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EN BREF

Zemmour superstar

par Henri Maler,

Il dit n’importe quoi... et tout le monde en parle !

Biologiste (quand il réinvente l’existence des races humaines), anthropologue (quand il refonde sur la nature la suprématie menacée des mâles), statisticien (quand il affole sa calculette pour chiffrer l’immigration), historien (quand il disculpe le régime de Vichy), islamologue (quand il interprète à sa guise le Coran pour dénier aux musulmans la possibilité d’être français), mais aussi philosophe, politologue, économiste et sociologue, Éric Zemmour est un touche-à-tout omniscient. On ne discutera pas ici des produits de son cerveau, mais de la place qui est accordée à ses élucubrations. « À quoi sert Éric Zemmour ? », demandions-nous en mars 2010. Plus de six ans plus tard, la même question, à peine modifiée, mérite d’être posée à nouveau.

Suffisant insuffisant, Éric Zemmour dispose depuis de nombreuses années de multiples tribunes dans de nombreux médias. N’en retenons qu’un seul.

Les agents de propreté urbaine (communément appelés « éboueurs ») ont à peine achevé leur tournée dans la plupart des localités qu’il est l’heure pour Éric Zemmour de déverser ses commentaires sur une autre voie publique : l’antenne de RTL. Succès garanti : RTL est largement en tête des audiences radios.

Mais cela, apparemment, n’est pas assez. L’éditeur Albin Michel, assez avisé pour savoir ce qu’est un livre à succès, publie donc en cette rentrée un recueil des chroniques diffusées sur RTL.

Est-ce assez répandre ? Pas du tout. La loi de l’audience est dure mais c’est la loi. Avec Éric Zemmour, audience garantie : ça « fait polémique », ça « clashe » et ça « buzze », comme dit le vocabulaire en vigueur dans les médias qui aiment par-dessus tout le bruit qu’ils font ou qu’ils entretiennent. Rien n’est plus urgent que d’accueillir le génie méconnu pour étendre la surface de son audience et papoter de la reproduction écrite de ses « billets » radiophoniques.

On pourra alors tout à loisir s’étonner ou s’indigner, en cours d’émission ou dans la presse écrite, de ce que le vocabulaire en vigueur (déjà mentionné) s’obstine à considérer comme des « dérapages ». Ceux qui rectifient les mensonges de l’Arrogant ne manquent pas. Et comme ceux qui le contestent ou qui le détestent, voire qui aiment le détester, ne se privent pas de le faire savoir, il bénéficie d’une publicité supplémentaire : la publicité négative, c’est encore de la publicité. Et Éric Zemmour occupe ainsi une position centrale dans les « débats » du moment.

Faut-il le priver de parole ? Évidemment pas : ses tribunes, qu’il les garde – puisqu’il a des employeurs peu regardants prêts à le payer pour ça ! Faut-il lui servir de passe-plat ? Évidemment pas, non plus : il a ses tribunes, et cela suffit ! Faut-il lui répondre ? Ce n’est pas certain. Alors, à quoi bon cet article ?

Son enjeu ? Souligner une fois de plus les règles de fonctionnement du microcosme : des ouvrages tapageurs, vite lus, vite oubliés, rédigés ou compilés par des journalistes, bénéficient d’une promotion, élogieuse ou critique, assurée par de diligents confrères, qui occupe les temps d’antenne et noircit les colonnes des journaux. Et (faute de temps et de place ?) des dizaines d’ouvrages importants dont les auteurs sont parfois de journalistes et dont la plupart n’appartiennent pas au sérail ne bénéficient que de comptes rendus confidentiels, particulièrement à la radio et à la télévision.

Ainsi va le pluralisme dans le petit monde des grands médias (qui est aussi celui de l’inanité verbale de la médiatisation selon leurs goûts). Fermé sur lui-même, ce petit monde consacre trop souvent des bavards qui le consacrent et le confisquent. Dans une émission récente de « On n’est pas couché », le 10 septembre, Vanessa Burggraf, nouvelle adepte du bon sens près de chez vous, décrétait que « les » médias sont un contre-pouvoir. Elle voulait sans doute parler des grands médias iconoclastes qui nous offrent Zemmour en guise de grand frisson.


Henri Maler

 
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