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Sainte-Soline et méga-bassines : sur BFM-TV, la police fait l’information (1/2)

par Pauline Perrenot,

La « première » chaîne d’information en continu n’en est (évidemment) pas à son coup d’essai : manifestations des Gilets jaunes, rassemblement de la police devant l’Assemblée nationale... le journalisme de préfecture fait partie des spécialités-maison. Aussi, samedi 25 mars, alors que la mobilisation anti-bassines à Sainte-Soline polarise l’antenne, tout l’attirail du maintien de l’ordre journalistique a été une nouvelle fois déployé, légitimant la répression des militants écologistes. Premier volet.

De la mobilisation contre la méga-bassine de Sainte-Soline, organisée le week-end des 25-26 mars, les téléspectateurs de BFM-TV n’auront appris (et vu) qu’une chose : des « éléments radicaux » ont fait preuve d’une extrême violence contre la police. Médiatisés de manière totalement disproportionnée pour satisfaire l’appétit d’une rédaction en mal de guerre télévisée, les affrontements ont fait la Une. Du matin au soir, le prisme sécuritaire fut ainsi hégémonique (au détriment d’autres cadrages et d’autres informations) et le point de vue préfectoral, écrasant, décliné sous tous les formats et télégraphié par l’immense majorité des intervenants à l’antenne : experts, présentateurs, consultants et journalistes « police-justice », porte-parole des institutions coercitives (préfète des Deux-Sèvres, ministre de l’Intérieur, syndicalistes policiers, lieutenant-colonelle de la gendarmerie, etc.) et même certains envoyés spéciaux.


Préparer les esprits au « chaos inévitable »


Branchée sur la communication préfectorale, l’antenne de BFM-TV avait dûment retranscrit, la veille, les récits alarmistes des autorités. À 20h, alors qu’à Melle les opposants aux méga-bassines se regroupaient autour de tables rondes consacrées à la défense de l’eau et autres enjeux environnementaux, BFM-TV recevait la préfète des Deux-Sèvres, Emmanuelle Dubée, et, avec elle, préparait les esprits aux « chaos ». La présence de cette dernière était presque superflue tant la présentatrice, Perrine Storme, lui mâchait le travail en évoquant une « mobilisation redoutée », une « manifestation classée à haut risque », un « dispositif de sécurité qui a été doublé [...] par rapport à la précédente manifestation en octobre dernier » et de « très gros moyens qui sont déployés pour ce week-end ». Aussi la préfète put-elle, en toute quiétude, justifier un « dispositif [policier] proportionné aux risques de violences » sans rencontrer le début du commencement d’une contradiction de la part de la journaliste.



Plus tôt dans la journée, BFM-TV avait évidemment réservé une place de choix à la déclaration d’Emmanuel Macron lors du Conseil européen à Bruxelles : « Nous ne céderons rien à cette violence. En démocratie, on n’a pas le droit à la violence. » Une prestation qui fit l’objet d’une reprise de dépêche AFP sur le site de BFM-TV – « Méga-bassines : des "équipements d’une rare violence" saisis avant la manifestation » (16h11) – exclusivement biberonnée aux sources officielles : « l’Intérieur », une « source proche du dossier », « la préfète des Deux-Sèvres », « le général Samuel Dubuis, commandant de la région de gendarmerie Nouvelle-Aquitaine », « le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau », mais également l’interview « sur CNews [du] ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ».

« Sainte-Soline : un chaos inévitable demain ? » insistait encore la rédaction à 22h40. « C’est intéressant la comparaison que faisait notre correspondante à Londres, Laura Kalmus. Elle disait : "Oui, les Britanniques, ils manifestent, oui, ils sont en colère, oui, ils savent gueuler. Mais chez nous, ça ne dégénère pas". Pourquoi en France ça dégénère, et pourquoi demain, on a la certitude qu’à Sainte-Soline, ça va mal se passer ? » s’interrogeait la présentatrice Alice Darfeuille à l’antenne. Ses interlocuteurs ? Johann Cavallero, délégué national CRS du syndicat Alliance et l’inénarrable Dominique Rizet. Le premier évoquera des « gens qui vont vouloir blesser voire tuer, parfois c’est ce qu’on dit, les forces de l’ordre » avant de disserter sur le « laisser-faire » et le laxisme judiciaire. Fidèle au poste, le second, « consultant police-justice » de BFM-TV, se contentera de régurgiter la communication de ses sources – « J’ai quelques notes ici, qui sont des notes de la police, du renseignement territorial » – et de paraphraser la préfète :

La préfète, tout à l’heure, a eu cette phrase, et elle est courageuse parce que c’est pas évident pour elle de le dire, ça va se passer dans son département : elle a parlé de « violences attendues », [...] une action, c’est une autre de ses phrases, « très violente ». Oui, bien sûr, ça va se passer comme ça...

Fin de l’histoire, non sans avoir préalablement salué le « maintien de l’ordre » de Jérôme Foucaud, directeur de l’ordre public et de la circulation à Paris, lors de la manifestation parisienne du 23 mars : « [Il] a géré ces événements, plutôt pas mal, plutôt très bien même. » Ainsi qu’en attestèrent nombre d’agressions de manifestants par la police, une nouvelle fois filmées par des reporters indépendants et documentées dans la presse [1]...



De l’aveu même de Dominique Rizet, le programme du week-end de mobilisation à Sainte-Soline s’annonçait particulièrement riche :

Les protecteurs de l’environnement, qui se présentent comme ça, vont tenir des congrès, des tables rondes, ça dure trois jours, ça a commencé aujourd’hui. Il va y avoir des projections de documentaires, des invités assez prestigieux hein, d’ailleurs, qui travaillent sur l’environnement. Donc il y a quelque chose d’utile, parce que ces gens-là vont poser des questions et des questions importantes. Et à côté, il y a ceux qui vont affronter les forces de l’ordre, qui se fichent éperdument des questions d’environnement.

Une dichotomie totalement arbitraire, que Dominique Rizet ne prendra évidemment pas la peine d’étayer ni d’argumenter (et pour cause...), pourtant répétée tel un leitmotiv à longueur d’antenne. Quant au début de son intervention, on ne peut que rire (jaune) : les tables rondes autour des méga-bassines avaient ceci de tellement « utile » et « important » que BFM-TV décida de les laisser hors-champ. De quels intervenants « prestigieux » s’agissait-il ? On n’en saura rien. Quels documentaires ont été choisis ? On n’en saura rien. Quelles « questions importantes » les tables rondes ont-elles abordé ? On n’en saura rien. Que s’y est-il raconté ? On n’en saura rien. Aucune image, ni aucune prise de parole ne sera retransmise à l’antenne. Un (non) traitement particulièrement accablant quand on sait que la chaîne d’information put, à mobilisation « exceptionnelle », diffuser des contenus fournis par les organisateurs et retransmettre, sans commentaire ni interruption, près d’une demi-heure de leurs discours en direct : c’était le 19 mai 2021, jour de la manifestation des policiers devant l’Assemblée nationale...


25 mars : le chaos télévisé


Léopold Audebert et Perrine Storme, présentateurs de « Week-end première », 6h00 : « Doit-on redouter le pire à Sainte-Soline ? » ; « Environ 1 500 activistes radicaux formés à la violence selon la préfète du département. » Envoyé spécial à Sainte-Soline, 10h03 : « La seule question, c’est quelle sera l’intensité de ces actions, à quel point il s’agira de désobéissance civile et surtout, est-ce qu’il y aura des débordements ? À en croire les autorités, ce sera bel et bien le cas. »

Tout au long de la matinée du 25 mars, BFM-TV a continué de ressasser en boucle le message préfectoral d’un « week-end à haut risque » et d’une « manifestation sous haute tension ». Des enjeux autour des méga-bassines, nous apprendrons de Léopold Audebert qu’il s’agit de « réserves d’eau que les agriculteurs veulent construire pour pouvoir cultiver malgré les sécheresses. » Et tant pis pour les agriculteurs opposés au projet et présents en nombre dans la manifestation... On le comprend, BFM-TV n’est pas là pour le fond mais pour décliner une ligne éditoriale à l’alpha et l’oméga parfaitement cristallins : le sécuritaire. Sur la chaîne, le lexique employé pour caractériser les opposants sera celui de la police. Le cadrage et la narration des comptes rendus « journalistiques » seront majoritairement ceux de la police. La hiérarchisation et la temporalité des événements rapportés seront celles de la police.



En plateau, comme la veille, il ne se trouve aucun journaliste ni aucun « expert » pour questionner – ni a fortiori remettre en cause – le dispositif militarisé du « maintien de l’ordre » décrété par le ministère de l’Intérieur sur le site de Sainte-Soline. À 10h04, la journaliste « police-justice » de la chaîne Mélanie Bertrand, noyée dans les mots et la communication de la Préfecture, légitime ce qu’elle appellera plus tard... « le dispo » :

Ils craignent tous des violences, vous le disiez, la préfète sur notre antenne hier soir disait redouter effectivement la violence de plus d’un millier d’ultras qui seraient présents aujourd’hui, Gérald Darmanin a eu les mêmes propos et puis ce matin, dans les colonnes du Parisien, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau également lui aussi exprime ses inquiétudes. C’est pour ça qu’un dispositif proportionné, comme ils disent, a été mis en place avec 3 200 policiers et gendarmes.

Le présentateur, Philippe Gaudin, endosse le même rôle de porte-parole des autorités : « D’où les appels répétés ce matin des ministres aux manifestants pacifistes : ne vous mêlez pas aux casseurs. Voilà ce qu’a redit Christophe Béchu, le ministre de l’Écologie chez nos confrères de France Info. » Quant à l’adjudant Christophe Barbier, il anticipe la conférence de presse que Gérald Darmanin donnera plus tard dans la journée [2] : « [Les militants écologistes], ce sont des gens qui peuvent aussi être tentés d’installer à Sainte-Soline une ZAD. S’il y a une sorte d’abcès de fixation à Sainte-Soline comme il y en a eu un à Notre-Dame-des-Landes, le problème d’ordre public sera pérenne et la capacité à évacuer quasiment nulle. »

Entre 10h et 12h, la communication préfectorale (à laquelle s’ajoute celle du procureur de Niort) tourne en boucle. Des extraits de communiqués sont lus et incrustés plusieurs fois à l’antenne et leurs actualisations, immédiatement médiatisées. Un exemple, à 10h31, Philippe Gaudin : « [Une manifestation] sous haute tension, ça se confirme puisqu’à l’instant, la Préfecture des Deux-Sèvres communique sur des individus effectivement qui ne sont pas des militants écologistes mais qui sont bien des casseurs. »



Le « maintien de l’ordre » est le sujet numéro 1. Comme à l’accoutumée, des bribes de pluralisme sont accordées aux opposants. À 10h15, la secrétaire nationale d’EELV, Marine Tondelier, dispose d’une minute et vingt-cinq secondes en duplex pour mettre à l’agenda les « enjeux autour de l’accaparement de l’eau » et des méga-bassines, avant de critiquer les directives du ministère de l’Intérieur lors d’une seconde prise de parole : « Je précise qu’aujourd’hui à Sainte-Soline, il n’y a rien à détruire, elle n’est pas construite cette bassine, il y a un trou ! Donc est-ce qu’il faut faire venir 3 200 gendarmes, 13 hélicoptères et le GIGN pour défendre un trou ? Je n’en suis pas sûre... »

Fondamental, le questionnement devrait être abordé par les journalistes eux-mêmes. Mais dès lors que ces journalistes considèrent les forces de l’ordre et les autorités comme des sources fiables et objectives et non comme une partie du conflit en cours, ce questionnement critique du « maintien de l’ordre » est impensable et impossible sur BFM-TV. Partant, la responsabilité des affrontements – bien réels, et d’une rare intensité – en début d’après-midi incombera aux seuls manifestants et les violences feront « naturellement » l’objet d’injonctions journalistiques – les « condamner », s’en « désolidariser » – à sens unique, c’est-à-dire à destination exclusive des élus de gauche ou des responsables associatifs présents lors de la manifestation. En voilà un cadrage parfaitement verrouillé...

Les symptômes du journalisme de préfecture sont multiples. Citons, également, les intervenants sollicités en plateau entre 12h et 15h, soit au plus fort des affrontements : Jean-Paul Nascimento (« secrétaire national CRS UNSA Police »), Nassima Djebli (« lieutenant colonelle, porte-parole de la gendarmerie »), quelques éditorialistes et journalistes politique maison dont certains réputés pour leur accompagnement frénétique du « maintien de l’ordre » (Christophe Barbier, notamment), ou Anne-Charlène Bezzina, la constitutionnaliste préférée de BFM-TV, visiblement spécialiste, ce jour-là, du « maintien de l’ordre », de la communication gouvernementale, des militants écologistes, des méga-bassines, bref... spécialiste de « l’actualité du jour ». Intervenants auxquels s’ajoutent des duplex ou des retransmissions avec Bertrand Cavallier (« général de division de gendarmerie et spécialiste du maintien de l’ordre »), Emmanuelle Dubée (préfète des Deux-Sèvres), Johan Cavallero (« délégué national CRS du syndicat Alliance »). Puis, à 15h, cette petite coquetterie : la présentatrice affirme que BFM-TV « aimerait avoir l’avis de la parole d’agriculteur » et introduit pour ce faire Joël Limouzin... vice-président de la FNSEA, président de la chambre d’agriculture de Vendée, évidemment favorable au projet de méga-bassine.

Noyées dans les discours ultra-sécuritaires, Eva Sas et Sandra Regol (députées EELV en plateau pour l’une et en duplex pour l’autre) interviendront quelques minutes en guise de caution... À la première, Philippe Gaudin accorde une brève question sur les raisons de la mobilisation avant d’en venir à son principal objectif : délégitimer l’action des écologistes et criminaliser leur présence sur le site. Il est alors 12h, soit avant que le moindre affrontement ait eu lieu :

- Plusieurs de vos collègues sont sur place. Est-ce que c’est leur place ? Comme le dit Christophe Béchu, est-ce qu’il faut se mêler à ces manifestations interdites ?

- Avec un risque de violences fortes, on le rappelle. 3 200 policiers et gendarmes qui sont mobilisés. On va vous montrer quelques photos des objets qui ont été récupérés ce matin par les forces de l’ordre. Des objets qui, évidemment, laissent peu de doutes sur la mobilisation de certains casseurs qui sont présents...

Une demi-heure plus tard, le présentateur revient à la charge – « Est-ce que c’est la place d’élus d’être dans des manifestations interdites ? En raison des risques et quand on voit ces images, ces saisies et ces risques de débordements ? » – avant de couper la députée dans sa réponse : « Je me permets, je vous interromps : la préfète des Deux-Sèvres qui s’exprime ! » Et de rebondir après « la priorité au direct » :

Un millier de casseurs, d’ultra-violents, pour reprendre les mots qui ont été employés... C’est beaucoup ! [...] D’où le dispositif qui a été mis en place, qui est assez exceptionnel également avec différents moyens pour faire face à ces casseurs.

Avant de reposer, pour la troisième fois, la même question à Eva Sas :

Est-ce qu’il n’y avait pas un autre moyen, pour les écologistes, pour les militants pacifistes opposés à ces projets de méga-bassine, de se faire entendre que d’être aujourd’hui sur ce site où on redoute ces affrontements avec un millier de casseurs ?

Circulez !

Mêmes les « envoyés spéciaux » de la chaîne ne résistent pas au cadrage sécuritaire au moment d’intervenir à l’antenne. À 11h32 par exemple, le journaliste sur place évoque « différentes prises de parole de différents collectifs qui sont à l’origine de cette manifestation »... dont les téléspectateurs n’auront strictement aucun écho. À défaut, et comme pour suivre les consignes éditoriales, l’« envoyé spécial » se fend d’un bilan d’étape qui ne diffère en rien de ce que d’autres journalistes, en plateau, à Paris, répètent depuis le début de la journée :

Les forces de l’ordre surveillent tout ça depuis le ciel avec les hélicoptères qui passent très régulièrement au-dessus de nos têtes depuis ce matin. L’action et donc peut-être cet après-midi, plus que de l’action, on ne sait jamais, il peut y avoir effectivement avec le nombre de forces de gendarmerie qui sont mobilisées aujourd’hui [...] des affrontements.

Pour un témoignage de manifestant [3], dont on voit, en fond d’écran, un des cortèges s’éloigner, on repassera.

Mentionnons, enfin, le recours désormais routinisé aux images/vidéos fournies par le ministère de l’Intérieur, diffusées aux alentours de 16h30, mais aussi à celles de la gendarmerie nationale, diffusées dans la soirée après 22h de façon à ce que BFM-TV puisse rejouer un film déjà vu et revu de manière augmentée... Sans oublier, dès 12h30 puis à de nombreuses reprises au cours de la journée, les photos des « saisies » de la police et le lendemain matin, l’enthousiasme de Philippe Gaudin, annonçant aux téléspectateurs « des images à vous montrer, celles tournées par la gendarmerie à l’intérieur d’un véhicule de gendarmerie. On est au moment où les casseurs s’en prennent aux gendarmes ».



Le compte Twitter de la première chaîne d’information en continu témoigne bien de l’emballement éditorial à sens unique [4]. À partir de la mi-journée en effet, le réseau social de BFM-TV est à l’image d’une antenne 100% sécuritaire : entre 12h51 et 13h58, soit une heure, ce ne sont pas moins de onze tweets relayant, pêle-mêle, l’appel de la préfète des Deux-Sèvres à « quitter ce cortège dès qu’ils le peuvent, à se désolidariser des groupes violents et à quitter le périmètre interdit à la manifestation » ; une dépêche AFP consacrée aux « 1000 radicaux » ; les communiqués de la gendarmerie relatant « des mortiers d’artifice et des explosifs utilisés par les manifestants » ; les déclarations du délégué national du syndicat CRS Alliance – « On est face à [...] des criminels. [...] À un moment, faut arrêter de dire que ce sont des casseurs, ce sont des criminels.  » (Johan Cavallero) ; etc. Le tout sur fond d’incendie des véhicules de gendarmerie à l’antenne et, sur le site de BFM-TV, d’une pluie d’articles et d’« alertes info » sur le fil d’actualités. Exemples :

- 12h50 : « Sainte-Soline : la préfète des Deux-Sèvres confirme la présence "d’au moins 1000 personnes" prêtes à en découdre »

- 12h54 : « Sainte-Soline : "des haches, des machettes et des couteaux" ont été trouvés sur certains manifestants, alerte la préfète des Deux-Sèvres »

- 13h06 : « Boules de pétanque, haches saisies : 11 personnes en garde à vue avant la manifestation dans les Deux-Sèvres »

- 13h09 : « Mégabassines de Sainte-Soline : "1000 radicaux" sur place, des affrontements avec les forces de l’ordre »

- 13h10 : « Sainte-Soline : premiers affrontements entre manifestants et forces de l’ordre »

- 13h33 : « Sainte-Soline : des véhicules des forces de l’ordre incendiés par des militants »

Et ce sans compter les éructations de certains élus, dont les tweets méritaient visiblement d’être relayés par BFM-TV. Ainsi de cet entrefilet, publié à 16h29 : « Le patron des LR Éric Ciotti fustige des "terroristes" qui "veulent abattre la France" ».

Ne donnant qu’une vision partielle – et partiale – des événements en cours, BFM-TV accordera évidemment une oreille plus qu’attentive aux déclarations de Gérald Darmanin. Dès 13h20, la chaîne devient ainsi la caisse de résonance d’une communication gouvernementale outrancière : « "Nous verrons des images extrêmement dures parce qu’il y a une très grande mobilisation de l’extrême gauche et de ceux qui veulent s’en prendre aux gendarmes et peut-être tuer des gendarmes et tuer les institutions". Ce sont les mots de Gérald Darmanin hier » rappelle opportunément la présentatrice, tandis qu’une heure plus tard, un tweet (encore... !) du ministre fait l’objet d’un sujet à l’antenne. Après une lecture publique des 200 signes en question – « A Sainte-Soline, l’ultra gauche et l’extrême gauche sont d’une extrême violence contre nos gendarmes. Inqualifiable, insupportable. Personne ne devrait tolérer cela. Soutien total à nos forces de l’ordre. » –, la présentatrice abonde en exonérant le ministère de l’Intérieur de toute responsabilité dans la situation :

Il fallait s’attendre à une telle réaction du ministre de l’Intérieur, qui était préparé à ces heurts et de manière générale, [du] gouvernement, pour qui cette situation de tension était prévue et qu’il souhaitait éviter à tout prix.

Puis, le journaliste politique Mathieu Coache fait ce que l’on attend de tout bon journaliste politique, à savoir communiquer sur la communication :

[C’est le] scenario du pire pour le ministère de l’Intérieur en termes de communication. Ça ne veut pas dire d’ailleurs que les choses n’ont pas été maîtrisées correctement sur le terrain parce qu’on voit que là, il y a une accalmie, mais c’est vrai qu’en termes d’images, c’était ce qu’il fallait éviter.

Une maîtrise tellement « correcte » que les organisateurs déploreront plus de 200 blessés à l’issue de la manifestation, dont plusieurs urgences vitales et deux manifestants dans le coma... Mais à ce stade, BFM-TV ne semble guère s’en inquiéter, tout occupée à relayer le nombre de gendarmes blessés que lui communique à flux continu la police, et à anticiper le « point presse » du ministre de l’Intérieur, retransmis en direct pendant près d’un quart d’heure peu après 17h00. Une déclaration qui fera l’objet de 10 publications sur le fil Twitter de la chaîne, auxquelles s’ajouteront les alertes de l’Élysée « condamn[ant] "cette violence désinhibée sur tous les sujets" » (17h44) et d’Élisabeth Borne « dénon[çant] "un déferlement de violence intolérable" et les "discours radicaux qui encouragent ces agissements" » (19h50).



À la mi-journée et tout au long de l’après-midi, très peu de témoignages de manifestants – rapportés ou donnés à entendre – perceront l’antenne. Et quand ce sera le cas, BFM-TV saura leur réserver un accueil de choix... Peu avant 14h, on entendra ainsi l’« envoyé spécial » déclarer :

Je voulais vous raconter ce que m’a dit l’une des personnes tout à l’heure. [...] C’est une dame de 56 ans qui habite le département des Deux-Sèvres, qui est venue ici pour [...] expliquer via des pancartes, via des prises de parole devant les médias pourquoi elle est opposée à ce projet, pourquoi selon elle c’est un désastre écologique [...]. Sauf que voilà, son message a été volé. C’est ce qu’elle nous a expliqué. A été volé par des groupes de personnes qui sont venues en réalité plus pour s’en prendre aux forces de l’ordre que pour faire passer le message contre ce projet de méga-bassines.

Mais que dire du vol de l’« envoyé spécial » de BFM-TV, qui, malgré les « pancartes » et les « prises de parole devant les médias », n’a pas trouvé la moindre seconde pour faire écho ou donner à entendre les arguments de fond de cette dame contre les méga-bassines ?

De A à Z ce 25 mars, il s’agit bel et bien d’un rapt policier de l’information. Qui s’est malheureusement poursuivi au cours de la journée, et qui a donné lieu, comme souvent lorsque sévit le journalisme de préfecture, à de vastes séquences de désinformation et d’interrogatoires des opposants.

À suivre...


Pauline Perrenot

 
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Notes

[2À 17h00, le ministre de l’Intérieur déclarera : « Il n’y aura pas de ZAD qui va s’installer à Sainte-Soline. »

[3Que l’on pouvait recueillir hors-champ, si ces derniers ne voulaient pas être filmés...

[4Entre 6h et 12h30, le déséquilibre est moins frappant qu’à l’antenne puisqu’on compte six tweets relayant dépêches ou extraits télé traitant du « maintien de l’ordre » et quatre publications relayant les interventions de Marine Tondelier (2), du groupe EELV (1) et d’Eva Sas (1).

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