Le marché de la presse allemande est à tous points de vue beaucoup plus important que le marché français. Il est le cinquième mondial et le premier européen. On y compte 319 journaux quotidiens (78 en France) avec un tirage de 12 millions d’exemplaires (7 millions en France). Le réseau de distribution est le plus dense du monde avec 116 000 points de vente (20 000 en France) [1]. Les cinq plus gros groupes de presse figurent parmi les plus prospères du monde avec des chiffres d’affaires dépassant le milliard d’euros, alors que le premier groupe français, le groupe Sipa Ouest-France, affiche en 2022 un CA de 560 millions d’euros. Les magazines allemands ne sont pas en reste, plus nombreux, plus lus et plus rentables que leurs homologues français, surtout en matière d’information politique et générale, avec des publications comme Der Spiegel ou Die Zeit [2].
Les journaux allemands bénéficient d’une forte adhésion de la population à la presse papier et aux informations régionales. De plus, la grande majorité des lecteurs sont abonnés (91 % contre 46 % en France) et reçoivent leur quotidien à domicile par portage, ce qui assure une grande souplesse de gestion aux entreprises de presse et un glissement plus facile vers un abonnement à la version numérique lorsque celui-ci est proposé. Ainsi, sur de telles bases, si la presse allemande connaît, comme les autres, une crise très importante depuis deux décennies, elle résiste mieux. Bien que les ventes de journaux aient été divisées par deux en 27 ans (1995-2022), elles restent très supérieures à celles des autres pays européens.
L’après-guerre et le retour des collaborateurs
À l’issue de la Deuxième Guerre mondiale, les journaux français qui avaient collaboré, c’est-à-dire la grande majorité d’entre eux, furent mis sous séquestre et remplacés par les journaux de la Résistance. Le programme allemand était comparable : « Quiconque s’était politiquement compromis depuis 1933 ne devait plus jouer de rôle dans la presse et, en règle générale, même les noms de journaux en usage avant 1933 ne furent pas réadmis. On voulait voir agir des noms entièrement nouveaux et des hommes neufs. » [3] Sous séquestre également, les journaux allemands furent attribués par les puissances occupantes sous forme de licences accordées à des individus non compromis avec le nazisme. Les Alliés contrôlaient, chacun à leur façon, les publications, tout en éditant aussi leurs propres journaux, dont certains continuèrent de paraître par la suite (Die Welt, notamment, créé par les Britanniques). À la fin 1948, il y avait ainsi 140 journaux tirés à 14 millions d’exemplaires [4].
En 1949, les contrôles cessèrent et la liberté de la presse fut rétablie, ouvrant la voie à 400 publications supplémentaires [5]. Parmi elles, nombre de journaux d’avant-guerre, compromis avec le nazisme, refirent surface. Certains d’entre eux avaient survécu à la fin de la guerre, grâce notamment aux lucratives petites annonces, mais surtout la plupart des imprimeries demeuraient leur propriété, leur conférant, en ces temps de fortes difficultés économiques, un avantage substantiel sur leurs concurrents. D’autant qu’à la fin des années 1940, la lutte contre les résidus du nazisme cédait peu à peu le pas, sur le plan idéologique, à la lutte contre le communisme soviétique, inaugurant la guerre froide [6]. D’où un certain laxisme vis-à-vis des ex-collaborateurs. Quant à la zone occupée par les soviétiques, le contrôle centralisé de la presse passa sans transition des nazis aux nouvelles autorités.
80 ans après, on constate que les détenteurs des 10 plus importants groupes de presse furent (eux-mêmes ou leurs aïeux) membres du NSDAP, le parti nazi, parfois à des postes importants [7] ou bien ont participé à la propagande du régime [8]. En 2006, la plus vieille maison d’édition allemande, DuMont Schauberg, a défrayé la chronique en devenant actionnaire du journal israélien Haaretz, le propriétaire du groupe étant le fils d’un zélé nazi. On constate ainsi, à partir de 1949, un retour en force des anciens propriétaires de journaux, voire anciens partisans des nazis, par un de ces retournements dont la classe dominante a le secret.
Dans les années suivantes, les concentrations dans la presse, comme dans l’ensemble de l’économie allemande (au cours de ce que l’on a appelé « le miracle économique »), se feront à un rythme quasi continu jusqu’à l’année 1976. Selon Manfred Kötterheinrich [9], déjà entre 1954 et 1964 le nombre de quotidiens passe de 1 500 à 1 409 et celui des rédactions autonomes de 225 à 185.
Les rédactions autonomes de moins en moins nombreuses
Une bonne mesure de la concentration des journaux et de ses effets sur le pluralisme réside dans l’évaluation du nombre de rédactions autonomes. Par « rédaction autonome », on entend une rédaction qui couvre par ses propres journalistes l’ensemble des rubriques d’un journal. Les journaux achetés sont la plupart du temps privés de la couverture des questions de politique nationale et internationale, qui leur est livrée pour ainsi dire « clé en main » par le groupe propriétaire [10], et se voient cantonnés aux actualités locales, avec nombre de licenciements à la clé [11]. Même indépendants économiquement, de nombreux journaux achètent à d’autres les articles de politique générale, ne gardant qu’une rédaction locale. Un pluralisme de façade peut ainsi cacher de fortes concentrations internes [12].
Le nombre de rédactions autonomes en Allemagne a chuté de moitié entre 1954 et 1976, période de fortes concentrations [13]. En 1976, pour y mettre un frein, notamment dans la Ruhr où le Westdeutsche allgemeine Zeitung (WAZ) venait d’acheter de nombreux journaux, le gouvernement social-démocrate modifie la loi sur les concentrations.
Les règles anti-concentration dans la presse allemande sont, comme en France, celles du droit commun de la concurrence. Dans les deux pays, l’autorité de la concurrence n’intervient que si les chiffres d’affaires cumulés des entreprises concernées sont supérieurs à un certain plafond : 150 millions d’euros pour la France, 500 millions pour l’Allemagne. Au-dessus de ce chiffre, c’est l’office des cartels (Bundeskartellamt) qui vérifie que le projet d’achat ne met pas une entreprise de presse en position dominante, voire de monopole, dans la ville ou la région concernée.
Mais la loi allemande contient depuis 1976 une disposition spécifique à la presse : le plafond de chiffre d’affaires pris en compte, pour les entreprises de presse, est divisé par 20. D’où une multiplication des contrôles à partir de cette date et une baisse sensible des concentrations pendant les années 1980 et 1990, à l’exception notoire de la phase de réunification, au cours de laquelle les groupes de presse de l’ouest achetèrent la plupart de ceux de l’est. On notera au passage que la régulation par le plafond de chiffre d’affaires est un puissant moyen de contrôle des concentrations.
Ainsi, en 1981, le projet de rachat du plus important groupe du pays (Springer) par le deuxième (Burda), qui aurait conduit ce dernier à une position ultra-dominante, a été retoqué par le Kartellamt [14]. Pour la même raison, le projet de vente, en 2004, du Berliner Verlag à Holzbrinck, un très important groupe de presse, a été refusé. Exceptionnellement, si l’existence de l’entreprise rachetée est menacée, l’achat peut être autorisé, même s’il met l’acheteur en position dominante. C’est ainsi que la Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ) a pu racheter le Frankfurter Rundschau en 2013, bien que cela l’ait placée en position dominante dans le Land de Hesse.
Suite aux mesures anti-concentrations, la baisse du nombre de rédactions autonomes a ralenti. Mais la crise économique que subit la presse dans les années 2000, notamment sur le terrain publicitaire, va provoquer, sous la pression des gros éditeurs, une libéralisation croissante des concentrations. Le plafond de CA n’est plus divisé que par 10 en 2005, puis 8 en 2013, et enfin 4 en 2021. C’est à cette période que, selon Valérie Robert, « les groupes de journaux qui changent de mains sont de plus en plus gros, et [que] la presse suprarégionale n’est plus épargnée ». [15]
Une presse fortement concentrée
Beaucoup plus prospère que la française, la presse allemande était paradoxalement moins concentrée jusqu’à une période récente. Selon une évaluation de Valérie Robert [16] portant sur l’année 2010, les dix premiers groupes de presse quotidienne allemands réalisaient 59 % de la diffusion totale, contre 84 % pour les dix premiers français. Ces dix premiers groupes détenaient 37 % des titres de presse en Allemagne, contre 76 % en France. Pour les magazines, la chercheuse compte, en 2010, que les 5 premiers groupes de presse représentent dans les deux pays 65 % de la diffusion totale, avec une concentration plus intense en France, puisqu’il y a deux fois moins de titres qu’en Allemagne. Mais, selon le Medienvielfalt monitor [17], entre 2010 et 2024 la presse allemande a continué de se concentrer pour atteindre 87 % de la diffusion totale pour les 10 premiers groupes, et 73,5 % pour les 5 premiers groupes de magazines. Bien que plus diverse, la presse allemande est désormais aussi concentrée que la française.
Effet de cette concentration, la presse quotidienne allemande est en position de monopole dans un nombre de plus en plus important de villes et de Länder [18]. Particulièrement dans l’ancienne RDA, où les journaux du parti socialiste unifié (SED) furent achetés dans les premières années 1990 par les groupes de presse de l’ouest, perpétuant ainsi un monopole… devenu capitaliste. Comme le dit Michael Haller, journaliste et chercheur : « C’est l’une des négligences des hommes politiques ayant mené la réunification à bien de ne pas avoir pluralisé les structures monopolistiques de l’époque de la RDA, les confirmant au contraire en appliquant les conditions de l’économie de marché. La conséquence est que, aujourd’hui, presque tous les journaux régionaux des nouveaux Länder sont des monopoles. » [19] Ce faisant, les journaux de l’est se greffaient sur une tendance déjà à l’œuvre à l’ouest depuis de longues années. Car dans l’économie de marché endogame de la presse allemande, la seule solution, toute relative, à la crise de la presse réside dans les concentrations, qui permettent de réduire les coûts par des économies d’échelle et des licenciements, au prix du pluralisme. Une carte dressée par Andrea Czepek [20] des zones de monopole et des zones pluralistes prenant en compte les rédactions autonomes fait apparaître pour l’année 2009 une partition en à peu près deux parties, soit plus de la moitié de l’Allemagne sous monopole, et une partie où les habitants ont deux ou plusieurs sources d’information dans la presse quotidienne. Tendance qui s’est poursuivie avec la progression des concentrations.
Jean Pérès
Annexe : Petit panorama de groupes de presse [21]
Assez représentatif des processus de concentration dans la presse, le groupe Madsack s’est construit autour du principal quotidien de Hanovre, le Hannover Anzeiger, fondé en 1893. En 1937, Erich Madsack, propriétaire du groupe, adhère au parti nazi, le NSDAP. En 1943, le gouvernement national-socialiste fait fusionner le Hannover Anzeiger avec le Quotidien de Basse Saxe (Niedersächsischen Tageszeitung), si bien qu’au moment du retour aux affaires de Madsack, en août 1949, il est le premier quotidien de la région. En 1973, deux autres journaux de Basse Saxe sont acquis. Ainsi, pendant 80 années, le groupe Madsack s’étend sur le seul Land de Basse Saxe par achats successifs de plusieurs quotidiens.
Après la chute du mur cependant, Erich Madsack achète à d’autres groupes de presse (Springer, FAZ, Bertelsmann) des quotidiens importants dans le Schleswig Holstein, et aussi dans les Länder d’ex-RDA de Saxe et du Brandebourg. Enfin et surtout, en 2009, il achète la presse quotidienne de Springer (Leipziger Volkes Zeitung, Lübecker Nachrichten, Kieler Nachrichten, Segeberger Zeitung), devenant ainsi un acteur majeur de la presse également dans le Land de Schleswig Holstein. Il poursuit encore son extension en 2011 en pénétrant le Land de Brandebourg par le rachat du Märkische Allgemeine, quotidien le plus lu de la région, au Frankfurter Allgemeine Zeitung. Et in fine, Madsack achète à Bertelsmann en 2024 le DDV Medien Gruppe, avec notamment le Sächsische Zeitung et le Morgenpost Sachsen, lui assurant une position dominante en Saxe. Une vingtaine de quotidiens répartis sur cinq Länder lui appartiennent désormais. Parallèlement, Madsack a acheté des journaux d’annonces, fait développer des applications numériques, fait produire des films et des reportages pour la télévision, proposé des services : portage, logistique, centres d’appel, publicité, et même du co-voiturage. En 2024, il compte 900 000 abonnés aux quotidiens pour un chiffre d’affaires de 780 millions d’euros (2022). Un des principaux actionnaires du groupe Madsack, pour 23,5 %, est la Deutsche Druck und Verlagsgesellschaft (DDVG), groupe de presse dont le propriétaire se trouve être le SPD, parti socialiste allemand. La DDVG, 8e groupe de presse du pays, possède aussi ses propres journaux et imprimeries. En 2004, son rachat du Frankfurter Rundschau, quotidien d’audience nationale, fit grand bruit. Le SPD se défend de toute intervention sur la ligne éditoriale de ses publications, mais, en 2005, certains de ses membres auraient incité le Frankfurter Rundschau à une critique plus féroce de son concurrent de la gauche radicale, Die Linke.
Le groupe Funke (Funke Medien Gruppe) a une évolution très comparable à celle de Madsack à partir d’un autre land, la Rhénanie du Nord Westphalie. Journaliste, Jakob Funke adhère au NDSAP en 1941, et devient chef de bureau à l’agence de presse nazie. En 1948, à Essen, naît le quotidien Westdeutsche Allgemeine Zeitung (WAZ), qui demeure aujourd’hui le deuxième quotidien allemand, après Bild, avec 20 éditions régionales. Erich Prost, journaliste résistant allemand est son premier propriétaire avec Jakob Funke. Dans les années 1970, quatre autres quotidiens de la même région seront acquis. Après la chute du mur, Funke récupère plusieurs quotidiens de Thuringe qu’il associe dans le Funke Medien Thuringen, un des plus gros groupes de presse dans l’ex-RDA. Sa plus importante opération est l’achat en 2013 à Springer, pour 920 millions d’euros, de deux nouveaux quotidiens, le Berliner Morgenpost, un des principaux quotidiens de la capitale, et le Hamburger Abendblat, ainsi que des magazines de télévision et des féminins. Si bien qu’en 2024, le groupe compte une vingtaine de quotidiens répartis sur cinq Länder. Le groupe Funke dispose également d’un pôle magazines et de prises de participation à l’étranger. Il compte aujourd’hui une quarantaine de magazines dans les domaines de la télévision, du style de vie, de la féminité, de la cuisine, etc., ce qui fait de lui un des premiers groupes européens en la matière. Il s’étend à l’étranger à partir de 1987, lorsqu’il prend 50 % du premier quotidien autrichien, Die Krone (810 000 exemplaires en 2012) et en 1988, 49,4 % dans le Kurier (108 000 exemplaires en 2019), également autrichien. Il est également actif en Hongrie, Albanie, Croatie, et Russie. Comme le groupe Madsack, il s’étend aux marchés connexes des petites annonces et des offres digitales à l’intention des femmes, dans les domaines de la santé et de l’habitat, et anime en outre des stations de radio dans la Westphalie du Nord et un portail de vidéos à la demande (VOD). Avec 5 400 salariés et 1 700 journalistes (et 14 000 livreurs) pour un chiffre d’affaires de 1,13 milliards d’euros (2022), Funke Medien Gruppe ambitionne rien de moins que de devenir le premier groupe de médias allemand.
D’autres groupes de presse se sont constitués à partir de magazines comme le groupe Bauer, né de l’imprimerie à la fin du XIXe siècle. Pendant la guerre, son propriétaire, Alfred Bauer, fut membre du parti nazi, qui lui a permis d’augmenter la diffusion de ses magazines. Le groupe a cumulé au fil du temps quelque 60 magazines en Allemagne, et plus de 500 dans d’autres pays à partir de la fin des années 1980. Par exemple, il achète en 2007 le groupe britannique Emap (magazines et radios) pour 1,58 milliard d’euros, ou encore, pour 407 millions d’euros, le plus important détenteur de magazines en Australie. Il possède également les deux principaux quotidiens de Saxe Anhalt. C’est l’un des plus grands groupes de presse européen, avec 15 000 salariés dans 12 pays et 2,3 milliards d’euros de chiffre d’affaires. En France, Bauer possède quelques publications (Télécâble Sat Hebdo, les magazines féminins Maxi, Maxi Cuisine, Jeux de Maxi).
Le groupe Burda est également issu de l’imprimerie à Offenburg (Bade Wurtemberg), au début du XXe siècle. Il prospère dans l’acquisition de magazines, notamment sous le nazisme, dont Hubert Burda est membre du parti. Actionnaire de Springer en 1983 (25 %), il bénéficie de dividendes très importants, mais échoue à en prendre le contrôle en 1988. Dès lors, il se rabat sur les magazines à forte diffusion (Bunte, Playboy-édition allemande, Elle-édition allemande), et crée Focus, grand concurrent du premier magazine d’information Der Spiegel. À partir des années 2000, le groupe étend son domaine aux activités digitales, dont il tire aujourd’hui plus de la moitié de ses revenus. Comme le groupe Bauer, il développe son activité dans 12 pays, dont la France avec Le Nouveau détective, et 6 autres magazines de la filiale Burda Bleu. Il emploie 12 000 salariés, édite 444 magazines pour un chiffre d’affaires de 2,7 milliards d’euros (2023).
Unique en son genre, le groupe Axel Springer doit l’essentiel de sa prospérité au quotidien à sensation Bild Zeitung, premier journal européen en tirage. Il tire encore, malgré une baisse constante, à presque un million d’exemplaires. Son édition du dimanche (Bild am Sonntag) est le deuxième magazine allemand, et celui dédié aux femmes (Bild der Frau) le 5e, au sport, le 6e. En outre, le groupe Springer possède Die Welt, un des plus importants quotidiens d’information. Après avoir vendu une partie de sa presse à Funke, Springer reste détenteur d’une trentaine de magazines, et de sites comme l’américain Politico (son plus gros investissement, un milliard d’euros) ou le français Marmiton. Le fonds d’investissement KKR (pour « Kohlberg Kravis Roberts & Co »), l’un des plus importants du monde, est devenu en 2019 l’actionnaire majoritaire du groupe qui, en septembre 2024, se divise en deux entités autonomes : KKR récupère les sites d’annonces et Springer reprend toute la partie presse. Il conduit depuis quelques années une conversion de son empire de presse vers le numérique – en particulier les sites d’information en ligne – qui constitue la plus grande part de ses recettes et de ses bénéfices, respectivement de 3,9 milliards et 750 millions d’euros (2023), pour un effectif de 18 000 salariés.
Quant au géant allemand des médias et de l’édition, Bertelsmann (145 000 salariés, CA de 13,8 milliards d’euros en 2021), il est d’abord une maison d’édition née en 1835. Le groupe s’est fortement enrichi au cours de la Deuxième Guerre mondiale grâce à une coopération étroite avec le régime nazi. « Bertelsmann s’était spécialisé dans la publication d’ouvrages à la gloire de la Wehrmacht. Une cinquantaine d’ouvrages littéraires (sur 1 200 publiés à l’époque) contenaient des attaques antisémites massives » [22]. Son activité dans la presse débute en 1970, alors qu’il est déjà un des plus gros groupes de communication du monde. En achetant l’éditeur Grüner+Jahr, il acquiert un certain nombre de magazines, parmi lesquels on compte l’un des plus importants, Stern, dans l’information politique et générale, et Brigitte, magazine féminin qui était alors le plus fort tirage en Allemagne (800 000 exemplaires), ainsi que de nombreux magazines dans d’autres pays. Il devient ainsi un des plus importants groupes de presse magazine d’Allemagne. Il possédait en France le groupe Prisma Presse, une quarantaine de titres (Geo, Gala, Femme actuelle, Voici, Capital…) qu’il a vendus à Bolloré en 2021. D’une manière générale, le groupe veut faire le ménage dans sa presse magazine en ne gardant que les titres les plus importants. En février 2023, Bertelsmann annonce la suppression de 700 emplois dans le pôle magazine, soit le tiers des effectifs.
On aura remarqué la notable quantité d’investissements des groupes allemands dans des entreprises étrangères, y compris en France, alors que les médias français restent, à de rares exceptions près, centrés sur l’hexagone. Une question de capacité capitalistique, sans doute, mais aussi le fait que les médias français qui sont aux mains d’industriels se soucient peu d’exercer une influence politique dans des pays étrangers, alors que les allemands y voient une occasion d’étendre leur empire et d’augmenter leurs profits sans enfreindre les lois allemandes anti-concentrations.



