C’est au-dessus du titre « Ni hommes, ni femmes : la culture post-genre contre les diktats des sexes », que s’affichaient, le 7 juin dernier sur le site de L’Obs, trois photos : Laverne Cox, Caitlyn Jenner et Conchita Wurst.
Première incohérence : ces trois personnes ne sont pas « ni hommes, ni femmes » dans la mesure où elles ne revendiquent pas un genre fluide [1], mais bien, pour les deux premières, une identité féminine, et pour la troisième un genre masculin [2]. Sous-entendre que les deux femmes trans ne serait « ni hommes ni femmes » est d’une rare violence, et ne vise qu’à favoriser des stéréotypes transphobes et homophobes.
Il ne s’agit en effet ni plus ni moins que de la négation des identités revendiquées par les personnes elles-mêmes, négation qui fait partie des discriminations transphobes du quotidien, comme le rappelaient récemment les porte-parole de l’Existrans [3] dans un article publié… sur le « Plus » de L’Obs : « tout jugement extérieur sur la "validité" de nos identités et de nos corps sera toujours une violence ».
Et lorsque la journaliste prend la peine de différencier le cas de Conchita Wurst de celui des deux femmes, c’est en en rajoutant dans la négation de l’identité de Caitlyn Jenner, qui est mise entre parenthèses alors que le prénom de naissance (qu’elle a rejeté) est mis en avant.
Cette attaque est encore renforcée dans la suite du texte, avec une féminisation optionnelle et des guillemets qui mettent à distance l’identité féminine de Caitlyn Jenner :
Suivent des généralités par lesquelles la réflexion sur le genre est renvoyée à des considérations artistiques ou universitaires, et dont les termes « transgenre », « queer », ou même… « genre » ou « post-genre » sont systématiquement non ou mal définis.
La réalité transgenre est donc largement invisibilisée et instrumentalisée dans un article dont l’axe central est le choix supposé des personnes, dans le cadre d’un engagement politique ou artistique, d’une identité « trouble », aux antipodes de l’enjeu de la reconnaissance de l’identité de genre comme ressenti profond et personnel. Les trois sous-titres sont éloquents : « Un mode de vie engagé », « Célébrer le trouble » et « Avant tout un acte politique ».
Et si, sur la fin de l’article, la réalité des violences transphobes est rapidement évoquée, la loi à laquelle il est fait référence :
porte en fait sur... les intersexes. L’Allemagne autorise en effet le choix de la catégorie « sexe indéterminé » [4] pour les bébés nés avec des caractéristiques physiques ne permettant pas de trancher entre masculin ou féminin. Mais cela n’a rien à voir avec l’identité de genre des personnes trans ou fluides.
Une méconnaissance des thématiques traitées qui se traduit par des imprécisions confinant – intentionnellement ou pas – à la transphobie, et par un traitement qui rend invisibles les premier-e-s concerné-e-s : du journalisme, ça ?
Chloé Jiro (avec Julien Salingue)
Post-Scriptum : à l’heure où nous mettons en ligne cet article, le papier de L’Obs semble ne plus être accessible. Aurait-on pris conscience de sa médiocrité journalistique et de la violence de sa charge symbolique ? Nous l’espérons.
Post-Scriptum (2) : on pourra, pour se convaincre qu’un autre journalisme est possible, lire l’article récemment publié sur le Huffington Post : « Comment parler des personnes trans ? ». À consulter également, le kit établi par l’Assocation des Journalistes Lesbiennes, Gays, Bi-e-s et Trans : « Informer sans discriminer ».