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Jean-Luc Mélenchon, invité dans la salle d’interrogatoire de Nicolas Demorand

par Mathias Reymond,

Nicolas Demorand est un exemple exemplaire des qualités requises pour devenir un « grand » de « l’animation » journalistique à la radio et à la télévision. C’est à ce titre qu’il nous intéresse ici. Des qualités socialement marquées, dont la moindre n’est pas de savoir doser vraie complaisance et fausse impertinence avec les intellectuels médiatiquement consacrés et avec les porte-voix des partis dominants. Quant aux autres, impossible de dissimuler longtemps le mépris qu’ils inspirent. Le studio d’Europe 1 se transforme alors en salle d’interrogatoire, mais pour assurer le spectacle. Nicolas Demorand rivalise alors avec Jean-Marc Morandini. Victime de cette métamorphose, le 5 janvier 2011 : Jean-Luc Mélenchon.

Les atouts et les qualités mobilisés par Nicolas Demorand ? Nous les avons déjà évoqués : la docilité à l’égard des chefferies médiatiques et les petites lâchetés, notamment lorsque des collègues sont contraints de prendre la porte (Miguel Benasayag en 2004 sur France Culture et Didier Porte en 2010 sur France Inter ; les fidélités du transfuge d’une station à l’autre à l’égard de ses invités habituels (et notamment de Bernard-Henri Lévy) ; les gardiennages sourcilleux d’une démocratie atrophiée, de débats déséquilibrés, d’un accès limités des auditeurs à la parole ; et enfin la capacité de transformer l’impertinence en bouffonnerie (comme on a pu le voir à l’occasion d’un entretien avec Jean-Louis Debré)…

Des qualités socialement et médiatiquement construites que Nicolas Demorand partage avec d’autres et auxquelles il apporte son propre style. Un style qui plaît sans doute – il faut en convenir – à de nombreux auditeurs. Un style qui peut être enrichi d’une qualité supplémentaire : l’arrogance.

Jean-Luc Mélenchon, invité d’Europe 1 soir le 5 janvier 2011, en a fait les frais, comme le montrent les extraits que nous avons retenus dans cette vidéo.

Vidéo montée à partir de celle du site d’Europe 1 (hébergée et visible sur Dailymotion) :

Précisions  : Après la publication de cette vidéo, qui n’est rien d’autre qu’un commentaire critique dont on trouvera la transcription ci-après, nous avons reçu, en provenance d’un journaliste d’Europe 1, une demande téléphonique – et donc officieuse – de retrait de notre montage d’extraits, sous peine de poursuites judiciaires pour abus de citations. Nous attendons une confirmation officielle de cette menace d’abus de pouvoir qui vise à interdire toute critique documentée d’Europe 1. Nous lui donnerons alors une réponse appropriée. Précisons encore, puisque la question ne manquera pas de nous être posée, que nous ne savons pas si Nicolas Demorand est impliqué dans cette menace. (Acrimed, mercredi 12 janvier 2011, 16 heures.)

Le montage effectué n’est nullement arbitraire. Dans cette interview qui dure près de 13 min, on assiste à un véritable interrogatoire, dans lequel Demorand marie insolence et mépris. Insolence arrogante destinée à tenter de déstabiliser le président du Parti de gauche et de le pousser à bout pour un spectacle garanti ! Arrogant mépris destiné à délégitimer son invité. Concourent à cela le sens des questions, le choix du vocabulaire et l’attitude physique de l’intervieweur. Décryptage.


Délégitimation

Nicolas Demorand annonce la couleur dès la présentation de son invité : « Il est pas content, il promet la castagne pour 2011. » Pourtant, la première partie de l’interview laisse à Mélenchon le temps de s’exprimer. Ce n’est que partie remise. Dans la suite de l’interrogatoire il est question de la légitimé démocratique de Jean-Luc Mélenchon : une insistance qui équivaut à une tentative de délégitimation qui se poursuit jusqu’à la fin de l’entretien…

Les questions portent pour l’essentiel sur sa représentativité et sa position dans les sondages. Ainsi Nicolas Demorand lui demande : « Le contexte devrait vous profiter politiquement, vu votre discours Jean-Luc Mélenchon […] Or vous n’êtes pas porté, à en croire les sondages, par une vague puissante : 6,5, 7, 7,5 %. Comment expliquez-vous ce mystère ? » Mélenchon est étonné par la formulation et l’animateur insiste : « Si, c’est un mystère. » Continuant son travail de minimisation, Demorand enchaîne : « On ne sent pas la gauche, Jean-Luc Mélenchon, portée par un profond mouvement. » Ou encore : « Pourquoi les gens ne viennent pas vers vous massivement ? »

Cette « question », plusieurs fois répétée laisse entendre que la portée d’une voix minoritaire dépend exclusivement de son poids sondagier : « Mais pourquoi vous n’êtes pas politiquement à 25, 30, 35 % ? » « Mais ça va venir… », réplique Mélenchon. « M’enfin, parlons sérieusement », s’amuse l’animateur. Pas sérieux ? Les « petits » candidats suscitent toujours la risée des « grands » journalistes…


Demorandini

Jean-Luc Mélenchon tente alors d’expliquer pourquoi les classes populaires ne votent pas toujours à gauche : « Il y a un appareil idéologique dominant… » Demorand le coupe alors : « Lequel ? » La réponse de Mélenchon est immédiate : « C’est vous. Les radios, les télés, les journaux… » ; « Ah, c’est de notre faute ! » ; « Mais oui, c’est de votre faute… » « C’est un peu court, jeune homme », réplique Demorand citant – les auditeurs le savent-ils ? – le Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand. L’explication de Jean-Luc Mélenchon est peut-être insuffisante ou incomplète. Mais, pourquoi « Jeune homme » ? Demorand aurait-il répliqué cela à Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn, Bernard-Henri Lévy ou François Fillon ? A-t-il, la veille sur Europe 1, interrompu Michèle Alliot-Marie en lui posant des questions embarrassantes sur la présence de soldats français en Afghanistan en disant : « C’est un peu court, ma p’tite dame. » L’impertinence – lettrée – à l’égard de Mélenchon recourt à des tentatives de déstabilisation qui, peu à peu, visent non pas à obtenir des réponses mais à mettre en scène un conflit médiatique spectaculaire.

Au cours de cette interview, en effet, Nicolas Demorand se métamorphose ouvertement en animateur de spectacle, voire en bateleur, à l’instar de son collègue d’Europe 1, Jean-Marc Morandini et autres spécialistes du « clash » et du « buzz » à tout prix. C’est le concept Demorandini : la fausse impertinence au service de l’audience.


Arrogance

À la fin de l’entretien, alors que le président du Parti de gauche est en train de parler du mépris des élites à l’égard du peuple, Nicolas Demorand, croyant le piéger, l’interrompt en énonçant une contre-vérité : « Le peuple qui ne vous a jamais élu, hein, Jean-Luc Mélenchon ? » S’ensuit un échange qui mérite d’être retranscrit intégralement.

– Jean-Luc Mélenchon : « Ah bon ? »
– Nicolas Demorand (embarrassé) : « Enfin, à des élections directes… au suffrage universel. »
– Jean-Luc Mélenchon : « Ah bon, vous croyez ça ? »
– Nicolas Demorand (tout sourire) : « Au Sénat, ça se passe comme ça ? »
– Jean-Luc Mélenchon : « Eh bien, mon cher Demorand, figurez-vous que j’ai été élu… »
– Nicolas Demorand (le coupant, en se rendant compte de sa bourde) : « Et comme député européen, ça se passe comme ça aussi ? »
– Jean-Luc Mélenchon (énervé) : « Écoutez-moi, monsieur Demorand, j’ai été élu deux fois conseiller général, pas vous, d’accord ? »
– Nicolas Demorand (faussement décontracté, mais bien embarrassé) : « Ah non, ça je suis d’accord. »
– Jean-Luc Mélenchon : « C’est un suffrage direct. »
– Nicolas Demorand : « Oui, oui. »
– Jean-Luc Mélenchon : « Deuxièmement, j’ai été élu député européen dans la grande circonscription du Sud-Ouest… »
- Nicolas Demorand (affalé sur le dossier de sa chaise, le sourire aux lèvres, il le coupe et fait diversion) : « Baissez le doigt, baissez le doigt. »
– Jean-Luc Mélenchon : « … où personne n’était élu, avant moi, du Front de gauche. Et j’ai recueilli 275 000 voix sur la liste que je menais. C’est-à-dire que, pour élire un homme comme moi, c’est l’équivalent de cinq députés nationaux. Alors remballez vos grands airs de mépris à l’égard des élus du peuple. »
– Nicolas Demorand (en le montrant du doigt) : « Et ne me pointez pas du doigt, vous, s’il vous plaît, Jean-Luc Mélenchon. »
– Jean-Luc Mélenchon : « Et je vous montre du doigt parce que vous passez les bornes… »
– Nicolas Demorand (faisant un geste de la main) : « Oui, oui, c’est bon, on connaît, on connaît, on connaît. Dernière question… »
– Jean-Luc Mélenchon : « On connaît quoi, s’il vous plaît ? On connait quoi ? »
– Nicolas Demorand : « Ben, on connaît la chanson... Est-ce qu’en 2012… »
– Jean-Luc Mélenchon : « On connaît quelle chanson ? Vous n’avez pas le droit de me parler comme ça ! Et vous ne m’impressionnez pas parce que vous êtes derrière votre micro. »
– Nicolas Demorand : « Mais pas du tout. Mais moi non plus, vous... »
– Jean-Luc Mélenchon : « Alors parlez-moi poliment. »
– Nicolas Demorand : « Mais je vous parle très poliment. »
– Jean-Luc Mélenchon : « Je suis un élu du peuple, et je l’ai été au suffrage direct. »
– Nicolas Demorand : « Formidable ! »
– Jean-Luc Mélenchon : « … à moins que vous décidiez que les élus du suffrage indirect que sont les sénateurs, vous les méprisez. »
[…]

– Jean-Luc Mélenchon : « Et remballez vos grands airs sur les élus. Je suis un élu du peuple. »
– Nicolas Demorand : « Mais ça y est, on l’a bien compris. Et arrêtez de me pointer du doigt » (ajoute-t-il en pointant Mélenchon du doigt).
– Jean-Luc Mélenchon : « Vous n’aviez qu’à pas prendre cet air-là. »
– Nicolas Demorand (toujours en pointant du doigt) : « Et je prends pas d’air… »

Il y a tout dans cet échange : une contre-vérité (Mélenchon a déjà été élu au suffrage direct) ; l’arrogance (le ricanement de Demorand croyant piéger son invité) ; la gestuelle méprisante (la posture physique et les signes de la main). Nous ne dirons rien du physique proprement dit de Demorand : laissons cela à ses collègues de France Inter et aux dessins satiriques. En revanche, son attitude est une composante de l’interrogatoire. Avachi sur sa chaise, le bras sur le dossier, alliant des gestes de mépris à son ton insolent, Nicolas Demorand, pas rasé, porte un haut de jogging à capuche. Face à lui, Jean-Luc Mélenchon est en costume, il porte une cravate et se tient droit sur la chaise. Pourtant Demorand n’hésite pas à interpeller son interlocuteur sur sa gestuelle pour désamorcer son discours en lui reprochant de le montrer du doigt… l’imitant quelques secondes plus tard – sans s’en rendre compte – quand il s’énerve à son tour !

Cette mise en scène de l’arrogance accompagne les formules provocantes (« un peu court, jeune homme »  ; « Oui c’est bon, on connaît  ») ou les contrevérités (« Vous n’avez jamais été élu par le peuple ») qui ont pour effet, et sans doute pour but, de pousser Mélenchon hors de ses gonds.

Une anecdote résume cet exercice de médiacratie, exemplaire du comportement des « grands » journalistes à l’égard des porte-parole des « petits » partis politiques. Au cours d’un badinage sur France Inter, Pascale Clark fait allusion au « gros » prédécesseur de Patrick Cohen sur France Inter. Demorand, furieux, proteste publiquement (« Mais je ne suis pas gros ! ») et obtient… des excuses [1]. Les auditeurs peuvent attendre longtemps que le même Demorand présente des excuses, sinon à Jean-Luc Mélenchon, du moins aux témoins de ses saillies radiophoniques. Ce n’est pas n’importe qui, n’est-ce pas ?


Mathias Reymond (avec Henri Maler et Yves Rebours)
Montage : Ricar

 
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Notes

[1Voir Libération, 7 janvier 2011.

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