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Bévues de presse : " Maljournalisme, le sujet qui fâche "

La presse française est souvent médiocre, parce que les journalistes travaillent mal. C’est l’implacable constat dressé par un journaliste, Jean-Pierre Tailleur. Entre l’enquête journalistique et la recherche documentaire, Bévues de presse décortique de nombreux cas de manque de professionnalisme dans - et non pas "de"- nos entreprises.

Lancé en 1998 sous la direction de Christine Ockrent, avec le soutien du Monde, l’hebdomadaire L’Européen repose " essentiellement sur des travailleurs précaires ou intérimaires, dont la raison d’être (écrire sur l’Europe) est louable mais floue ". Sa courte existence a pourtant bénéficié d’une invraisemblable complaisance de la part des journalistes médias des grands journaux.

Cet exemple illustre la première plaie de la presse française : elle privilégie les " grandes signatures " et les " articles d’opinion ", au détriment des informations pertinentes sur les faits [1]. Mais, ajouterons-nous, la presse française méprise peut-être trop le lecteur pour le croire capable de se forger une opinion.

Encore faudrait-il lui en donner les moyens. La plupart des articles épinglés pèchent par le manque de faits, " ces "hard facts" concrets à la base du journalisme, qui distinguent cette discipline de la littérature ou de la confection de rapports de synthèse. "

Titré " Le petit journalisme des grandes institutions ", le deuxième chapitre est accablant. Oui, une certaine presse a étouffé le scandale de l’Association pour la recherche sur le cancer (ARC), dont l’un des administrateurs était Jean Miot, alors président de la Fédération nationale de la presse française (FNPF [2]) et dirigeant du Figaro. Les " reportages " d’une autre figure de ce quotidien, lauréat puis juré du prix Albert Londres [3], maltraitent volontiers les faits au profit des mêmes diatribes qu’alignent ses essais.

Quelques journaux n’ont pas tu qu’un des rédacteurs du Monde chargé de couvrir l’affaire du sang contaminé " pigeait " pour une société de Michel Garetta, une des principales personnes mises en cause. Mais la " commission " d’enquête diligentée par la direction du Monde n’a pas vu la " trace d’une influence " de cette collaboration extérieure dans les " textes publiés par Le Monde " à propos du sang contaminé. Après enquête, le journaliste américain Mark Hunter estime pourtant que le " pigiste " de Garetta " a pris le parti du docteur Garetta tout au long du scandale " (Médias Pouvoirs, 2e trim. 1998).

Les développements sont fréquemment étayés d’une comparaison avec les pratiques en vigueur dans d’autres pays. Quand on découvre qu’une journaliste du Washington Post a " bidonné " le reportage qui lui a valu le prix Pulitzer, le Post rend compte de ses fautes, en publiant une auto-enquête de 18 000 mots. Le médiateur est recruté hors du journal. " Les conclusions du médiateur ont ensuite été validées dans un document de cinquante pages du Conseil national de la presse ".

Autre " vache sacrée ", le Canard enchaîné est l’objet d’un tir nourri, pour sa " passivité face à des pans entiers de l’actualité " et ses " approximations fréquentes ". Le volatile, indulgent pour un Roland Dumas (ex-avocat du Canard...) au cœur de la tourmente judiciaire, peine aussi à se démarquer quand un de ses reporters est mis en cause pour avoir, dans le livre L’Affaire Yann Piat, proféré de graves accusations contre deux personnalités politiques. Le contenu de ce livre se situe dans le prolongement d’articles publié dans Le Canard, démontre Jean-Pierre Tailleur.

Nous ne nous attarderons pas sur la Presse quotidienne régionale (PQR), pour laquelle l’auteur est sévère : " aux antipodes du journalisme d’investigation, elle collectionne les erreurs jamais sanctionnées " ni corrigées (citations tronquées, altération des noms propres, approximations, articles promotionnels...).

Le 16 août, Libération réussissait à rappeler les louanges dont les médias gratifiaient il y a encore quelques mois Jean-Marie Messier, sans que l’article contienne un nom de journal ou de chaîne radio ou télé ! A contrario, Jean-Pierre Tailleur produit les pièces de sa démonstration, et les noms des journaux fautifs. Sa franchise n’est peut-être pas étrangère au silence qui a entouré la parution de Bévues de presse [4], alors que le moindre essai insipide d’un médiacrate connu est volontiers plébiscité.

Parmi les contributions épinglées dans le chapitre sur la " stérilité des débats publics ", un rapport présenté en 1999 au Conseil économique et social [5], qui tente de noircir les médias nord-américains : on peut y lire à propos du "Monicagate" que " le très sérieux Newsweek " a repris " sans vérification aucune, la rumeur diffusée sur le Net par un internaute indépendant ". En fait, c’est exactement l’inverse qui s’est produit... [6]

Les " garde-fous " sont " défaillants ", regrette Jean-Pierre Tailleur. Il reproche aux écoles de journalisme la quasi-absence de la déontologie dans leurs programmes, et aux syndicats de se concentrer " sur les revendications salariales et statutaires. On ne les entend pas inviter les délinquants de la profession à changer de métier ".

La fin de l’ouvrage pèche par l’approximation dont l’auteur se désole ailleurs. Il regrette que la Commission de la carte [7] ne soit pas " dotée de véritables pouvoirs de sanction ", de " moyens " pour " évaluer l’honnêteté professionnelle des détenteurs ", mais se contredit quelques lignes plus loin : " ce n’est pas sur la base de critères déontologiques " que la carte est attribuée. Pourquoi donc s’étonner que le site Internet de la Commission " ne parle nullement d’éthique " ? Ses compétences étant édictées par la loi, elle ne saurait devenir de son propre chef un " ordre des journalistes ". L’auteur prétend également que la carte de presse " permet de bénéficier " des " fameux 30 % d’abattement ".

Souhaitons que ce livre joue un rôle fondateur, tant l’analyse du travail journalistique n’est pas courante en France, à l’exception de quelques " affaires " impliquant des " stars " de la télé. Mais au-delà du diagnostic, la thérapie nécessaire prescrit que la presse fasse preuve de " plus de volontarisme pour reconnaître ses insuffisances et traquer ses fautes ".

 Article paru dans "SNJ Info", journal de la section Région parisienne du Syndicat national des journalistes (SNJ), septembre 2002.

 
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Notes

[1Lire "Deuil national" (Note d’Acrimed, janvier 2003).

[2« Fédération Nationale du Patronat de la Presse »,dissoute en 2009 patronat de la presse (Note d’Acrimed, complétée en février 2014).

[3Vois sur le site de la Scam pour en savoir plus sur ce Prix (Note d’Acrimed).

[4« Bévues de presse. L’information aux yeux bandées », de Jean-Pierre Tailleur. Editions du Félin, février 2002, 239 pages, 19,80 euros.

[5Pour en savoir plus sur le CES. Note d’Acrimed.

[6A ce sujet, lire les remarques d’Ignacio Ramonet dans La fin du journalisme, par Ignacio Ramonet, un débat d’Acrimed. Note d’Acrimed.

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