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Au Parisien, barrage à Philippe Martinez, libre antenne pour Emmanuel Macron

par Pauline Perrenot,

Libre antenne pour les uns, censure pour les autres : ou les grands principes journalistiques de Nicolas Charbonneau, directeur des rédactions du Parisien.

À la mi-octobre, pendant le mouvement de grève des salariés des raffineries, pilonné comme il se doit dans la grande tradition du Parisien, le directeur des rédactions déprogrammait tout bonnement une interview de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, pourtant validée par le service « économie » et la rédaction en chef. Droit dans ses bottes, Nicolas Charbonneau justifiait sa censure au nom d’une crainte... déontologique, bien sûr : l’entretien « aurait pu être perç[u] comme une libre antenne » ; le directeur du quotidien de Bernard Arnault ajoutant n’être guère friand du « format QR » (ou questions-réponses) : « Je voulais de la contextualisation ».

Un mois et demi plus tard... tout est oublié ! L’éthique sans faille de Nicolas Charbonneau n’a en effet pu résister à l’attrait d’un « entretien exclusif » avec le président de la République, généreusement accordé à la chefferie éditoriale du Parisien : Nicolas Charbonneau donc, et David Doukhan, rédacteur en chef du service politique. Soudainement, la « libre antenne » n’a plus semblé poser problème. Et plus encore : elle méritait même quatre pleines pages, sous la forme naguère honnie du « questions-réponses » ; bien évidemment la Une, reconvertie en tapis rouge ; mais aussi « l’édito », signé par Nicolas Charbonneau... tant qu’à faire. Bref, un numéro tout chaud et en huis-clos pour le président (4 décembre 2022).



Attachés à la « contextualisation », Nicolas Charbonneau et David Doukhan précisaient le dispositif exceptionnel pour les lecteurs :

L’A330 présidentiel était en vol entre Washington et La Nouvelle-Orléans, vendredi, lorsqu’Emmanuel Macron a répondu aux questions du « Parisien » – « Aujourd’hui en France ». Un entretien sans concession, dans la salle de conférences aménagée à bord de l’avion du chef de l’État. Les turbulences au moment de l’atterrissage n’auront pas suffi à interrompre l’échange avec un président en tenue décontractée, qui précisait encore son propos alors que l’appareil roulait sur le tarmac de Louisiane.


Quel homme déterminé ! En compagnie de deux journalistes qui le furent au moins tout autant dans l’exercice de leur métier. Un entretien « sans concession » ? En particulier à la fin :

- Vous ne pourrez pas vous représentez en 2027. Vous devez penser à la trace que vous laisserez dans l’histoire. Quel serait un second mandat réussi à vos yeux ?
- Vous suivez le parcours des Bleus au Mondial ?
- Un pronostic pour ce 8e de finale face à la Pologne ?


Le reste est à l’avenant : questions ouvertes, relances complaisantes, contradiction à peine perceptible, ou noyée dans les réponses-fleuve d’Emmanuel Macron. Le président aurait été interviewé par ses propres communicants qu’il n’aurait pas vu la différence. Que pouvait-on attendre d’un tel dispositif qui n’a rien à voir avec du journalisme ? Sans surprise la bienveillance et la déférence dégoulinent de ces doubles pages : chaque grand thème abordé est introduit par une citation du président, pour ne rien déguiser du plan de comm’, illustré avec quelques clichés « sans concession » non plus, dépeignant un Emmanuel Macron sérieux, grave, à l’écoute... bref, sous son meilleur profil de grand président.



Pour la transparence, Le Parisien publia la photo-souvenir de ce moment d’indépendance journalistique :



***


Au Parisien, la direction se permet donc de censurer l’interview d’un des principaux dirigeants syndicaux pendant un mouvement de grève au nom de (pseudo) principes éditoriaux immédiatement balayés dès lors qu’il s’agit de badiner avec Emmanuel Macron dans l’avion présidentiel… Ou l’autoritarisme mis au service d’une déontologie journalistique à géométrie variable. « La neutralité peut nous être fatale, on ne peut pas être tiède » confiait Nicolas Charbonneau à sa rédaction en octobre. Quelques semaines plus tard, il lui démontrait même plus : qu’on peut être journaliste... et un parfait propagandiste.


Pauline Perrenot

 
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