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Macron « chef de guerre » et lieutenants médiatiques

par Pauline Perrenot,

« Père de la nation », « chef de guerre », « pacificateur en chef »... journalistes et éditorialistes n’ont pas manqué de qualificatifs pour vanter la gestion de la guerre en Ukraine par Emmanuel Macron, quitte à suivre, tels des ombres, la communication du gouvernement. Un cas d’école de journalisme de cour.

Si le suivisme exacerbé de la communication gouvernementale, par temps de guerre, est loin d’être une nouveauté, il revêt ici une dimension double, le traitement du « candidat » Macron engagé dans la campagne présidentielle se superposant à la couverture de ses orientations politiques vis-à-vis de la guerre en Ukraine. Un couplage que les récits journalistiques mettent en scène à outrance, notamment à travers la co-fabrication de la figure du « chef de guerre », dont la réélection ne serait presque qu’une formalité. « La guerre en Ukraine, un tremplin pour la réélection d’Emmanuel Macron ? En tout cas, le costume de chef de guerre endossé, malgré lui, par le président de la République semble séduire des Français » avance par exemple La Dépêche (2/03), avant de théoriser un « effet drapeau » dans les sondages d’intentions de vote… Des écritures propagandistes qui, partout, rythment les articles de presse et les commentaires en plateau au fil des « journées interminables » et des coups de téléphone du Président, le tout renforcé par des choix iconographiques uniformisés.



Du Monde à L’Opinion en passant par la quasi-totalité de la PQR, et sans oublier la radio publique, le journalisme de révérence est à la Une. Dans les pas de feu Jean Daniel, qui confessait en 2017 « accompagner l’incroyable épopée d’Emmanuel Macron, cet enfant prodige » [1], l’actuel rédacteur en chef de L’Obs, Sylvain Courage, continue de pratiquer le journalisme de cour avec une précision d’orfèvre, ne sachant plus comment décliner les courbettes (3/03) : Macron « solennel et fédérateur, [ayant] plus souvent dit "nous" que "je" » ; « indéboulonnable père de la Nation » ; « pacificateur en chef » ; « gardien de la démocratie » ; « "Emmanuel le Rassurant" » ; « chantre de l’Europe [tenant] enfin des preuves tangibles de l’union » ; et cette phrase d’accroche qui donnait le ton : « C’est en présidant que l’on redevient président. »

Partout, les commentateurs fusionnent avec les communicants. Jusqu’à la nausée : le commentaire des clichés d’Emmanuel Macron « lors d’un coup de téléphone avec Vladimir Poutine » (nous dit-on…), diffusés sur Instagram par Soazig de La Moissonnière, photographe officielle du gouvernement. À cette occasion, Samuel Gontier rapportait pour Télérama (25/02) une séquence de communication propagandiste sur BFM-TV : « "C’est un moyen de faire passer un message très clair quand les mots sont rares, apprécie Vincent Derosier, de RTL. Cette alternance de couleur, de noir et blanc, d’un président tête dans les mains, c’est que la situation est grave, c’est qu’il ne compte pas ses heures. […] Avec ces photos, on a toute la démonstration que le président est au travail vingt-quatre heures sur vingt-quatre sur ce dossier, la nuit s’il le faut, et qu’il n’est pas dupe de Vladimir Poutine." » Ou encore Pierre Servent, l’expert médiatique en chef de cette guerre en Ukraine : « Si [Macron] a la barbe, c’est qu’il a un autre dossier sur le feu, le Mali. […] Il a de quoi passer ses week-ends dessus et être un peu fatigué, marqué physiquement. »



Des pratiques qui sont loin d’être l’apanage des chaînes d’info. Une autre livraison du même acabit par la même photographe, le 13 mars, fait les choux gras des journaux people et « féminins », comme d’une partie de la presse locale et nationale, biberonnée aux réseaux sociaux. « Avec la capuche du hoodie, le cheveu peu, voire pas du tout coiffé et le jean marine, [la barbe de trois jours] complète le look "start-up nation" » ose Elle (15/03), qui poursuit : « Le chef de l’État est connu pour la précision de ses clins d’œil : celui-ci, inachevé, signe la fatigue issue de doubles journées bras de fer avec Vladimir Poutine/campagne électorale. À vue d’œil, le président a dû dormir une douzaine d’heures en deux semaines et la mobilité de sa paupière supérieure s’en ressent. Message implicite ; Emmanuel Macron, comme les Français, n’a pas trop le cœur à rigoler, ces jours-ci. » Des morceaux de bravoure plagiés par la rédaction du Journal des femmes (15/03) : « Emmanuel Macron... comme vous ne l’aviez jamais vu. Regard fatigué, cheveux en bataille et barbe à la Gainsbourg, le chef de l’Etat a mis son costume au placard pour se vêtir d’un habit plus décontracté. […] Quoiqu’il en soit, certains internautes ont vu dans cette série de photos une volonté de se montrer en tant que Président sur tous les fronts, à l’image de son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky... » Le tout agrémenté de diaporamas aux titres inspirés.



Journal sérieux, Libération se prévaut d’un billet de « décryptage » d’une « opération médiatique » (15/03)… à laquelle Libération participe sans retenue :

En un post, Emmanuel Macron a aussi voulu se « zelenskyser » : impossible de ne pas faire le rapprochement avec l’air fatigué et la tenue du président ukrainien, qui a troqué ses costumes pour le total look kaki du chef de guerre en résistance. Depuis le 24 février, Volodymyr Zelensky se bat à armes inégales contre Vladimir Poutine. C’est sa bravoure qui lui vaut aujourd’hui une popularité record en dehors des frontières de son pays. Lui ressembler lui permet de s’approprier un peu de son courage et de son aura. […] Les sceptiques y voient plutôt un président en roue libre, qui veut casser les codes de la bienséance politique, en se montrant dans une tenue d’homme d’action qui n’a pas froid aux yeux. Mieux qu’une punchline saignante, c’est le look contre-intuitif du chef d’Etat qui parle cette fois pour lui. Mais gare à la surenchère vestimentaire : en se caricaturant, Macron frôle déjà le ridicule.

Un peu comme Libération ?

Et du reste une grande partie des médias, de RTL à Midi Libre en passant par La Voix du Nord, tous reconvertis en Sherlock Holmes au moment de consacrer des « enquêtes » au logo du sweat d’Emmanuel Macron…



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Une nouvelle fois, les rédactions ont suivi le pas de la communication gouvernementale, co-construisant la figure d’un « Macron-chef-de-guerre » et vantant sa gestion de la guerre en Ukraine. Conquis par ce « Père-de-la-nation-gardien-de-la-démocratie », ils en annuleraient presque les élections.


Pauline Perrenot

 
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Notes

[1« Macron président : laissons-lui ses chances », Jean Daniel, L’Obs, 16 mai 2017.

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