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Une crise de nerfs de Philippe Corcuff

par Henri Maler,

Un chroniqueur intempérant, victime des procès de Moscou ? Tel serait le sort de Philippe Corcuff selon lui-même, si l’on en croit le monologue paru dans Charlie Hebdo le 28 avril 2004, sous le titre « Au bon sens Stalinien ». Il vaut le détour...

Les lecteurs de Charlie Hebdo ont bien de la chance ! Grâce à Philippe Corcuff, ils savaient, sans avoir à le lire, tout le mal qu’ils doivent penser du « Petit Manuel d’Observation critique des médias » auquel notre zélé chroniqueur fait dire exactement l’inverse de ce qu’il dit.

Ils savent désormais, sans pouvoir en lire une ligne dans l’hebdomadaire, qu’ils doivent vomir la mise au point - « Philippe Corcuff, critique « intelligent » de la critique des médias » - rédigée pour Acrimed par Patrick Champagne.

Notre grand pourvoyeur de débats démocratiques, non content d’inventer les propos de ses contradicteurs, préfère sans doute ne pas être pris en flagrant délit [1].

Cela ne suffit pas. Par un procédé qu’il qualifierait sans doute de stalinien, notre chroniqueur émérite tente de faire croire que les critiques précises et argumentées que Patrick Champagne a opposées aux affirmations du penseur intelligent étaient des accusations iniques, voire crapuleuses... que Philippe Corcuff rédige lui-même pour tenter de se faire passer pour la victime d’un procès stalinien dont il est, en vérité, le seul procureur. Ce réquisitoire bouffon qu’il dresse contre lui-même - cette parodie indécente des aveux des vraies victimes des vrais procès de Moscou - a pour seule fin de tenter de discréditer tous ceux qui oseraient émettre la moindre critique contre un « Intouchable » de la caste médiatique. Il suffit pour cela de prêter à ces audacieux des propos scandaleux qu’ils n’ont jamais tenus et qui n’appartiennent pas à leur manière de penser ou de débattre. Miroir, mon beau miroir...

Ce faux qui se présente comme un pastiche relève des procédés que Philippe Corcuff nous attribue en toute démesure. Il est sans doute le produit d’une crise de nerfs. Mais c’est, malgré tout, un document. C’est pourquoi nous le reproduisons intégralement pour que chacun puisse comparer ce qu’Acrimed écrivait et ce que Corcuff prétend avoir lu, avant que cette prose exemplaire ne figure, comme elle le mérite, dans une anthologie...

Henri Maler


Texte intégral de la chronique de Philippe Corcuff


AU BON SENS STALINIEN

« Dans son parti, les choses avaient pris une telle tournure que celui qui n’acceptait pas en bloc tout ce qui en venait était traité d’ennemi et condamné sans appel. Celui qui exprimait un doute, si léger fût-il, prouvait qu’il était au service de l’ennemi, qu’il appartenait à son avant-garde. Josmar ne pouvait donc pas discuter, lui non plus : il proclamait et condamnait »
(Manès Sperber, « Et le buisson devint cendre », 1949-1955 - trad. franç. chez Odile Jacob, 1990).

Le sociologue Patrick Champagne, prétextant une note de lecture publiée dans Charlie (14 avril 2004) sur un livre de Géraldine Muhlmann (Du journalisme en démocratie, Payot, 2004) [2], m’a aimablement qualifié de « faussaire », d’« opportuniste », d’« intellectuel négatif » obsédé par la gloire médiatique dans un texte mis en ligne sur le site de l’ACRIMED (Action-Critique-Médias) le 19 avril 2004 (www.acrimed.org). Dans un premier temps, cette prose m’a rappelé, comme celle de ses amis de PLPL, la rhétorique nauséabonde des procès staliniens, dont l’autobiographie romancée de Manès Sperber pointe les mécanismes. Je me posais alors toutes sortes de questions naïves : comment des staliniens de papier, à l’allure prétendument « libertaire » (de quoi faire se retourner dans sa tombe un Bakounine !), ont-ils pu avoir un relatif écho dans les mouvements sociaux et la gauche radicale ? Comment une version gauchiste d’Entrevue et de Voici a-t-elle fini par se faire passer pour un must de la critique « intelligente » ? Comment des dégénérescences sectaires et dogmatiques ont-elles pu donner une impression de « liberté » ? La sociologie de Bourdieu ne nous a-t-elle pas livré des armes de résistance contre de telles formes d’intimidation symbolique ? L’émancipation individuelle et collective souhaitée par le mouvement altermondialiste vise-t-elle un au-delà (plus de démocratie et de pluralisme sans le capitalisme) ou un en-deçà (à la manière des expériences dites « communistes ») à « la démocratie de marché » ?

Mais, après mûres réflexions, je crois que Champagne, l’ACRIMED et PLPL ont raison. Les ennemis du Peuple sont tellement puissants (le Capital, le Néolibéralisme, le Pouvoir médiatique...) ! Tout pluralisme, toute critique, tout débat ne sont-ils pas des ruses diaboliques du Système pour empêcher les Masses d’atteindre le Bonheur suprême ? Il faut se débarrasser des branches pourries, avancer en épurant. Foin de mon narcissisme d’intellectuel petit-bourgeois ! Je veux bien faire mon autocritique lors d’un procès public, sans les trompe-l’oeil de la justice bourgeoise. Je ne veux ni avocats, ni journalistes, en dehors des honnêtes camarades de la chaîne de télévision unique du Parti unique de l’Anti-Pensée unique. Voici mon projet de confession soumis au Bureau politique de l’Avant-Garde éclairée :

« Oui, je l’avoue : je suis une hyène dactylographe. Je conspire contre le Prolétariat depuis ma misérable naissance. Je l’avoue : je n’ai jamais fait d’enquête de sociologie, j’ai fait semblant. Je n’ai jamais lu de livres de philosophie, j’ai seulement parcouru quelques sommaires de Que sais-je ?. Je n’ai jamais vraiment écrit d’articles de recherche, j’ai tout pompé sur mes voisins. Je ne connais l’œuvre de Pierre Bourdieu que par ouï-dire. Je suis un falsificateur. Je n’ai jamais réellement milité nulle part : ni dans une association, ni dans un syndicat, ni dans un parti. Je ne sais pas ce qu’est pratiquement un collage d’affiches, une distribution de tracts, la participation à une action directe, une grève de la faim... J’ai ignominieusement utilisé une fausse identité "militante" pour me hisser aux sommets de la renommée médiatique. Hypocrisie ultime, je me suis glissé dans SUD, ATTAC et la LCR pour les gangrener de l’intérieur. En fait, je n’ai jamais existé. Je suis le produit de connivences inavouées (d’abord entre ma mère et mon père), de manipulations secrètes, d’un obscur complot, d’un mensonge médiatique (pléonasme !). Je ne suis qu’une marionnette dans les mains de la CIA, du baron Seillière et d’Edwy Plenel. Il est grand temps que le public, légitimement indigné, me jette des pierres. Bien qu’ignoble vermine purulente qui n’a droit à rien d’autre qu’au mépris généralisé, j’émettrai un souhait : que ma mise à mort symbolique soit prononcée par de grandes voix éprises de Vérité, de Justice et de Pureté. Je veux parler des Aigles rayonnants de la Pensée que sont Patrick Champagne (seul habilité au monde, et jusqu’à la fin des temps, à parler de Pierre Bourdieu) et Serge Halimi (Grand Maître de PLPL). Ma propre saleté me dégoûte. Ils sont si beaux, si propres, si clairvoyants... »

Philippe Corcuff, « Au bon sens Stalinien », Charlie Hebdo n°619, paru le mercredi 28.04.2004, p.11 [3].

 
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Notes

[1Dès la première phrase, comme on le lira plus loin, Philippe Corcuff tente d’accréditer une légende : il n’aurait rédigé qu’une simple « note de lecture » destinée à rendre compte du livre de Mulhmann.
Premier faux : la quasi-totalité de la « note » est consacrée à la critique des médias qu’il abhorre ou qu’il réprouve : celles d’Acrimed et de PLPL, de Serge Halimi et de Pierre Bourdieu. Du livre lui-même, on ne saura presque rien sinon qu’il faut le lire... Ce pur compte-rendu n’aurait été qu’un « prétexte » à la mise au point rédigée par Patrick Champagne.
Deuxième faux : la mise au point était une réponse précise à des accusations précises et totalement inexactes que Corcuff, depuis longtemps et un peu partout, porte et colporte sur une certaine critique des médias et qu’il formulait une nouvelle fois... en prenant le livre de Mulhmann comme ... prétexte.
Une phrase, deux affirmations, deux mensonges. Et ce n’est qu’un début...

[2Voir la note 1 (note d’Acrimed).

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