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« Vive les “ ménages ” ! », par Christine Ockrent et consorts (avec vidéo)

par Blaise Magnin, Henri Maler, Ricar,

« Ménages » : prestations des journalistes qui mettent leur notoriété au service d’une entreprise privée ou d’une institution publique pour animer des débats en tous genres. Interdites surtout quand elles sont rémunérées par les codes de déontologie.

… Mais tolérées, voire recommandées sur France 2.

La scène se passe dans l’émission « « On n’est pas couché » du 2 février 2013. Christine Ockrent en est l’invitée en raison de sa nouvelle affectation : une émission hebdomadaire de 45 minutes sur France Culture. Intéressant prétexte ! Avant d’être interrogée sur sa participation au groupe Bilderberg (voir ici même « La reine Christine Ockrent et le journalisme de haute fréquentation »), l’entretien commence par un éloge solennel de Christine Ockrent, suivi d’un éloge à peine tempéré du recours aux « ménages ». Un grand moment de cynisme.

Comme le montre la vidéo ci-dessous, la critique des ménages de Christine Ockrent fait partie à ses yeux des «  arguments minables  » et «  des vieux grincements de dents  » qu’on lui oppose. Elle est soutenue en cela par Jean-Pierre Coffe, pour qui «  si Madame Ockrent fait des ménages c’est son droit  » et par Laurent Ruquier qui tempère à peine en déclarant : «  Ce n’est pas normal, mais c’est comme ça  ». Une exception : Aymeric Caron qui reconnaît en avoir fait, mais affirme qu’il n’en fera plus. Malgré lui, une conclusion simple se dégage : « Christine Ockrent n’est pas la seule, tout le monde en fait, c’est comme ça ».

Ce grand moment de cynisme mérite d’être savouré. C’est pourquoi nous vous en offrons en « Annexe » la transcription intégrale. Sa leçon est simple : comme les bénéficiaires de ces « ménages » et leurs amis se posent eux-mêmes en principaux, meilleurs et uniques gardiens de la déontologie, il est peu probable que cela change. Illustration parmi d’autres de cette vérité : tant que le respect de la déontologie dépendra, sans moyens effectifs de le garantir, des rapports de forces qui règnent au sein du microcosme médiatique, l’invocation de la déontologie qui peut être parfois un instrument de lutte aux mains des journalistes, restera le plus souvent un paravent, pour ne pas dire un cache-sexe qui ne cache pas grand-chose. Raison de plus de ne pas se résigner, en demandant, au moins, l’inscription des codes de déontologie dans la convention collective des journalistes : ce que les patrons de presse s’obstinent à refuser.

Blaise Magnin, Henri Maler et Ricar.


Annexe : « Vive les “ ménages ” ! (« On n’est pas couché », 2 février 2013)

Préambule : la Reine Christine

- Laurent Ruquier : « Alors justement, pardon de vous dire ça parce que vous savez l’estime… »
- Christine Ockrent : « Qu’est-ce qu’il va me dire ? »
- Laurent Ruquier : « L’estime que j’ai pour vous Christine, et que justement vous faites partie, vous êtes une grande professionnelle, même si parfois, et j’imagine que mes camarades allaient peut-être y venir, mais parfois on vous a reproché des méthodes dures, difficiles, dans les différents endroits où vous avez travaillé, parce que vous avez du caractère, parce que vous êtes une femme forte, peut-être parce que vous êtes une femme aussi, mais en tout cas on vous a reproché dans les différents endroits où vous êtes passée vos manières autoritaires, comme on l’a fait d’ailleurs à Jeannette Bougrab, à la Halde, on lui a reproché à peu près les mêmes méthodes… »
- Christine Ockrent : « Ah oui, mais ça bizarrement on ne lui a pas posé la question tout à l’heure. »
- Laurent Ruquier : « Non mais ça me revient là maintenant, et… »
- Aymeric Caron : « On aurait pu, ceci dit, franchement… question de temps. »
- Laurent Ruquier : « Mais c’est vrai qu’elle a eu aussi cette réputation à la Halde, tout comme vous dans les différents endroits, L’Express…, où vous êtes passée… Alors au fond, on ne met… »
- Christine Ockrent : « Au fond pourquoi est-ce qu’on continue à me proposer de faire des choses ? »

- Laurent Ruquier : « On ne remet jamais en cause votre professionnalisme, votre talent, votre charisme, je crois votre honnêteté, a priori, intellectuelle, mais... »
- Christine Ockrent : « A priori ! » (rires)
- Laurent Ruquier : «  Vous vous retrouver sur France Culture, vous méritez mieux Christine Ockrent. »
- Christine Ockrent : « Mais pourquoi ? C’est formidable France Culture. »
- Laurent Ruquier : « Une fois par semaine trois quarts d’heure… Est-ce que vous ne payez pas, justement…  »
- Christine Ockrent : « Mais pas du tout, moi j’étais très honorée qu’Olivier Poivre d’Arvor me propose de prendre la suite de Colombani, et en plus dans un secteur qui me passionne depuis toujours, et voilà… »

« Des arguments minables » (Christine Ockrent)

- Aymeric Caron : « Pour prolonger ce que dit Laurent, vos compétences effectivement, je pense, absolument personne ne les remet en cause, votre parcours votre carrière (Ockrent soupire), mais est-ce que vous ne vous dites pas… »
- Laurent Ruquier : « Ça soulage d’entendre ça… »
- Christine Ockrent : « Non parce que (rire)… mais… »
- Aymeric Caron : « Mais est-ce que vous ne vous dites pas que vous avez peut-être commis certaines erreurs qui ont pu troubler votre image, par exemple avec ces fameuses histoires de ménages, tout ça c’est quand… »
- Christine Ockrent : « Ah oui, bien sûr, parce que personne… »
- Aymeric Caron : « Je peux finir, je vais juste finir ma question. »
- Christine Ockrent : « Oui, oui… Oh là là, oh là là, écoutez, ça ne fait jamais que soixante-douze fois… »
- Aymeric Caron : « Donc des conférences, des débats que vous animez, ça peut être pour le Medef, ça peut être pour des entreprises et vous êtes rémunérée pour ça. Ça vous a été reproché par les syndicats de France Télévisions notamment. Est-ce qu’à ce moment-là vous ne vous dites pas quand il y a une crise comme ça, lorsqu’il y a une polémique sur votre salaire dans différents endroits où vous passez, que ce soit… »
- Christine Ockrent : « Ah oui, il y a jamais de polémique sur le salaire des autres… »
- Aymeric Caron : « Ce qu’est marrant c’est que c’est souvent vous qu’avez déclenché ce genre de polémique. »
- Christine Ockrent : « Bah je ne sais pas, faudra peut-être que j’aille vois un psy… »
- Aymeric Caron : « Je crois qu’une des premières polémiques pour le salaire d’un journaliste vedette, je crois que c’était à votre propos ; est-ce que vous vous dite pas que vous avez peut-être commis quelques maladresses ? »
- Christine Ockrent : « Sûrement plein, je n’ai fait que ça. »
- Aymeric Caron : «  Comment expliquez-vous que votre image se soit un peu troublée ? »
- Christine Ockrent : « Parce que je n’ai pas assez flatté… »
- Aymeric Caron : « Entre le début des années 80 où vous êtes la reine en effet… »
- Christine Ockrent : « … Parce que je n’ai pas assez flatté les journalistes, parce que je n’ai pas invité les journalistes "médias" à déjeuner trois fois par semaine, parce que voilà… Et puis je crois que chacun a son tempérament, et je crois que tout le monde fait des erreurs et j’en ai surement fait beaucoup et je le reconnais volontiers, mais pas nécessairement sur toujours ces mêmes arguments qui sont… minables, minables. »

« Si Madame Ockrent fait des ménages c’est son droit » (Jean-Pierre Coffe)

- Laurent Ruquier (goguenard) : « Jean-Pierre Coffe a l’air en énervé parce que c’est pas bien de faire des ménages, hein Jean-Pierre. » (rires de la salle)
- Jean-Pierre Coffe (surpris d’être interpellé) : « Non mais là alors je vais vous dire, vous pouvez rigoler mais je vais me fâcher très sérieusement parce que si vous m’en trouvez des ménages, dans toute ma carrière, essayez d’en trouver, et arrêtez de dire des conneries de ce genre, ça ne me plaît pas du tout. »
- Laurent Ruquier : « Jean-Pierre… »
- Jean-Pierre Coffe : « Je vous dis que je n’ai jamais fait de ménages, je n’ai jamais été payé (…) mais les ménages que j’ai fait, je peux vous dire, j’ai fait trois ménages dans ma vie, ils ont servi à payer un puits que j’ai payé au Burkina Faso, voilà ce que j’ai fait… »
- Laurent Ruquier : « Ne vous énervez pas Jean-Pierre.  »
- Jean-Pierre Coffe : « … Et alors je vais vous dire, si Madame Ockrent fait des ménages c’est son droit  ; c’est elle qui gère son affaire, et personne n’a à la critiquer… »
- Aymeric Caron : « Si, les journalistes ont le droit de s’exprimer. »
- Jean-Pierre Coffe : « Excusez-moi mais j’en ai assez de cet espèce de, de… de cette attaque vulgaire contre cette femme qui est une grande professionnelle et qui a peut-être ce que tout le monde n’a pas : des couilles au cul, excusez-moi de le dire. » (rire général et applaudissements lancés par Ruquier) ; (se tournant vers Caron et Polony) : « Pardon Madame, Monsieur, parce que je dis ça alors que je vais passer entre vos mains, mais je trouve que cet acharnement envers cette femme qui a été l’image même du professionnalisme. »
- Aymeric Caron : « Ce n’est pas de l’acharnement. »

« C’est pas normal, mais c’est comme ça » (Laurent Ruquier)

- Laurent Ruquier (hurlant) : « Jean-Pierre, Jean-Pierre, je suis tellement d’accord avec vous que de façon maligne j’avais détourné l’attention sur vous et vous m’engueulez alors… »
- Christine Ockrent : « Moi je peux remercier Jean-Pierre. »
- Jean-Pierre Coffe : « Parce que vous m’attaquez, et tout simplement… »
- Laurent Ruquier : « Non parce que vous n’avez pas compris que ce que je voulais dire mon cher Jean-Pierre c’est que oui vous avez peut-être fait deux trois ménages de temps en temps. »
- Jean-Pierre Coffe (hurlant) : « Non ! non, non, non, non ! »
- Laurent Ruquier : «  On en a tous fait des ménages, c’est ça que dit Christine Ockrent, enfin franchement je suis désolé. »
- Christine Ockrent : «  Ah c’est d’une hypocrisie totale, mais enfin bon… Toutes les vedettes de la télévision ont fait…  »
- Aymeric Caron : «  Mais c’est pas normal. »
- Laurent Ruquier : «  Mais c’est comme ça. »
- Coffe : « Ça va venir, vous en ferez, quand vous serez une star. »
- Laurent Ruquier : « Vous allez voir dans deux ans, vous en ferez des ménages. »

J’en ai fait, je n’en ferai plus (Aymeric Caron)

- Aymeric Caron : « Vous savez quoi, je vais vous dire la vérité, j’en ai fait à une époque lorsque j’étais par exemple à Canal Plus ou à Europe 1. Il m’est arrivé de faire une, deux ou trois réunions et j’ai décidé… »
- Laurent Ruquier : « Alors il faut expliquer qu’un ménage c’est en gros, voilà, pour une soirée, on va dire, on va être rémunéré pour aller faire une sorte d’animation devant un parterre de professionnels… »
- Aymeric Caron : « … Pour animer un débat, et j’ai décidé, et vous pouvez le vérifier, j’ai décidé il y a quelques années, de mettre, moi personnellement, un terme à cette pratique, et je pense que tous les journalistes devraient faire de même. »

Épilogue - Christine Ockrent, pôvre victime de l’hypocrisie ?

- Christine Ockrent : « Bravo ! Si vous voulez je trouve qu’il y a une telle hypocrisie sur l’argent en France. »
- Aymeric Caron : « Là-dessus je suis d’accord. »
- Christine Ockrent ) : « … Une telle hypocrisie sur la réalité des rémunérations. »
- Aymeric Caron : « Je suis d’accord. »
- Christine Ockrent : « … Et notamment dans le service public, pas seulement dans le privé, notamment dans le service public, donc tout ça après, n’est-ce pas, ça nourrit des espèces de colonies de bactéries que certains sont ravis d’envoyer à la tronche des uns et des autres en fonction des clans, des réseaux, des copinages, et cetera. »
- Aymeric Caron : « Vous avez raison sur ce point. Vous avez raison. »
- Christine Ockrent : « Donc, moi ce jeu-là, et ça a été certainement l’un des nombreux torts qui ont été les miens, mais je n’ai pas joué ce jeu. »
- Aymeric Caron : « D’accord. »
- Christine Ockrent : « Donc cela veut dire que je me suis retrouvée très seule à certains moments. Quand vous avez vos réseaux, vos machins, vos trucs, vous avez... Bref, vous avez organisé votre petit milieu, et ben voilà vous pouvez faire des choses bien pires, n’est-ce pas, et je ne vise personne, mais vous pouvez plagier, vous pouvez truquer, faire des fausses interviews, et cetera, mais comme par hasard, vous êtes toujours là. »
- Aymeric Caron : « Vous parlez de Patrick Poivre d’Arvor ? »
- Christine Ockrent : « Non… »
- Laurent Ruquier : « Non, mais enfin on l’a reconnu. » (rires)
- Christine Ockrent : « Mais non enfin, il y en a d’autres qu’est-ce que vous croyez… vous êtes journaliste, vous avez été sur le terrain, vous avez été à Capa, vous à été à Shanghai, vous avez fait des trucs, vous n’allez pas me dire… »
- Aymeric Caron : « Je vous ai donné raison dans tout ce que vous venez de dire Christine. »
- Christine Ockrent : « Ah bon, bah voilà… c’est tout ce que je voulais ! »
- Laurent Ruquier : « Et ce qui est vrai, pour défendre Christine Ockrent, c’est que les mêmes magazines qui ont accusé Christine Ockrent de ce genre de ménage sont dirigés par des Franz Olivier Giesbert et autres journalistes qui font autant de ménages sinon plus que Madame Ockrent, voilà… Quand j’ai voulu peut-être pas très finement, et je cherche vraiment à ce que vous m’en excusiez mon cher Jean-Pierre, désigner Jean-Pierre, je voulais dire par là que c’est une pratique généralisée Monsieur Coffe. »
- Jean-Pierre Coffe : « Elle n’est pas généralisée, si elle était généralisée j’en ferais »
- Christine Ockrent : « En tout cas… tout ça ce sont de vieux grincements de dents. »
- Natacha Polony : « Oui, mais enfin, tout de même, quand Patrick Poivre d’Arvor est passé sur ce fauteuil on lui a posé justement toutes les questions que vous venez d’évoquer… »
- Christine Ockrent : « Ah, bah ça j’en doute pas. »
- Natacha Polony : « Et on n’a pas hésité… »
- Christine Ockrent : « Non, non mais je vous félicite, je ne mets pas en doute votre… acharnement. »
- Natacha Polony : « On peut sans crime de lèse-majesté poser des questions, ça n’est pas une agression. »
- Christine Ockrent : « Et d’ailleurs on peut aussi essayer d’y répondre. »
- Natacha Polony : « Bien sûr… ça serait bien. »
- Aymeric Caron : « Et si on ne le faisait pas, ce serait faire injure à votre vision du journalisme. »
- Christine Ockrent : « Tout à fait, et d’ailleurs je m’y attendais. »

Transcription de Blaise Magnin

 
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