springer (6,8%), P7S1 (5,1%), Burda (3,5%), Funke (3,1 %), Madsack (2,9%), Medien Union (2,4%) et Bauer (2,3). Soit 27,7 % pour le public et 37,1 pour le privé. Ainsi, les médias hors des dix groupes majeurs contribuent-ils pour 35,2 % à la formation de l’opinion.
En résumé, la concentration des médias privés est du même ordre en Allemagne qu’en France dans le domaine de la presse, c’est-à-dire très forte ; elle est inférieure en Allemagne dans l’audiovisuel, surtout dans la radio, où elle est relativement faible, et aussi dans la télévision, à un degré moindre, alors que le service public de la radio et de la télévision attire plus de la moitié de l’audience.
Jean Pérès
Annexe : Panorama des concentrations
- Concentrations dans la radio [18]
Cela donne, pour la radio, un grand éparpillement des unités de diffusion et des propriétaires, parmi lesquels on retrouve les Springer, Madsack, Funke, SWMH (Südwestdeutsche Medien Holding), etc., mais chacun pour un pourcentage minime de la diffusion (entre 0,8 et 2%) dominée, rappelons-le, à plus de 50 % par le groupe public régional ARD.
Le plus gros propriétaire privé à ce jour est le groupe Regiocast (6,5 %), qui possède 4 radios et participe à une douzaine d’autres dans divers Länder. Ses principaux actionnaires viennent du Nouveau journal d’Osnabrück (Basse Saxe) et sont accompagnés d’une flopée de petits actionnaires parmi lesquels on retrouve les grands groupes de presse ou leurs propriétaires à titre individuel. Le deuxième groupe est Bertelsmann (5,1 %), et le troisième Müller Medien (4,7 %), groupe familial fortement implanté en Bavière et en Autriche.
La radio la plus importante est Radio NRW de la Rhénanie du Nord-Westphalie (6 % de l’audience), qui alimente 45 stations de radio du Land. Son actionnaire principal à 59 % est Pressefunk Nordrhein Westfalie, lui-même possédé par le groupe Funke (21,7 %) suivi de Springer (12,4 %) suivi de DuMont Schauberg (9,9 %), et parmi les petits actionnaires, on retrouve la société d’édition du SPD ; son deuxième actionnaire est RTL, c’est-à-dire Bertelsmann, à 12,6 %. Radio NRW possède aussi, avec Antenne NRW, elle-même filiale à 100 % d’Antenne Bayern Gmbh, société bavaroise, une radio privée diffusée sur tout le pays : NRW1.
Dans la partie privée du paysage radiophonique allemand, les 4 premiers groupes (Regiocast, Bertelsmann, Müller, Nordwest Medien) occupent 19,2 % de l’audience, soit bien moins que les 4 premiers français qui en recueillent 46 %. Le paysage radiophonique privé allemand, relativement peu concentré en lui-même, peut être considéré comme une extension des groupes de presse, surtout quotidienne, dont la présence se manifeste par une véritable toile d’araignée de participations croisées.
- Concentrations dans la télévision [19]
Pour ce qui est de la télévision, le 1er janvier 1984, sous l’impulsion de la CDU (parti démocrate chrétien) et du chancelier Kohl, la première télévision privée, SAT1, est créée par une association d’une dizaine de groupes de presse, et surnommée pour cela « La chaîne des patrons de presse » [20]. On y reconnaît, entre autres, Springer, Burda, Holzbrinck, Bauer, Funke. Mais le SPD, partisan du monopole public, bloque la chaîne dans les Länder où il domine. En retour, la CDU bloque la perception de la redevance dans ses Länder. Situation pour le moins tendue, d’autant plus qu’à la concurrence public-privé et SPD-CDU s’ajoute celle entre groupes privés avec la diffusion dès le 2 janvier 1984 (lendemain du lancement de la première), d’une deuxième chaine privée, RTL+, chaîne luxembourgeoise émettant en Allemagne, dont Bertelsmann possède 40 % des actions.
Les deux chaînes privées, SAT1 et RTL+, très déficitaires dans les premiers temps, se disputent farouchement les canaux analogiques distribués par la Bundespost, et les opportunités ouvertes par le satellite et le plan câble, alors que les foyers allemands s’équipent en récepteurs de télévision. La Convention d’État pour la réorganisation des médias, signée en 1986 par les représentants des 11 Länder apaise les tensions en répartissant les canaux entre les chaînes [21]. Mais la guerre continue de faire rage dans le secteur privé, principalement entre les deux dominants, Bertelsmann et Springer.
La période de 1987 à 2002 où sera mise en place la télévision que nous connaissons aujourd’hui, sera dominée par l’ascension et la chute de Léo Kirch, surnommé le « nouvel Hugenberg », que nous avons évoquées dans un article précédent, en raison de l’immensité de son empire médiatique.
Les années qui suivent sont marquées par l’échec de Springer, qui rêvait d’un groupe de médias associant presse et télévision. Sa tentative de racheter la deuxième chaîne privée, ProSiebenSat1, ex propriété de Kirch, a été retoquée par la Commission de contrôle des concentrations (KEK) en 2005 pour la raison que cette chaîne lui aurait conféré une position dominante. Par la suite, cette deuxième chaîne privée, après un parcours chaotique entre fonds d’investissement anglais et américains, tombe en 2014 dans les bras de Berlusconi et sa société Mediaset. Laquelle, rebaptisée MediaForEurope (MFE) en 2021, devient l’actionnaire principal de la chaîne avec 29,9 % du capital. MFE ambitionne de devenir un acteur européen capable d’affronter les Gafam, notamment Netflix et Amazon. Avec 7 041 salariés (2024), P7S1 affiche un CA de 3,9 milliards d’euros (2024).
Quant au groupe Bertelsmann, après son développement dans plusieurs domaines, édition, librairie (France Loisirs), musique (Ariola), presse magazine et quotidienne (Grüner + Jahr), cinéma (UFA), en 1997 il fusionne sa filiale l’UFA Film avec la Compagnie Luxembourgeoise de Télédiffusion (CLT), dont il est devenu l’actionnaire principal. Ensuite, la fusion de CLT-UFA avec l’anglais Pearson TV en 2000 marque le début de RTL Group. Malgré la crise d’endettement qui frappe les entreprises de médias au début des années 2000 (pour rappel, Vivendi et Kirch se sont effondrés en 2002), Bertelsmann, alors qu’il prend des mesures de sauvegarde de son empire, continue de monter au capital de RTL Group. En 2013, ses parts s’élèvent à 75,1 %.
Durant l’exercice 2019, RTL Group a réalisé un chiffre d’affaires de 6,7 milliards d’euros pour un bénéfice de 1,1 milliard d’euros. Les recettes proviennent essentiellement de la publicité (44 % télévision, 4 % radio), des productions audiovisuelles (22 %), des activités numériques (16 %) et des plateformes (6 %). RTL Group a réalisé 32 % de son chiffre d’affaires en Allemagne, 22 % en France, 16 % aux États-Unis, 8 % aux Pays-Bas, 4 % en Grande-Bretagne et 3 % en Belgique.
Springer doit se contenter de deux chaînes de télévision, Welt et N24 réalisant respectivement 0,1 et 0,3 % d’audience, alors que Bertelsmann et Berlusconi dominent largement la télévision privée.
Les deux groupes publics ARD et ZDF, ainsi que les groupes privés Bertelsmann (RTL) et P7S1 sont les principaux groupes de télévision du pays. À eux quatre, ils détiennent 88 % des parts d’audience de la télévision.
Les deux groupes privés, Bertelsmann-RTL et P7S1 détiennent à eux seuls 36,9 % de l’audience TV (contre 39,6 % en France pour Bouygues et Bertelsmann-M6). Tandis qu’en Allemagne, 5 groupes privés détiennent 45,4 % des audiences des chaînes généralistes, ils en détiennent 56,2 % en France. On constate donc une forte concentration des médias audiovisuels privés dans les deux pays, et plus accentuée en France.



