« Bonsoir madame, on découvre en même temps que je parle les images de ce week-end, et surtout des images qui vous montrent, vous, en train de franchir le barrage policier, en allant vers les gendarmes. On regarde et on écoute, et puis on les commente ensemble. » Sur le bandeau : « Députée frappée ? Une vidéo sème le trouble ». [2]
« Le trouble » ? Olivier Truchot le dissipe tout de suite, et retourne l’accusation dès la première question. De victime de violences policières, Lisa Belluco devient provocatrice : « Alors, vous avez l’écharpe tricolore pour symboliser le fait que vous êtes députée, mais vous allez au-devant des gendarmes, qui vous repoussent. Alors, vous dites que vous avez été frappée, mais pourquoi avoir finalement voulu franchir ce cordon policier ? » Olivier Truchot, on le verra, ne lâchera pas sa proie. Hélas pour lui, il est tombé sur un os : « Je ne crois pas que la présence d’une élue de la République soit considérée, ou puisse être considérée, comme une provocation », lui répond Lisa Belluco, avant de dénoncer « l’incapacité du gouvernement à prendre réellement en charge les problématiques de changement climatique ». Et lorsqu’elle explique qu’il faut « prendre les choses au sérieux plutôt que de faire tout un foin et tout un blabla sur des vidéos », Olivier Truchot la coupe :
Alors, madame la députée, pardon de vous interrompre, mais c’est vous qui avez accusé indirectement les policiers de vous avoir frappée. Donc l’accusation est quand même grave venant d’une députée de la République. Et c’est vrai que ces images, cette vidéo est troublante, parce qu’elle raconte pas tout à fait ce que vous nous avez raconté.
Et l’échange de se poursuivre :
Lisa Belluco : Cette vidéo, elle a été prise par les forces de l’ordre, déjà, je sais pas si vous l’avez… [coupée]
Olivier Truchot : Ce n’est pas vous dessus ?
L. B. : Elle a été filmée par les forces de l’ordre, je sais pas si vous l’avez rappelé en la présentant, j’ai pas entendu en tout cas.
O. T. : On le voit puisque c’est du côté des forces de l’ordre qu’effectivement la caméra est placée.
L. B. : Tout à fait. Exactement. Et elle cadre de façon à ce qu’on ne voie pas mes jambes.
O. T. : Mais on vous voit vous précipiter sur le cordon policier.
L. B. : Pas tout à fait, non.
O. T. : Les mains en l’air…
L. B. : C’est vrai que c’est vraiment un danger pour la démocratie et pour la République d’avoir une élue qui s’avance en marchant, […] les mains en l’air, et en disant qu’elle est députée. C’est un peu ridicule comme accusation, et ensuite effectivement la vidéo est cadrée de façon à ce qu’on ne voie pas mes jambes. Donc j’irai faire constater les blessures que j’ai sur les jambes pour réhabiliter mon propos, puisque je vois bien, là, qu’il s’agit de mettre en cause mes propos. Moi je ne suis pas une coutumière du buzz, ça ne m’amuse pas, et en fait ce que j’aimerais…
Coupée à nouveau par Olivier Truchot, qui en remet une couche : « Non mais la question c’est : est-ce que le rôle d’une députée, c’est de participer à une manifestation qui a été interdite ? Et donc provoquer, finalement, en quelque sorte, des troubles, si on ne respecte pas cette interdiction ? » Réponse de la députée : « L’un des rôles des députés, mais je pense que vous le savez en tant que journaliste, c’est de contrôler l’action de l’État. Et donc la présence de députés en manifestation, même interdite, est tout à fait légitime et légale. Il n’y a donc absolument rien à justifier à ce titre. »
Une réponse qui ne semble pas satisfaire Olivier Truchot, puisque celui-ci va lui reposer trois fois la même question :
Olivier Truchot : Mais, en fait, moi ça me fait penser à Jean-Luc Mélenchon, avec son écharpe, qui essayait de contrecarrer une perquisition qui avait lieu chez lui et ensuite dans les bureaux de son parti. L’écharpe, c’est une immunité ? C’est-à-dire qu’avec l’écharpe tricolore, on peut tout se permettre ?
Lisa Belluco : Ben en fait l’écharpe tricolore, c’est ce qui permet d’identifier un parlementaire ou un élu de la République, et en fait en démocratie on ne frappe pas et on ne bouscule pas les élus de la République. Encore une fois… [coupée]
O. T. : Donc on peut tout faire avec une écharpe ?!
L. B. : Encore une fois, j’avançais en marchant, les mains en l’air, sans… On voit sur ces images d’ailleurs : aucune intention belliqueuse, si ce n’est que je demandais qu’on me laisse passer […]. Il n’y avait […] aucun enjeu de maîtrise de trouble à l’ordre public. Il n’y avait rien à dégrader derrière ces forces de l’ordre. Et juste le fait de demander à pouvoir circuler librement quand on est identifié comme un élu de la République et un parlementaire, ce n’est pas un délit, ce n’est pas un crime, et c’est une honte que vous essayiez de faire croire le contraire.
O. T. : Oui mais […] la question c’est de savoir : qu’est-ce que vous faites là ? Tout simplement, parce que vous êtes dans un lieu… la manifestation a été interdite, vous avez certes une écharpe tricolore mais qu’est-ce que vous faites là ? La manifestation était interdite ! Elle était interdite pour tous les citoyens et un député n’est pas un citoyen au-dessus des autres !
Encore ? Encore :
Lisa Belluco : Je répète, parce que ça n’a pas l’air d’imprimer, et en fait je sais pas si vous avez écouté aussi maître Henri Leclerc, éminent pénaliste et président de la Ligue des droits de l’Homme, sur votre plateau hier en fin de journée, vers 19h, vous l’écouterez c’est instructif, il dit que c’est tout à fait normal que les parlementaires soient dans des manifestations, quand bien même elles sont interdites, car ils ont un rôle d’observateur, ils ont un rôle de contrôle… [coupée]
Olivier Truchot : Là vous êtes pas observatrice, vous êtes actrice !
L. B. : … de l’action de l’État, ils ont un rôle de contrôle de l’action de l’État. Ils sont tout à fait légitimes… [coupée]
O. T. : Non mais là vous êtes pas actrice [sic], vous intervenez puisque vous voulez franchir un cordon !
L. B. : Ils sont tout à fait légitimes à manifester pour leurs idées politiques […]. Et est-on dans une démocratie où on bâillonne les idées politiques par la violence ? Je vous pose la question. Moi je crois que… [coupée]
O. T. : Oui mais moi je vous pose une question parce que c’est mon rôle, madame la députée, je vous pose une question, c’est mon rôle. Vous êtes pas observatrice là, vous êtes actrice puisque vous voulez franchir un cordon de gendarmes. Vous n’êtes pas là pour observer, vous êtes là pour participer, avec d’autres, à une manifestation, donc le rôle que vous nous définissez ce soir n’est pas celui que vous avez eu ce week-end. Vous étiez finalement une manifestante parmi d’autres. Sauf que vous aviez votre écharpe tricolore.
L. B. : Le rôle de député et de parlementaire est un rôle de contrôle de l’action de l’État. En étant présente et en allant…
O. T. : Là c’est pas un contrôle !
L. B. : … au contact des forces de l’ordre, je vérifie la manière dont ils [sic] agissent sur le terrain. Je suis une députée de terrain, je vais sur le terrain, je vais sur le terrain pour défendre mes idées. Et je vous rappelle au passage que le droit de manifester est constitutionnel en France, donc si… [coupée]
O. T. : Mais quand la manifestation est interdite, on n’a pas le droit de manifester. Rien n’est au-dessus de la loi.
L. B. : Rien n’est au-dessus de la Constitution monsieur, et la Constitution définit le droit et la liberté de manifester en France.
OT : Donc quand un préfet interdit une manifestation, vous ne respectez pas cette interdiction ?
L. B. : Quand il y a un enjeu d’intérêt général, et je vous rappelle quand même, parce que là… [coupée]
O. T. : Donc en fait selon vous, vous êtes au-dessus des lois ?
Interruptions à répétition, affirmations en guise de questions : Olivier Truchot conduit-t-il une interview ou mène-t-il une garde à vue ? Et lorsque la députée a l’outrecuidance de protester, elle est (à nouveau) coupée :
Lisa Belluco : Non mais écoutez-moi, parce que vous me posez une question, vous écoutez pas la réponse. C’est vos méthodes, je sais, c’est BFM, mais en fait quand vous posez une question…
Olivier Truchot : Attendez, il y a pas de méthode, il y a des questions ! C’est vous qui avez des méthodes d’intervention dans les manifestations. Moi je vous pose des questions, j’essaie de comprendre quelle était votre place, et quel était votre rôle hier, voilà.
Voilà. Et Olivier Truchot d’oser : « Vous dites que vous êtes au-dessus des lois, c’est ce que j’ai compris de votre intervention. »
Mais ce n’est pas terminé, puisque le présentateur de BFM-TV tente une estocade : « Madame la députée, ça fait je crois plus de cinq minutes que nous parlons ensemble, vous n’avez pas eu un mot pour les 60 gendarmes qui ont été blessés. C’est pas le rôle d’une députée de soutenir les forces de l’ordre ? » Et contre-attaque lorsqu’elle lui répond qu’elle est « extrêmement triste pour les forces de l’ordre » car « on [leur] demande de défendre des intérêts privés, alors que leur métier, le cœur de leur métier, c’est de défendre la population, c’est de défendre l’intérêt général ». Réplique d’Olivier Truchot : « Et vous les avez défendues par votre attitude ce week-end, vous ? »
C’est encore en lui coupant la parole qu’il mettra fin à l’entretien, en la remerciant au passage « parce que finalement vous avez répondu aux questions de BFM, et on est là pour ça, c’est notre métier ». Mais de quel métier s’agit-il, précisément ?
Cerise sur le gâteau : puisque le débat se poursuit en plateau, c’est l’expertise de Christophe Barbier qui est requise. Et c’est un feu d’artifice : « Les députés ont le droit d’aller sur le terrain, dans les prisons, dans les administrations. Ils ont le droit de contrôle mais ils n’ont pas le droit de participer de cette manière active. Parce qu’à partir du moment où on franchit un cordon, même les bras en l’air, pourquoi la fois suivante ne pas jeter un caillou ? Ou un cocktail Molotov ? »
Vertigineux.
Maxime Friot