Un record. Aucun livre n’a jamais encouru en justice de telles sanctions financières, que celui de Péan et Cohen. " Au total les assignés se voient réclamer 2 685 000 euros à titre de réparation, essentiellement sous la forme d’insertions dans les journaux. Une somme record dans l’édition française ! ", relève Le Point du 20 juin 2003, dans un article intitulé " Treize à l’abordage ".
" Le brûlot de Pierre Péan et Philippe Cohen a suscité pas moins de treize assignations en justice pour diffamation et injures publiques. Les juges devront éplucher plus de 900 coupures de presse déposées au dossier... […] " En vérité, avec de telles exigences, Le Monde cherche à dissuader tout autre éditeur, commente Claude Durand, l’éditeur du livre incriminé. Dans la pire des hypothèses, Fayard pourrait payer sans déposer le bilan. " […]
Parmi les autres plaignants, on trouve les journalistes Ariane Chemin (30 000 euros de dommages) et Hervé Gattegno (1 euro symbolique), mais également diverses personnalités mises en cause, tels la juge Eva Joly (50 000 euros de dommages), le syndicaliste policier Bernard Deleplace ou encore le paparazzi Jean-Claude Elfassi (200 000 euros de dommages)... La société des rédacteurs du Monde (SRM), premier actionnaire du journal, s’estime injuriée par les termes " tenue en laisse ", " béni-oui-ouisme " employés par les auteurs et réclame 1 euro symbolique pour diffamation et 1 euro pour injures […] "
" Un "pressing" judiciaire que Jean-Marie Colombani dénonçait en 1997, époque à laquelle Jean-Luc Lagardère avait sévèrement fait condamner en justice Le Monde ", commente [L’Express (19 juin 2003)... plusieurs semaines après Acrimed (Lire " Le prix de l’indépendance ").
Une recapitalisation vitale
Mais - ceci expliquerait cela ? - le moment est grave pour Le Monde, qui vit " à l’heure d’échéances importantes ", affirme encore L’Express - hebdo qui avait participé à la promotion du livre de Péan et Cohen en publiant ses " bonnes feuilles ". Les dirigeants du Monde " espèrent lever une centaine de millions d’euros auprès des actionnaires du journal ", malgré " un déficit net de 19,5 millions d’euros. […] [Le journal] devrait, dans une seconde phase, être introduit en Bourse [2]. Une recapitalisation vitale pour Le Monde, qui a immobilisé beaucoup d’argent en procédant à des investissements pour l’heure peu rentables, qu’il s’agisse de la prise de contrôle de Midi libre - dont on murmure qu’il pourrait être, à terme, cédé au groupe Lagardère - du rachat de Courrier international et des Cahiers du cinéma, deux publications aujourd’hui menacées, à l’image d’Aden, le guide culturel du quotidien, ou de l’entrée, délicate, dans le groupe des Publications de La Vie catholique (PVC), dont il a pris 30% du capital. […] Si Le Monde ne pouvait entrer en Bourse, les fonds qu’il a levés depuis deux ans, sous forme d’obligations remboursables en actions (57 millions d’euros), deviendraient des dettes - grevant encore sa situation financière - à rembourser entre 2007 et 2009. "
Concrètement, cela signifie que les créanciers prendraient le pouvoir…
Aussi, récent actionnaire des Publications de la Vie catholique (Télérama, La Vie, etc.), Le Monde a commencé sans tarder à vendre les filiales les plus juteuses, telle la société Presse informatique (lire Le personnel des PVC s’oppose au dépeçage par Le Monde [3]).
Autre échéance signalée par L’Express, " le renouvellement, imminent, du bureau de la Société des rédacteurs, organe clef du quotidien et instance qui adoube, installe ou défait ses dirigeants. […] Jean-Marie Colombani, associé à Edwy Plenel, directeur de la rédaction, espère convaincre des journalistes quelque peu déboussolés et obtenir d’eux un nouveau blanc-seing. "
" Détail piquant " dans la procédure judiciaire, signalé par Le Point : " un dessin de Plantu publié juste après la publication du livre figure parmi les preuves avancées par Péan-Cohen. On y voyait la petite souris chère au dessinateur lire La face cachée du Monde un bâillon sur la bouche ! " [4]...
Actualisation du 4 juillet 2003
L’Express du 3 juillet 2003 publie une lettre de Jean-Marie Colombani en réponse à l’article publié par l’hebdomadaire le 19 juin.
« Contrairement à ce qu’affirme ou sous-entend l’article, aucun projet de cession de Midi libre n’est à l’étude ni envisagé, c’est le processus contraire qui est à l’œuvre : la Société éditrice du Monde, actuellement détentrice de 47,97% du capital des Journaux du Midi, sera dans les prochains jours actionnaire à 50,5% de cette société (cf. dépêche AFP du 13 juin 2003).
En second lieu, contrairement à ce que sous-entend l’article, ni Courrier international, ni les Cahiers du cinéma, ni Aden ne sont « menacés ». La diffusion de Courrier international a progressé de 11,9% en 2002 et de 17% de janvier à mai 2003 ; les ventes au numéro des Cahiers ont progressé de 3% de janvier à mai 2003 : les publications du groupe se portent bien.
Enfin, l’un des seuls dans la presse, Le Monde publie, depuis 1945, ses comptes, affichant ainsi en toute transparence déficits et bénéfices, faits et perspectives (cf. Le Monde daté du 14 juin 2003). »
Plus intéressant, le " chapô " que L’Express apporte à la mise au point de Colombani :
" Selon un arrêt de la cour d’appel d’Agen du 28 juin 1911 précisant l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881, aucun journal ne peut user du droit de réponse à l’égard d"un autre journal. Néanmoins, c’est bien volontiers que nous publions ce courrier de Jean-Marie Colombani. "
Si L’Express, pour sauver la face, a les moyens de payer des juristes pour éplucher les " arrêts de la cour d’appel d’Agen ", la situation économique de la presse d’information générale ne doit pas être si dramatique qu’on le dit !