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Le Parisien : une interview de Philippe Martinez déprogrammée

Un communiqué de la SDJ, du SNJ-CGT, du SNJ et du SGJ-FO du Parisien, publié le 20 octobre.

À leur demande, les organisations syndicales et la SDJ ont été reçues ce mercredi soir [1] par Nicolas Charbonneau, le directeur des rédactions (du Parisien, NDLR).

Ce week-end, une interview de Philippe Martinez, le leader de la CGT, dûment vendue par le service économie samedi, validée par la rédaction en chef et réalisée dans la soirée, a été déprogrammée dimanche [2], à la demande de Nicolas Charbonneau (qui n’était pas de permanence). Ce choix éditorial, a priori perçu comme de la censure, a provoqué un vif émoi au sein de la rédaction et en particulier au service économie qui s’interroge sur sa liberté dans le traitement de ce conflit social – et des suivants.

Nicolas Charbonneau justifie sa décision par un souci de cohérence dans les pages du journal de lundi. « On aurait eu d’un côté un portrait pas forcément à la gloire de Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, et, en vis-à-vis, une interview qui aurait pu être perçue comme une libre-antenne donnée à Philippe Martinez, même si j’imagine bien qu’il ne s’agissait pas de lui dérouler le tapis rouge. Pour le lecteur, ce traitement du conflit social aurait pu être interprété comme déséquilibré », argumente Nicolas Charbonneau qui ajoute : « Si on m’avait proposé un portrait critique de Philippe Martinez et en face une interview de Patrick Pouyanné, j’aurais aussi dit non. » Hostile au format questions-réponses, le directeur des rédactions a alors suggéré de reprendre les propos du leader syndical dans un papier verbatim. « Je voulais de la contextualisation », avance-t-il. En définitive, seules quelques citations ont été reprises dans un papier publié en page politique. Nicolas Charbonneau indique que l’interview aurait pu passer en format web. Or la direction du service économie a considéré qu’à partir du moment où Philippe Martinez n’avait pas droit de cité dans nos pages ce jour-là, il n’y avait aucune raison que le site fasse office de réceptacle de secours.

Sollicité par les organisations syndicales et la SDJ, le directeur des rédactions invoque donc une raison conjoncturelle. « Il est évidemment hors de question de bannir Philipe Martinez de nos pages. Il est un acteur du conflit social et il n’est absolument pas interdit de Parisien. Il n’y aura jamais de censure sous ma direction », assure-t-il. Nicolas Charbonneau indique « qu’il aurait fallu dire “pas comme ça”, que le format QR [3] n’était pas le bon, dès le samedi. »

Les organisations syndicales et la SDJ prennent acte de cette mise au point sur le libre choix des interlocuteurs de la rédaction. Bannir tel ou tel interlocuteur par nature aurait été purement et simplement inacceptable.

En revanche, les arguments mis en avant par le directeur des rédactions ne nous semblent pas suffisamment convaincants. Nous ne voyons pas en quoi la juxtaposition de ce papier sur Patrick Pouyanné – au demeurant très intéressant mais qu’on peut difficilement qualifier de brûlot – avec une interview de Philippe Martinez aurait été de nature à fournir une présentation biaisée ou orientée de ce conflit social à nos lecteurs. Nous avons au passage fait remarquer à Nicolas Charbonneau que les nombreux articles consacrés à l’exécutif dans les pages, et parfois en vis-à-vis, ne soulevaient jamais aucune remarque. On peine à se souvenir d’une interview de ministre déprogrammée.

Selon nous, l’interview de Philippe Martinez, dont la genèse a suivi la voie hiérarchique normale, aurait dû passer en tant que telle, sous le format Q/R qui avait été validée par la rédaction en chef. Nous nous inquiétons de ce dangereux précédent.

Nous avons par ailleurs fait remarquer que cette décision intervenait quelques jours après la Une « Qui sont les extrémistes de la grève ? », assortie d’un édito dans lequel Nicolas Charbonneau s’en prend aux grévistes accusés de faire « un bras d’honneur » à tous les Français dépourvus de moyens de transport alternatifs à la voiture, et salue d’un « Il était temps » l’annonce de la réquisition de grévistes. Ce traitement avait déjà provoqué des remous en interne et sur les réseaux sociaux.

« Cette Une, je l’assume, soutient Nicolas Charbonneau. On peut discuter du terme retenu mais je rappelle qu’extrémiste n’est pas une injure et que, depuis, tous nos confrères ont embrayé sur le même angle. Quant à l’édito, si on enlève l’expression bras d’honneur, il est à la fois critique sur le gouvernement et ceux que j’appelle les extrémistes. » « La neutralité peut nous être fatale, on ne peut pas être tiède », poursuit le directeur des rédactions.

Nous non plus nous ne voulons pas d’un journal tiède, mais nous voulons surtout un journal d’informations. Un journal qui garantit à l’ensemble de nos confrères et consœurs la possibilité d’exercer leur métier sans craindre de tomber sous le coup de décisions arbitraires, ou de voir leur travail dénaturé par le voisinage d’un éditorial partisan.

Nous rappelons au passage que le droit de grève est un droit constitutionnel, reconnu par les conventions de l’OIT.

Nous avons rappelé à Nicolas Charbonneau notre opposition à la publication quotidienne d’un édito qui engage, au-delà du regard de celle ou celui qui le signe, l’ensemble d’une rédaction.

La succession de ces deux épisodes (la Une + le refus de l’interview) nous oblige à la plus grande vigilance.


Le 20 octobre 2022.

 
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Notes

[1Le 19/10.

[2Le 16/10.

[3Format question/réponse (note d’Acrimed).

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