On se souvient du portrait « dégoulinant de complaisance » de Nathalie Saint-Cricq paru dans Libération (4/04). Ce n’était pas un acte isolé. Et pour cause : depuis le mois de janvier, les portraits de journalistes s’enchaînent. Emilie Tran Nguyen (2/02), Thomas Misrachi (5/02), Tristan Waleckx (11/02), Thomas Snégaroff (3/03), Benjamin Duhamel (15/09), Sonia Devillers (17/09), Michel Denisot (27/10)…
Avec, à chaque fois, le même procédé : plutôt qu’un questionnement des pratiques professionnelles, la focale est mise sur l’histoire familiale, la vie privée, la personnalité, le dernier projet en date (souvent, un livre). Ou comment combiner starification et dépolitisation…
« Si on a voulu faire son portrait, c’est parce qu’on estime que Benjamin Duhamel vaut mieux que sa caricature. » De quoi donner le ton ! Dans la même veine, Michel Denisot n’est plus que l’« impeccable majordome du Grand Journal », « œil vif » et « observateur averti », quand Thomas Snégaroff est « élancé, bavard, rapide dans sa tête, il est hyperactif. » Ou encore, toujours à son sujet : « Autre singularité, pour un journaliste : il est agrégé d’histoire. On en connaît qui, cumulant ce diplôme et la fréquentation des plateaux télé, ne passent plus les portes. Lui reste sympathique, normal, et sourit avec sincérité. »
On monte encore d’un cran avec Sonia Devillers : « Pile. Sonia Devillers irradie, sémillante et impériale. Elle parle avec un vocabulaire choisi, sa prononciation parfaite fait son charme. Face. Elle se dit écrasée par un surmoi tel que malgré dix ans d’analyse, elle s’interdit des tas de choses, à commencer par le plaisir. »
Et puis, parfois, des moments d’anthologie. Comme ce panégyrique de Benjamin Duhamel :
Solide culture politique, questions limpides : son but comme intervieweur est d’abord de mettre ses invités face à leurs incohérences. A priori banal, et pourtant, de moins en moins en vogue dans le journalisme politique télé. Lui n’hésite pas à couper dans le gras des éléments de langage, à repasser des archives vidéo gênantes, à utiliser les arguments des uns pour contredire les autres. Bosseur, pour préparer ses questions, il textote avec les rubricards des quotidiens qu’il lit tous les matins. Il cite comme influences David Pujadas, Léa Salamé ou Patrick Cohen.
Il fallait oser !
Il y aurait pourtant tant à dire sur les pratiques de ces stars de l’info, comme des positions sociales et professionnelles qu’ils occupent... [1] Las, la complaisance prend systématiquement le dessus. Ou comment, tranquillement mais sûrement, cultiver son carnet d’adresses et, on n’en doute pas, forger de solides compagnonnages médiatiques. Car en définitive, ces portraits en disent moins long sur les heureux élus que sur la rédaction qui choisit de les mettre en scène. Lesquels ont en partage la passion du microcosme… et les préoccupations nombrilistes qui vont avec.
Maxime Friot