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« Entrisme iranien » : l’actualité, ça se façonne

par Jérémie Younes,

En mai, nous revenions sur la saturation médiatique autour d’un rapport sur « l’entrisme frériste ». Six mois plus tard, c’est un nouveau rapport sur « l’entrisme iranien » qui est mis à l’agenda. Avec, pour le moment, un peu moins de succès…

Les rapports sur « l’entrisme islamiste » se suivent et se ressemblent. Leur promotion médiatique également ! Souvenez-vous : il y a quelques mois, un rapport catastrophiste sur « l’entrisme des Frères musulmans » nous prévenait, à la Une du Figaro, que l’organisation islamique avait infiltré les moindres aspects de notre société afin « d’imposer la charia en France ». Rebelote ces derniers jours avec un nouveau rapport, cette fois sur « l’infiltration en France de la République islamique d’Iran ». Décidément… À nouveau, c’est Le Figaro qui se charge de la promotion de l’œuvre (29/10) : « Espions, agents d’influence, proxies... Ce rapport alarmant qui dénonce l’entrisme iranien en France ».

Ce nouveau rapport, pas plus scientifique que le précédent, est coordonné par un journaliste, le franco-iranien Emmanuel Razavi, qui collabore avec Valeurs Actuelles, Franc-Tireur, Paris Match, Atlantico, et intervient régulièrement sur CNews, Europe 1 et Sud Radio. La commande du rapport est elle aussi bien située : l’exposé de 85 pages a été produit à la demande de « France2050 », un tout nouveau think tank présidé par un maire LR, Gilles Platret : « Le premier rapport du think-tank France2050 est un véritable pavé dans la mare politique et diplomatique », explique ainsi Le Figaro.

Hélas, le pavé va faire « plouf ». Contrairement à son équivalent fonctionnel sur les Frères musulmans, qui s’était retrouvé partout dans la presse en un instant, le « rapport » sur l’infiltration de la République islamique d’Iran ne va pas connaître un immense succès médiatique, et seule la presse de droite et d’extrême droite va s’en faire l’écho. C’est d’abord L’Express (29/10), qui nous apprend que les mollahs « visent particulièrement le milieu étudiant », puis le JDD (30/10), qui évoque un « rapport choc » et une infiltration « d’ampleur qu’on ne veut pas voir ». Dans son papier, le JDD mentionne notamment le président du centre Franco-Iranien de Paris, qui dirigerait selon le rapport un « réseau d’influence » afin de « recruter des agents » [1]. Valeurs Actuelles entre dans la danse le lendemain (31/10) : « "La mécanique du chaos" : l’entrisme iranien en France dévoilé dans un rapport alarmant ». Europe 1 parle elle d’un rapport « extrêmement inquiétant » et invite son auteur Emmanuel Razavi (31/10), quelques jours après son passage sur le plateau de CNews (29/10). Mais nous sommes deux jours après la publication du « rapport », et l’information est déjà en voie d’extinction.

C’était sans compter Le Parisien, qui, le 3 novembre, propulse le sujet en Une.



Dans son papier, le journaliste Thomas Poupeau amalgame dans le même élan le rapport sur « l’entrisme frériste », le dernier rapport sur l’entrisme des mollahs, et la commission parlementaire « sur de potentiels liens entre organisations politiques et réseaux islamistes », pour parler d’une menace globale : « L’islam radical à l’assaut de la France ? » À défaut d’éléments probants, le journaliste est quand même obligé d’indiquer dès le chapô que « la menace est difficile à jauger »…

Comment un obscur rapport d’un obscur think tank a-t-il pu faire la Une du Parisien ? Le curriculum du journaliste et coordinateur du rapport donne sans doute une piste ; les synergies idéologiques entre les médias Bolloré et les médias Arnault en suggèrent une autre. Quoi qu’il en soit, le pouvoir de prescription du Parisien sur les autres médias va jouer à plein… et « l’actualité » connaît une deuxième vie.

CNews en remet une couche le jour même (3/11) : « Islam radical : un rapport alerte sur l’"infiltration" de l’Iran en France pour "exporter la révolution islamique" ». LCI n’est pas en reste, et c’est sa chroniqueuse Abnousse Shalmani qui se charge de nous dire « la vérité sur l’infiltration de l’Iran en France » dans l’émission « 24h Pujadas » (3/11).



Le Point est au rendez-vous le lendemain (4/11), avec un article signé Bartolomé Simon et Erwan Seznec : « L’inquiétante stratégie d’influence iranienne en France dévoilée dans un rapport ». Le papier parle d’« une "pieuvre" iranienne déployant ses tentacules via des réseaux d’influence », mais là encore, les journalistes sont obligés de modérer dès le chapô : « Une mission d’enquête […] alerte sur les ingérences iraniennes. Elles sont difficiles à mesurer. » Peu importe, BFM-TV pose aussi sa pierre à l’édifice en recevant Gilles Kepel. Dans sa première question, Apolline de Malherbe n’indique pas aux téléspectateurs la provenance du rapport, commandé par un think tank de droite à un journaliste de droite, et se contente de dire « qu’il a été remis ce matin au Premier ministre et au président du Sénat » – ce qui, on le comprend, confère à ce travail une forme d’officialité.



Au bout de quelques minutes, l’interview dérive sur « l’islamo-gauchisme », qui serait né en Iran : « C’est quoi l’islamo-gauchisme, qu’est-ce que vous appelez l’islamo-gauchisme ? » relance Apolline de Malherbe, intéressée : « C’est l’alliance entre l’extrême gauche et les militants islamistes. C’est ce qui s’est créé en Iran […] », répond Kepel. Et Malherbe de résumer : « […] les islamistes chercheraient un peu comme les coucous à utiliser les nids politiques pour y mettre leurs propres œufs… » Sur CNews (4/11), c’est le chroniqueur Gilles-William Goldnadel qui complète le tableau : « On connaissait les liens de LFI avec le Hamas et la dictature algérienne, maintenant on accuse certains de ses membres d’être des agents de l’Iran. » L’avocat ne se risquera toutefois pas à lâcher de noms…


***


On l’a vu, si le « rapport » sur l’entrisme iranien n’a pas réussi à « percer » la bulle médiatique droite-extrême droite, il a tout de même connu une belle floraison éditoriale dans celle-ci, et avec elle, son lot de commentaires outranciers. Il est intéressant d’observer sur ce cas les synergies entre les différents titres de la presse des milliardaires : l’actualité fut forgée par la presse Dassault (Le Figaro), martelée par la presse Bolloré (JDD, Europe 1, CNews), puis réanimée par la presse Arnault (Le Parisien) alors qu’elle était en train de s’éteindre, sans avoir réussi à se répandre. Les rapports sur « l’entrisme islamiste » se suivent et se ressemblent, mais leur succès varie en fonction du reste de l’actualité ou du sérieux que peuvent leur conférer les journalistes…


Jérémie Younes

 
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Notes

[1Mais commet une erreur dans son prénom...

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