Vrai faux départ ?
Ce 2 septembre 2024, coup de tonnerre dans le landerneau médiatique : après 60 ans de bons et loyaux services, Alain Duhamel confirme à Alain Marschall et Olivier Truchot que sa retraite est imminente. Quelques jours plus tard, c’est au tour de leur consœur Aurélie Casse de revenir sur ce tremblement de terre : « Vous l’avez annoncé ce lundi, il était 17h40 » (« C l’hebdo », 7 sept. 2024). Qui s’empresse donc d’aller recueillir les confidences de son épouse, le tout accompagné d’un bandeau émouvant : « Le message de France Duhamel à son mari ». S’ensuivent quelques confessions intimes de notre éditorialiste sur sa rencontre avec sa future femme, « capable de plaisanteries incroyables » et pas avare de révélations : « Avec nos enfants, il y a 3 ans, on a quand même été au Maroc, c’était pas si mal que ça, à Noël. » Sans oublier l’essentiel : « Il est perfectionniste, alors il faut que la cravate soit bien repassée, que le pantalon… » La présentatrice, visiblement attendrie, ne peut contenir son émotion face aux épanchements de notre couple : « C’est beau de vous voir amoureux. J’aime bien vous entendre parler d’amour. »
Pape de l’éditocratie
Reste qu’Alain Duhamel est d’abord le modèle ultime de l’éditocrate accompli : omniprésent, omniscient… et toujours impeccablement neutre. C’est un fait, le roi du commentariat n’a jamais été avare de son temps (de parole) ni de sa plume (féroce). S’il débute dans la presse écrite au journal Le Monde, il se diversifie rapidement en intervenant sur la première chaîne de l’ORTF puis sur Antenne 2. Se démultipliant de façon étourdissante au fil du temps, on peut le voir, l’entendre ou le lire à peu près partout au gré des saisons, de RTL à France Télévisions, de Libération à Nice Matin, de L’Express à Témoignage Chrétien en passant par Le Point, BFM-TV ou encore Europe 1. La presse régionale n’est pas en reste puisqu’il gratifie aussi les lecteurs du Courrier de l’Ouest, des Dernières Nouvelles d’Alsace, de Presse-Océan, de L’Éclair, du Maine libre mais aussi de Vendée-Matin (liste non exhaustive) de ses analyses fulgurantes.
Comment expliquer cette omniprésence ? Duhamel s’appuie sur une connaissance fine de tous les sujets ou presque, de l’Iran à la sociologie, de la politique (politicienne de préférence) à la justice et aux otages. Frotté de culture Sciences Po, il ne rechigne pas, en effet, à s’aventurer sur des terrains plus escarpés, ni même à répondre à des questions ineptes.
Centriste en tout
Le centrisme acharné d’Alain Duhamel n’est sans doute pas sans rapport avec sa surface médiatique. Apparu sur les écrans aux temps bénis de l’ORTF, épousant la ligne officielle des médias d’État de l’époque et représentant depuis toujours le cercle de la raison, il sait en toutes circonstances être « radicalement modéré » dixit (la moins modérée) Eugénie Bastié. Sa pensée parfaitement équilibrée, d’une neutralité et d’une tiédeur à toute épreuve, est certainement la meilleure explication de sa longévité dans les médias dominants. Rare imprudence, notre observateur avisé commit l’irréparable un jour de 2007, lors d’un débat à Sciences Po avec Marielle de Sarnez (alors leader du Modem, parti centriste), incapable qu’il fut de taire son intention de voter pour François Bayrou – il sera suspendu d’antenne par France 2 et RTL qui ne lui en tiendront pas rigueur puisqu’il reprendra du service seulement quelques mois plus tard.
Journalisme de révérence
Ne brillant certes pas par sa pugnacité ou son impertinence, il est passé à la postérité comme « l’intervieweur de présidents ». Si les chefs d’État successifs l’ont adoubé, c’est vraisemblablement qu’ils ne craignaient pas d’être malmenés par notre éditorialiste vedette – qu’ils décorèrent d’ailleurs de la Légion d’honneur en 2005. Quand on lorgne de telles médailles, mieux vaut en effet être du côté du manche, laisser parler ses intérêts de classe et se mettre ainsi au service des puissants. Voici par exemple ce qu’il disait sur les retraites : « L’opinion publique a évolué, on a pris conscience du fait que malheureusement, il était inéluctable d’allonger la durée de cotisations. » (RTL, 6 nov. 2007), martelant sur les mêmes ondes que « la réforme des retraites, c’est la plus urgente, la plus nécessaire » (RTL, 23 mars 2010). Comme le soulignait le regretté Michel Naudy, « vous ne restez jamais à l’antenne impunément, jamais ». Imaginez-donc 60 ans durant... Alain Duhamel peut également compter sur un club de collègues admiratifs qui voient en lui « le prince des chroniqueurs politiques » ; Sonia Devillers n’hésite pas à mordre dès l’entame de l’entretien qu’elle mène le 2 juillet dernier sur France Inter : « Vous qui êtes un grand éditorialiste... ». Même ses activités extra-médiatiques sont saluées à l’antenne : « Je peux le dire, je vous ai vu jouer au tennis et je vous ai trouvé remarquable » (Apolline de Malherbe, RMC, 3 sept. 2024). Mais Alain Duhamel sait aussi renvoyer l’ascenseur, notamment à son compère Jean-Pierre Elkabbach : « J’admire le virtuose inégalable ». On a les admirations qu’on mérite…
Dernier tour de piste médiatique ?
Après 60 ans de bons et loyaux services médiatiques, on aurait pu croire qu’Alain Duhamel allait enfin passer la main, comme il l’avait annoncé et comme sa femme l’avait exigé. Las… alors qu’il était théoriquement retraité depuis 2 mois déjà, il eut droit à une interview en pleine page dans le journal vespéral de référence (Le Monde, 7 sept. 2025). Mieux – ou pire – l’AFP (4 juil. 2025) nous informait au lendemain de sa retraite supposée que « dès la rentrée fin août, l’oncle de Benjamin Duhamel sera à l’antenne de la matinale de RTL tous les lundis à 09h10 pour commenter de grands thèmes d’actualité. Sur BFMTV, où il avait jusqu’à présent une émission quotidienne, il devrait intervenir le vendredi en fin d’après-midi ». Et les secousses politiques du moment ne sont pas de nature à nous rassurer puisque l’invité permanent des plateaux affirmait il y a quelques jours, un brin flagorneur, que « s’il se passe des choses importantes et qu’on me demande mon avis, surtout si c’est quelqu’un qui interroge bien… je vous dirai oui ». Tout récemment encore, il a élargi sa palette en intervenant dans l’émission « Quotidien » de Yann Barthès et semble donc plus que jamais parti pour rester. Laissons à France Duhamel le mot de la fin : « Ah oui, il a du mal à décrocher, c’est sûr… mais enfin il faudra que ça se termine, hein, vous êtes bien d’accord ? »
Thibault Roques



