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Contre la suppression de la redevance ! Pour la refondation de l’audiovisuel public !

par Pauline Perrenot,

L’annonce de la suppression de la redevance par la majorité présidentielle constitue la dernière attaque d’une longue liste de coups portés par le pouvoir politique contre l’audiovisuel public et contre l’information. Acrimed apporte tout son soutien à la mobilisation des salariés du service public, en grève le 28 juin. Une solidarité qui ne se satisfait pas du statu quo pour autant, ni ne suspend les nombreuses critiques que nous formulons à l’égard du service public de l’information, de son fonctionnement et de ses productions éditoriales.

« Je n’accepterai jamais qu’une entreprise publique, quand on lui demande un effort [...], considère que la seule réponse serait d’augmenter la redevance, ou d’aller faire du lobbying en commission. » En décembre 2017, seulement quelques mois après son élection, c’est avec tout le mépris qui le caractérise qu’Emmanuel Macron qualifiait ainsi de « honte » l’audiovisuel public et semait les graines d’une nouvelle saignée budgétaire. Une politique qui marquera son premier quinquennat : selon les conclusions d’un avis sénatorial (nov. 2021), « le bilan du Gouvernement concernant l’audiovisuel public […] s’identifie, pour l’essentiel, à une cure d’austérité opérée à travers une baisse des moyens à hauteur de 190 M€. […] Deux entreprises ont eu à supporter l’essentiel de ces baisses depuis quatre ans, France Télévisions à hauteur de 160 M€ et Radio France pour près de 20 M€. » [1]

Mais il lui en faut encore davantage : en campagne pour sa réélection en 2022, Emmanuel Macron a annoncé vouloir supprimer la redevance audiovisuelle, soit la principale source de financement du service public. Une proposition que devrait entériner le projet de loi de finances rectificatives, annoncé pour le 29 juin. En la présentant comme une mesure en faveur de la population – elle devrait être intégrée au futur « paquet pouvoir d’achat » du gouvernement –, la majorité présidentielle brouille sciemment les cartes. Pire : elle oppose les usagers à leurs services publics, tout en prétendant agir pour le bien des premiers… comme des seconds !

Cette philosophie 100% néolibérale – dictant la politique infligée à l’ensemble des services publics – fait consensus de l’extrême droite à la droite : Éric Zemmour (Reconquête !) avait fait de la suppression de la redevance une revendication de campagne, de même que Marine Le Pen (RN) et Valérie Pécresse (LR) [2].

Comment le gouvernement compte-t-il dès lors compenser les 3,7 milliards d’euros équivalant au montant annuel de la redevance [3] ? Le flou règne et ce n’est pas bon signe. Au micro de France Inter (22 avr.), Emmanuel Macron annonçait « un budget avec de la visibilité pluriannuelle » qui « ne donne pas lieu à la régulation budgétaire dans l’année par le gouvernement ». Mais rien ne dit que ce budget serait fixé à la même hauteur (déjà largement insuffisant), ni qu’il serait garanti. La règle de l’annualité budgétaire et les baisses de crédits alloués au service public pendant cinq ans laissent même présager le contraire !

Autre précision, et non des moindres : une telle dépendance au budget de l’État ne ferait que renforcer la subordination de l’audiovisuel public à l’égard du gouvernement… et favoriser les pressions politiques en général.

Les syndicats de l’audiovisuel public ne s’y trompent pas, qui entrevoient, au-delà de ces différents aspects, de sérieuses menaces : fusion des entreprises ? suppression/privatisation de chaînes ? disparition des ensembles musicaux de Radio France ? quid du soutien à la création audiovisuelle et cinématographique ? À France Télévisions comme à Radio France, on craint évidemment un rétrécissement du périmètre : « En gros : le divertissement populaire et les choses qui sont susceptibles de faire de l’audience, il faut que ça reste au privé parce que audience = recettes publicitaires. Et puis tout le reste, "les niches", on le laisse au public » résumait Lionel Thompson (CGT Radio France) à Acrimed. En bref : socialisation des pertes, privatisation des profits.

Les syndicats alertent également sur les conséquences que pourrait entraîner une nouvelle baisse des effectifs. Rappelons que de 2012 à 2020, ce sont déjà 1 469 ETP (équivalents temps plein) qui ont été supprimés à France Télévisions [4], tandis qu’auprès de Libération [5], des journalistes ont récemment fait le portrait de la « précarisation organisée » à Radio France. Pour ne prendre que le seul exemple de France Bleu (44 stations locales), les conditions de travail alarmantes font l’objet de dénonciations incessantes de la part des travailleurs et des syndicats. À cet égard, la grève et la « semaine blanche » menées fin mars/début avril [6] s’inscrivaient dans la lignée de multiples signaux de détresse, (re)mis dernièrement en lumière par une expertise « risques graves », présentée à la direction de Radio France début décembre 2021 [7].


Pour une autre redevance... et une refondation de l’audiovisuel !


Soyons clair : ce n’est pas en fragilisant davantage l’audiovisuel public et son personnel que l’on obtiendra une meilleure information ! Aussi, notre association apporte son soutien aux salarié·e·s mobilisé·e·s contre la suppression de la redevance. Et ce quelles que soient les critiques que nous n’avons cessé d’adresser et que nous continuerons d’adresser à l’orientation éditoriale des chaînes publiques et à nombre de leurs pratiques journalistiques.

Conformément au combat que mène Acrimed depuis 1996 pour faire de la question des médias une question politique de premier plan, nous pensons nécessaire la tenue d’états généraux en présence des syndicats et organisations de journalistes, des personnels du service public de l’information et de la création audiovisuelle qui le souhaitent, des usagers et usagères concerné·e·s par le sort de l’audiovisuel public, sans oublier les militant·e·s politiques et député·e·s élu·e·s de gauche ayant affiché leur volonté de « démocratiser les médias » et de renforcer l’audiovisuel public.

De très nombreux acteurs – dont notre association – luttent de longue date pour une refondation en profondeur de l’audiovisuel public. La question spécifique du financement y a évidemment toujours tenu une place importante, faisant l’objet de revendications politiques, syndicales et associatives jusque-là passées à la trappe. Une longue histoire, qui, sans entrer dans le détail ici, mérite d’être soulignée, en rappelant notamment la lettre ouverte au gouvernement et aux parlementaires « Dis-moi qui te paie, je te dirai qui tu es » (1999) et les États généraux de la création audiovisuelle (2000).

• Nous inscrivant dans le cours de cette histoire, nous sommes favorables à la mise en place d’une redevance universelle (non liée à la possession d’un téléviseur) dédiée et affectée, à son augmentation et, surtout, sa progressivité (montant calculé en fonction des revenus des ménages, avec une exonération pour les plus précaires).

Au-delà, la tenue de nouveaux états généraux pourrait permettre de remettre au goût du jour d’autres revendications en vue d’une refondation de l’audiovisuel public, que nous synthétisions en 2006 : celle d’une taxation des chiffres d’affaires de la publicité (dans et hors médias) en guise de mesure transitoire – et dans l’attente d’une réflexion aboutie sur le statut de la publicité dans les médias en général.

Celle, également, de fixer et distribuer démocratiquement les ressources de l’audiovisuel public. Parce qu’il doit être soustrait au bon vouloir des majorités parlementaires, le budget de l’audiovisuel pourrait dépendre d’un Conseil national des médias indépendant des pouvoirs publics et des propriétaires de presse, que nous appelons de nos vœux depuis deux décennies.

Il s’agit enfin de promouvoir à nouveau un principe à nos yeux fondamental : « La redéfinition des politiques publiques de l’audiovisuel et la constitution d’un service public, indépendantes du financement commercial sont une seule et même priorité. Cette fondation, ou cette refondation, pour être pleinement démocratique, ne peut s’appuyer sur le seul secteur public, réduit de surcroît au périmètre qui est actuellement le sien. C’est pourquoi il faut soutenir […] un nouveau projet. Le service public doit reposer sur deux piliers ou deux secteurs correspondants à deux formes de propriété complémentaires : un secteur public libéré des contraintes purement commerciales et de sa mise sous tutelle politique ; un secteur associatif indépendant. »


Une critique radicale indissociable de la lutte actuelle


Alors que la concentration fait rage dans le secteur privé, aggravée ces dernières années par la prédation sans limite de Vincent Bolloré ; alors que les Gafam accroissent leur emprise sur les contenus (information, création audiovisuelle, événements sportifs, etc.) ; alors que la fusion TF1-M6 – qui captent à elles deux les trois quarts des revenus publicitaires télévisuels – promet de ravir les actionnaires, leur pouvoir d’influence et leur domination sur « les prix des reportages auprès des agences extérieures » [8], l’audiovisuel public se doit d’être renforcé.

Dans cette perspective, la critique radicale des médias – y compris l’audiovisuel public ! – est, pour Acrimed, indissociable de la lutte actuelle, en ce qu’elle nous renvoie aux transformations matérielles indispensables à la production d’une information indépendante et de qualité. Parmi lesquelles :

• Redonner du pouvoir aux journalistes et à l’ensemble des salariés dans le but de stopper les logiques de dépossession du travail et d’abolir la toute-puissance éditoriale de chefferies : sur le choix des invités et des sujets, leurs angles, mais également sur la conception des formats/dispositifs des émissions, qui privilégient l’éditorialisation et le commentaire en lieu et place du reportage et de l’enquête ;

• Embaucher et créer les conditions matérielles d’un travail décent contre les politiques austéritaires et de précarisation organisée (multiplication insensée des CDD ayant parfois cours sur des carrières entières, surcharge quantitative et qualitative du travail des stagiaires, précarisation des pigistes et des correspondants à l’étranger, etc.) ;

• Débarrasser le service public des pressions commerciales (partenariats public/privé, sponsorisation des programmes par des entreprises privées, course à l’audience, etc.) qui nuisent à l’information et laissent libre cours aux mélanges des genres ;

• Enrayer les processus de starification, qui confèrent à quelques têtes d’affiche le monopole de l’information (notamment politique) tout en leur assurant des revenus mirobolants au détriment des journalistes spécialisés et d’une cohorte de soutiers de l’information ;

• Réinternaliser une part significative de la production des émissions, et stopper la multiplication des commandes publiques aux sociétés de production privées qui, non seulement privent les salariés du public d’un droit de regard sur les contenus, mais profitent à des animateurs-producteurs et aux actionnaires de ces entreprises extérieures [9] qui captent une part démesurée de ressources pourtant limitées ;

• Repenser le mode de désignation des dirigeants de l’audiovisuel public, dans l’optique de mettre un terme aux connivences potentielles avec le pouvoir politique qui, quoi qu’il en soit, privilégie managers et gestionnaires, à l’évidence étrangers à tout esprit de service public [10].

Ce sont ces grands axes – non exhaustifs ! – que nous souhaitons porter au débat dans la perspective d’une refondation de l’audiovisuel public, contre la dégradation des conditions de travail, les inégalités croissantes et indignes du service public, et pour la production d’une meilleure information. Sur toutes les chaînes existent déjà des programmes de qualité, qu’ils soient diffusés à l’antenne ou en podcast. À nous de revendiquer et faire en sorte qu’ils soient la norme : parce que l’information est un droit, elle ne doit pas être le monopole des professionnels de l’information. À ce titre, Acrimed entend bien prendre toute sa (modeste) part dans la bataille en cours.


Pauline Perrenot


Pour aller plus loin sur le site d’Acrimed



- « Grève à Radio France : entretien avec Lionel Thompson (SNJ-CGT) », juillet 2019 ;

- « Rétrécir l’audiovisuel public pour le sauver ? », décembre 2019 ;

- « La situation à France Télévisions : en attendant l’apocalypse ? », décembre 2017 ;

- « Histoire de l’asphyxie de l’audiovisuel public : "la honte"… pour qui ? », décembre 2017 ;

- « Macron contre le journalisme », novembre 2019 ;

- « Pour une refondation de l’audiovisuel public - La question du financement », janv. 2008 ;

- Plus largement, voir les rubriques « Transformer les médias : Nos propositions » mais aussi « En direct de Radio France » et « Télévisions publiques : sous le règne d’Emmanuel Macron », « de François Hollande », « de Sarkozy », et « de 1997 à 2007 ».

 
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Notes

[2Lire « Présidentielle 2022 : les candidats et leurs programmes "médias" », 7 avril. Notons que Marine Le Pen et Éric Zemmour proposaient aussi de privatiser tout ou partie de l’audiovisuel public.

[3Comme le précise Julia Cagé, ce sont « 3 140,5 millions d’euros en 2022 auquel il faut ajouter 560,8 millions d’euros au titre des dégrèvements de CAP pris en charge par le budget de l’État (montants dégrevés au titre des personnes de condition modeste et des droits acquis). » Actuellement, « tous les foyers (au sens de la taxe d’habitation) qui possèdent une télévision ou "tout autre dispositif assimilé" (comme un lecteur ou un lecteur-enregistreur de DVD) sont tenus de l’acquitter, soit 27,61 millions de foyers assujettis en 2022. […] En 2022, 65 % des recettes de la redevance ont bénéficié à France Télévisions, 15,9 % à Radio France, 7,5 % à Arte France, 7 % à France Médias Monde, 2,4 % à l’Institut national de l’audiovisuel et les 2,1 % restants à TV5 Monde. » Voir « Une autre redevance est possible. Pour un financement affecté mais plus juste de l’audiovisuel public », Julia Cagé, Éditions Fondation Jean Jaurès, juin 2022.

[4Volet financier du rapport annuel de France Télévisions, 2020.

[5« Précarité à Radio France : "Ce qu’on accepte, c’est ce qu’on dénonce dans nos reportages" », 10 juin.

[6Lire « Grève et semaine blanche contre la plateforme commune France Bleu/France 3 », SNJ, 31 mars.

[7Lire « France Bleu est malade, mais la direction temporise », SNJ, 4 déc. 2021 et « "Travail dissimulé", "crises de larmes, pensées suicidaires..." : le rapport choc sur France Bleu », Mediapart, 15 janv.

[8Le Monde diplomatique, oct. 2021. Lire sur le site d’Acrimed « Actualité des médias : Bolloré, fusion de TF1 et M6, Kretinsky… La prédation capitaliste sur l’information continue », oct. 2021.

[9Lire, par exemple, « Nagui, l’homme qui valait 100 millions (d’argent public) », Mediapart, juil. 2020.

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