Accueil > Critiques > (...) > L’école, les enseignants

Quand TF1 apprend à lire aux téléspectateurs

par Marcel Cassoudebat,

À la mi-octobre 2006, TF1 ouvre, à son tour, la guerre de l’apprentissage la lecture qui a commencé dès janvier 2006 (Conférence de presse sur la lecture, Discours de Gilles de Robien). C’est la polémique du jour. La syllabe serait-elle de droite et le mot de gauche ? Un débat simple et boursouflé comme les médias dominants aiment à en fabriquer.

Chez Claire Chazal

Le journal télévisé du samedi 14 octobre, 20 h de Claire Chazal plante décor et banderilles. Sa présentation « prompteurisée » est offensive et injonctive :

« J’en viens, maintenant à cette polémique sur les nouvelles méthodes [Y en aurait-il plusieurs ?] d’apprentissage de la lecture imposées [imposer : obliger à quelque chose de dur], depuis le début de l’année par le ministre de l’Education, Gilles de Robien, dans une circulaire qui prône [prôner : vanter, louer] la méthode syllabique et proscrit [proscrire : condamner à mort sans forme judiciaire] la méthode globale. »

Claire Chazal prête ainsi son souffle pour gonfler un peu plus la baudruche gonflée artificiellement par de Robien. En effet, rien n’a véritablement été changé aux programmes adoptés en 2002. Seul un paragraphe a été ajouté pour interdire explicitement les méthodes globales et idéovisuelles déjà implicitement abandonnées (et fort peu pratiquées...).

Imposer, prôner, proscrire sont des verbes à dilution rapide : quatre jours plus tard, ils auront disparu ; et les trois méchants coups de griffe seront remplacés par du baume parfumé.

Le décor est planté. Vient alors le reportage qui commente la guerre qu’il met en scène en donnant successivement la parole à SOS Education et à une syndicaliste enseignant.

A tout saigneur, tout honneur : le reportage s’ouvre par la déclaration de guerre de SOS Education, dont on ne saura rien sinon qu’il s’agit d’ « une association, dit le commentaire, mêlant parents et enseignants, tous farouches défenseurs de la méthode syllabique ». Et le reportage d’illustrer leur campagne de presse qui, en « quelques phrases bien senties » [et bien pesées ?] lance « un appel à dénoncer les manuels scolaires déviants  » [Qui parle ? Le journaliste ou SOS éducation ?] . Illustration : une image du « magnifique » manuel scolaire de la méthode Boscher (qui date du 1er juillet 1906 : 100 ans !). Le délégué général de SOS Education, Vincent Laarman fait état des « centaines d’appels de parents qui nous demandent de les renseigner sur les méthodes de lecture » et qui sont perdus. TF1 va les aider à s’y retrouver !

En forme de transition, un commentaire éclairé : « Aujourd’hui dans les écoles rien n’a changé malgré [ils sont têtus !] la circulaire [...] Selon un récent sondage [lequel, où, comment ?] 92% [Diantre] des instituteurs du CP utilisent les méthodes mixtes.  » Or, justement, parler de « méthode mixte » ne veut rigoureusement rien dire si on n’explique pas de quelle démarche précise on parle exactement. On peut d’ailleurs, maladroitement, désigner ainsi des méthodes conformes... à la circulaire. Pourquoi aurait-il fallu en changer ? Peu importe ! La suite coule de source : « Chaque enseignant s’est forgé sa pratique et n’a pas l’intention d’en changer quand ils changent de ministre. » Conservatisme ?

Vient alors - équilibre, équilibre... - une brève intervention de Luc Bérille, Secrétaire Général du SE-UNSA qui défend ainsi les enseignants : « Nous ne sommes pas des idéologues, nous sommes des praticiens ». Ce faisant, il met le doigt sur la volonté du ministre et de TF1 de dénaturer une question scientifique et pédagogique pour en faire une querelle idéologique.

Epilogue du reportage : « Restent les 15 à 20 % d’élèves qui arrivent en sixième sans savoir lire ou presque. Ils semblent, pour l’instant, curieusement oubliés au milieu des querelles de méthodes.  »

Peu importe à notre savant commentateur si, selon les chiffres ministériels eux-mêmes, la majorité des 15 à 20 % d’enfants dont il est question ont une maîtrise défaillante du langage écrit et non une maîtrise quasi-inexistante de la lecture. Notre expert-pédagogue ne voit là aucune nuance. À la différence des protagonistes de la polémique (et en particulier des enseignants...), il se préoccupe, lui, de l’intérêt des enfants. Dans le bol de TF1, une bonne louche de culpabilisation et de dénigrement.

Notre propos n’est pas ici de prendre parti dans un débat sur les méthodes d’enseignement de la lecture. Pour en parler, faut-il simplifier ? Sans doute... mais pas au point de rendre la simplification tellement caricaturale qu’elle surenchérit sur les simplifications du Ministre et devient, tout simplement, fausse. Qui, parmi les journalistes de TF1 en charge du sujet est allé fouiner ou lire simplement (à la portée d’un clic internet) l’arrêté du 24 mars 2006, paru dans le Journal Officiel n° 76 du 30mars 2006 page 4758, texte n°18 ? On pouvait y lire notamment à l’article 1, alinéa 2.4 : « pour ce faire, on utilise deux types d’approches complémentaires : analyse des mots entiers en unités plus petites référées à des connaissances déjà acquises , synthèse à partir de leur constituants, de syllabes ou de mots réels inventés ». Autant dire que la méthode préconisée, quoi qu’on en pense, ne se laisse pas réduire à des slogans !

Mais ce serait sans doute exiger un petit effort d’information, fut-ce au détriment d’une mise en scène spectaculaire et un peu moins de mépris pour les enseignants, ces éternels conservateurs, si l’on en croit la vulgate des commentaires habituels [1].

Chez Patrick Poivre d’Arvor

Quatre jours plus tard, le 18 octobre, vient le tour de PPDA de resservir le même sujet. Le fleuret est, déjà, moucheté (« la nuance arvorienne »). Le prompteur de Monsieur Patrick est beaucoup moins belliqueux que celui de sa consœur. « La rentrée n’a pas calmé la polémique. Il s’agit de l’apprentissage de la lecture en classe primaire. Gilles de Robien a demandé [faire une demande. - demande : écrit qui contient une requête.] à ce que l’on revienne à la méthode syllabique »

Après les présentations, vient le reportage qui donne la parole aux acteurs. Ces derniers vont toujours par deux. C’était le cas chez Claire Chazal, ça l’est aussi chez Patrick Poivre d’Arvor (avec Gilles de Robien en vedette américaine) : un inspecteur de l’Education Nationale Pierre Frackowiak qui « assume dans la presse qu’il ne croît pas aux méthodes purement syllabiques » et qui est « sous le coup d’une procédure disciplinaire » et Rachel Boutonnet, professeur des Ecoles, auteur de Pourquoi et comment j’enseigne le B-A BA.

Le reporter, tout de go, décrit un champ de bataille : « Deux conceptions qui s’affrontent  » (à TF1, on n’a toujours pas lu l’arrêté du 24 mars 2006. C’est à croire que les méthodes semi-globales ont fait énormément de dégâts. Affrontement qui ne doit pas avoir lieu car, dit TF1, le ministre a pris une décision : « Depuis cette rentrée, le ministre a tranché. Tout le monde doit appliquer la syllabique. » Je ne veux voir qu’une seule tête...

Suit immédiatement l’interview dudit ministre, Gilles de Robien : « Au début du CP, le premier jour du CP on doit commencer à apprendre les lettres et les sons, c’est-à-dire les syllabes pour ensuite passer aux mots. » La confusion sommaire des notions de lettre, de son et de syllabe trahit une maîtrise défaillante du sujet par le ministre. Même dans la circulaire, c’est un peu plus compliqué que ça. Mais Monsieur Gilles de Robien est en charge du B.A. BA.

Vient alors le récit de la « rébellion ». Sur des images (images vues dans le JT du 14 octobre de Mme Claire Chazal) montrant la classe pratiquant la méthode semi-globale (un demi-bazar), un commentaire sibyllin . « Mais les pratiques ne changent pas aussi facilement » (la mobilité, le changement..., c’est pas le truc des enseignants). « Les syndicats d’Inspecteurs ...ont sorti un tract pour les parents. ». L’image nous dévoile le tract : « Apprendre à lire,“pas si simple !”  » et, un superbe stylo surligne ce que nous ne sommes pas susceptibles de lire seuls : « Appel à la grève du zèle ». Aie ! Le mot grève est lâché, ils ont dit « grève ». Tout dans le non-dit, mais hautement surligné. Du grand art chez TF1.

Brève interview de Pierre Frackowiak, inspecteur de l’Education Nationale, dont on donne l’appartenance syndicale au SIEN-UNSA. Et qui déclare : « Dans la presse, certains disent qu’il faut retourner au b.a.-ba pur et dur. »(Des noms, des noms ! - TF1 se tait). Ce type de discours trouble (et oui, il faut lire l’arrêté...) » « Une procédure disciplinaire est lancée à son encontre et cela amplifie la polémique... » Avec qui, avec qui ? On attend l’adversaire. Le voilà : SOS Education.

Là, pas d’interview de SOS Education, mais la caméra qui s’attarde sur les tracts et qui surligne, du même stylo, les mots importants que l’on doit obligatoirement voir et enregistrer. Les adversaires (SOS Education) « diffusent des publicités expliquant que la semi-globale (sic !) est néfaste », que ces méthodes «  ...peuvent provoquer de graves problèmes...  » (surligné) et qu’il faudrait dénoncer - «  Appelez SOS Education...  » (surligné) - ceux qui n’appliqueraient pas à la lettre la méthode alphabétique.

Le commentaire, chez Poivre d’Arvor, présente un glissement est intéressant. Moins agressif dans un premier temps, plus consensuel, il devient mordant et teigneux. Rappel :
- Chez Claire : « appel à dénoncer les manuels scolaires déviants. » L’objet est en question.
- Chez Patrick : « il faut dénoncer ceux qui n’appliqueraient pas ... » Le sujet est en question. Ça devient sanglant. On dresse les gibets après avoir dressé les bûchers.

Vient le tour de l’expert. À TF1, c’est une experte : Rachel Boutonnet. Professeur des Ecoles, auteur de Pourquoi et comment j’enseigne le B-A BA : « Les instituteurs sont coincés entre deux exigences les parents d’une part qui leur demandent de faire des méthodes alphabétiques et celles des inspecteurs qui ne sont pas favorables au retour des méthodes alphabétiques et qui font « pression ». Des ignorants qui abusent de leurs immenses pouvoirs. Image choc : un enseignant en place de Grève, subissant le supplice du joug, avec autour du cou une pancarte : « Pédagogue Réfractaire ».

La conclusion du reportage est à l’image de Monsieur Patrick Poivre d’Arvor. Après avoir bien planté les dents, on va, tel Ponce Pilate, se laver les mains : « Des polémiques très violentes, car aucune étude scientifique sérieuse et impartiale n’a été lancée. Personne ne peut départager les deux méthodes de façon irréprochable. » Affirmation péremptoire et grossièrement erronée quand il existe quantité d’études sur la question qui démontrent toutes que celle-ci ne se pose pas ainsi que la posent Robien et TF1.

L’analyse de ces deux reportages de TF1 à quatre jours d’intervalle montre que :

- 1. Un journaliste de TF1 n’a pas besoin de se documenter (circulaire, recherche...) : il croit la rumeur, surtout quand elle est propagée par un ministre..
- 2. Un journaliste de TF1 peut énoncer des contrevérités.
- 3. À TF1, on égratigne, on mord les fonctionnaires.
- 4. À TF1, on peut manier sans complexe l’art de culpabiliser les autres et de toujours lisser dans le sens du poil !

Marcel Cassoudebat (avec Henri Maler)

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1On pourrait parler du traitement de l’image en elle-même. La classe dans laquelle la maîtresse en tailleur pratique la méthode syllabique - maîtresse présentée comme répondant à la demande du ministre - avec des enfants sages, à leur place, levant le doigt poliment, avec des bureaux bien rangés...La classe de la maîtresse travaillant la méthode mixte (dixit TF1) dans laquelle les enfants entrent en désordre, mais pleins de vie, levant le doigt, mais copiant sur le voisin, classe aux bureaux mal alignés...Est-ce un choix délibéré que de faire un lien imagé entre ordre et classe pratiquant la méthode préconisée par le ministère, d’une part, et, d’autre part, « pagaille » et classe pratiquant les méthodes suspectes ? Il manque d’éléments objectifs pour pouvoir l’affirmer, mais un œil attentif pourrait s’y attarder et nous le dire. L’interview de Luc Bérille en polo, à la campagne, légèrement dilettante (un privilégié, quoi !). En résumé : ceux qui pratiquent ou qui demandent à pratiquer la méthode syllabique avec l’antique manuel Boscher et donc répondent aux attentes du Ministre sont modernes, dans l’action, courageux. Ceux qui, au contraire, ne disent pas haut et fort qu’ils veulent revenir au passé et qui se contentent en bon fonctionnaires de mettre en œuvre les programmes de 2002 sont dans l’idéologie, le passéisme, sont des pleutres, des fonctionnaires, des privilégiés, des sans cœur.

A la une

Nathalie Saint-Cricq dans Libération : une « pointure » et beaucoup de cirage

« Nathalie Saint-Cricq vote », et Libération vote Saint-Cricq.