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Un exercice de dépolitisation : Nicolas Demorand contre Adrien Quatennens

par Mathias Reymond,

Jeudi 15 avril 2021, le député de La France insoumise Adrien Quatennens était l’invité de Nicolas Demorand dans la matinale de France Inter : l’occasion pour l’animateur de déployer toute sa palette de roquet de service, en éclipsant systématiquement les débats de fond au profit du petit jeu politique.

Réputé pour ses vilénies épisodiques – comme lors du renvoi du chroniqueur Miguel Benasayag de France Culture ou celui de Didier Porte de France Inter, Nicolas Demorand se positionne toujours du côté du manche. Fervent militant politique (notamment en faveur du Traité Constitutionnel Européen en 2005), il est l’obligé des économistes libéraux qui se fourvoient (comme Daniel « la crise financière est terminée » Cohen) et des intellectuels mondains (comme Bernard-Henri Lévy ou Olivier Duhamel, avec qui il a codirigé une collection au Seuil et partagé de nombreux combats [1]). Il est aussi connu pour sa gestion calamiteuse de Libération conspué par les journalistes, il avait dû démissionner des locaux en rasant les murs.


Mais le mercenaire Demorand (France Culture, France Inter, Europe 1, France 5, Libération…) est surtout célèbre pour son arrogance lorsqu’il interviewe des invités qu’il méprise : teigneux face à Dominique Voynet, qui lui oppose systématiquement des analyses de fond quand il l’interroge sur la tactique politique. Ses hoquets (faussement) impertinents sont également sa marque de fabrique, comme lorsqu’il coupe à cinq reprises Jean-Louis Debré par un ridicule « c’est dommage, non ? », ou bien lorsqu’il dit quatre fois « vous allez bloquer la France » à Philippe Martinez.


Connu enfin pour sa nonchalance et sa morgue lorsqu’il reçoit Jean-Luc Mélenchon – il faut revoir en vidéo cette interview de janvier 2011 sur Europe 1 – Nicolas Demorand a donc récidivé ce 15 avril en recevant Adrien Quatennens.


Pour lui – comme pour la plupart des journalistes politiques – l’élection présidentielle est un jeu politicien où s’entremêlent tactique, sondages et arrangements. Et tout au long de cet entretien, Demorand va garder un cap : décrédibiliser la France insoumise, son candidat et l’invité du jour en ne le questionnant jamais sur le fond.


Cuisine politique


Aucune des questions posées par Nicolas Demorand à Adrien Quatennens ne porte sur les enjeux politiques de la crise sanitaire ou de la situation sociale : chacune de ses interventions relève de la cuisine politique [2]. L’animateur aborde « la réunion des partis et mouvements de gauche qui aura lieu samedi. » Puis il se vante : « Tout est parti d’ici, du studio de France Inter : c’est Yannick Jadot qui avait proposé aux leaders écologistes et de gauche de se mettre autour d’une table. […] Qui va représenter la France insoumise Adrien Quatennens et pour défendre quelle ligne ? »


La question posée n’est que la première d’un long réquisitoire au leitmotiv bien calibré : proposer un seul candidat à gauche et, en sous-texte, retirer la candidature de Mélenchon. « La gauche est extrêmement divisée, et alors ? Face à ça, Adrien Quatennens ? » enchaine Demorand. Il continue : «  Sur le plan intellectuel et politique : quelle est votre divergence radicale, ontologique, avec les autres mouvements de gauche qui entendent travailler au progrès social et à l’écologie ?  » Puis il apporte sa propre réponse en terminant la « question » : « Quel est le clivage majeur entre vous si ce n’est que vous avez déjà un candidat, Jean-Luc Mélenchon, et qu’il n’a pas l’intention, sauf erreur de ma part, de jeter l’éponge ? » Et rien ne semble le satisfaire tant il insiste : « Pourquoi ce qui est possible dans les Hauts-de-France [une candidature unitaire à gauche] ne l’est pas en France ?  » ; « Avec Anne Hidalgo ou Julien Bayou, pouvez-vous ou ne pouvez-vous pas travailler ? Sont-ils des adversaires ou des partenaires ?  » Et de justifier ses obsessions sur le dos des auditeurs, « nombreux déjà à poser la question », ou en feignant la naïveté : « Ce n’est pas une question vicieuse ! Ce n’est pas une question vicieuse ! C’est juste pour comprendre. » Avant de caricaturer les réponses de l’interviewé pour mieux le disqualifier : « Et donc vous dites, ce n’est pas l’union qui fait la force, […] c’est la division qui fait la force.  »


Puis, dès la dixième minute, deux questions d’auditeurs triées par Demorand vont dans le même sens : « Je voulais demander à monsieur Quatennens si le front républicain aux prochaines présidentielles ne devrait pas se faire au premier tour, dès le premier tour ? » ; « Je suis ferme là-dessus, je ne voterai pour la gauche qu’unie au premier tour. Sinon, je fais dès le premier tour barrage au Front national donc je vote pour Emmanuel Macron.  »


Dans ces conditions, il est difficile pour un élu de l’opposition de développer un point de vue hétérodoxe, contraire aux positions dominantes. En cadrant ainsi la discussion, Demorand ferme les portes à toutes les propositions que peut avoir son invité.


Sondomanie


Utilisé à toutes les sauces, le sondage pimente la cuisine politicienne. À l’instar d’un Alain Duhamel ou d’un Jean-Michel Aphatie, Demorand adosse son entretien à la lecture de sondages aux résultats illusoires. Pour mémoire, lors des enquêtes effectuées en mars-avril 2016 concernant l’élection présidentielle de 2017, Alain Juppé était systématiquement donné en tête au premier tour devant Marine Le Pen. Et François Fillon et Benoît Hamon, pourtant les candidats des Républicains et des Socialistes, n’étaient même pas des hypothèses envisagées par les journalistes sondomaniaques.


Ce 15 avril donc, l’animateur de France Inter utilise l’argument implacable des mauvais scores dans les sondages pour délégitimer la candidature de Jean-Luc Mélenchon : « Quand on voit les différents candidats de gauche testés dans différents sondages ces dernières semaines, tous ces candidats marquent un important retard sur Emmanuel Macron et Marine Le Pen dans la perspective de 2022.  » Ensuite, il enfonce le clou en citant «  Frédéric Dabi, le sondeur : "l’espace politique et le potentiel électoral de la gauche n’ont jamais été aussi faibles sous la 5ème République entre 26 et 28%". Vous êtes coordinateur de la FI, quelle analyse faites-vous de cette faiblesse extrême de la gauche, un an avant l’élection présidentielle ?  » Enfin, au moment d’achever l’entretien, Demorand tente de déstabiliser Quatennens : « Merci Adrien Quatennens. Beaucoup d’auditeurs vous rappellent que dans le sondage JDD au second tour, Jean-Luc Mélenchon est le moins bien placé de tous les candidats possibles face à Marine Le Pen (60/40) et vous demandent de réagir. Je répercute les questions hein. » Passons sur l’audace légendaire de Demorand, préférant une nouvelle fois se cacher derrière les questions d’auditeurs pour justifier son interview à charge, et interrogeons-nous sur l’usage douteux de ce sondage.


Comme le rappelle l’Observatoire des sondages, « la Commission des sondages invitait [en 2008] explicitement les sondeurs à proscrire les hypothèses de second tour en contradiction avec les résultats des premiers tours, pratique qualifiée de manipulation de l’opinion.  » De plus, dans un texte publié avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2007, « la Commission rappelle qu’il serait dans l’idéal préférable d’attendre les résultats définitifs du premier tour pour réaliser [des sondages pour le second tour]. » Et de préciser : « Dans le cas d’une publication dès avant le premier tour d’un sondage de second tour, les instituts, s’ils ne publient qu’une hypothèse de second tour, doivent publier celle qui oppose les deux candidats qui arrivent en tête du sondage "premier tour". Cela étant, la commission recommande, lorsque les scores établis pour le premier tour sont suffisamment proches pour que, compte tenu des marges d’incertitude qui les affectent, l’identité des candidats qualifiés pour le second tour soit incertaine, que soient testées et publiées plusieurs hypothèses de second tour. »


Dans le cas présent, Mélenchon est bien loin d’un hypothétique accès au second tour et, comme le dit Adrien Quatennens, « avant le second tour, il y a un premier tour. »


Pour conclure, citons cette pépite, car Demorand ne recule devant aucune arme de disqualification :

C’est donc Éric Coquerel qui assistera à la réunion [de la gauche, samedi 17 avril], pas Jean-Luc Mélenchon. Question de Marjorie sur l’application Inter : « Peut-on justifier la présence de Jean-Luc Mélenchon en Amérique du Sud en pleine épidémie alors que les Français sont confinés et qu’ils n’ont pas le droit de voyager à plus de 30 kilomètres de chez eux ? »


Et d’ajouter, l’air de rien : « Énormément de questions là-dessus aussi hein ! Énormément. » La justification de Quatennens ne lui suffit pas et il ajoute : « Tout le monde a de bonnes raisons de voyager, Adrien Quatennens, si ce n’est qu’on ne le fait pas, vu qu’il y a une pandémie et que les frontières sont fermées. Y a des visioconférences… » Question, peut-être légitime, mais qu’il n’a posée à aucun de ses invités précédents qui ont été au-delà des 30 kilomètres de leur résidence [3]. Quatennens, agacé, s’étonne que l’on ne pose pas ces questions à Jean-Yves Le Drian, par exemple, en déplacement en Inde.


***


En définitive, ce matin-là, Nicolas Demorand a livré un entretien à sens unique dont l’objectif était d’escamoter les questions de fond au profit, comme d’habitude, du jeu politique. Avec pour conséquence de délégitimer une candidature.


Mathias Reymond (avec Pauline Perrenot)

 
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Notes

[1Dans son ouvrage, Des raisons du « non » paru en 2005, Olivier Duhamel rappelle le rôle central qu’a joué France Culture dans la bataille pour le « oui », et en particulier le « fabuleux soutien des amitiés nées dans cette aventure » au premier chef desquels celle de… « Nicolas Demorand  ».

[2À plus des deux tiers de l’interview, on note toutefois une question sur la situation sanitaire… mais qui porte sur le calendrier de réouverture des cafés, restaurants, lieux culturels, etc. Puis, une opposition de Demorand au sujet du vaccin russe. La seule réelle question de fond intervient une minute trente avant la fin et concerne la relance économique aux États-Unis.

[3Exemple récent : Édouard Philippe, maire du Havre – certes ce n’est pas La Paz – invité le 7 avril, était bien présent à Radio France et non en visioconférence pour faire la promotion de son dernier livre...

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