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Partenariat entre Radio France et le Cercle des économistes : le CSA répond (à côté)

par Jean Pérès,

De l’art de ne pas se mouiller...

Le CSA a été saisi par le SNJ-CGT (voir en annexe) le 18 mai 2020. Le syndicat de journalistes, sur la base de son premier communiqué, contestait un projet de « partenariat entre Radio France et le Cercle des économistes » qui prévoyait notamment « d’organiser à Radio France les Rencontres d’Aix, et de créer une association commune » pour faire la promotion de ces rencontres [1]. Le SNJ-CGT soulevait devant le CSA :

- un problème d’indépendance

Le syndicat affirme dans son courrier que ce partenariat avec un organisme connu pour ses idées libérales constitue « une atteinte manifeste à l’indépendance des radios de notre entreprise publique », et ferait peser « un soupçon de collusion incompatible avec les valeurs du service public ».

- un problème de pluralisme

« Il nous paraît inconcevable que nos radios publiques, qui ont pour devoir de respecter le pluralisme, fassent de cette façon la promotion d’un événement qui n’a rien de neutre en matière d’information économique. »

- un problème déontologique

Ce partenariat, vu l’appartenance de Françoise Benhamou, présidente du Comité d’éthique de Radio France, au Cercle des économistes, pourrait constituer « pour ce qui la concerne, un mélange des genres, et même un conflit d’intérêt, difficilement tenable ».

La décision du CSA (voir en annexe) a été prise le 16 septembre et communiquée le 30 septembre, soit quatre mois après sa saisine. Entre temps, le projet d’association entre Radio France et le Cercle des économistes a été repoussé à une date inconnue, suite aux protestations qu’il a suscitées. Les Rencontres économiques ont eu lieu les 3, 4 et 5 juillet, au siège de Radio France, mais le partenariat a été revu largement à la baisse. Les locaux de Radio France ont été loués au Cercle de Économistes aux conditions habituelles. Et les débats n’ont pas été retransmis sur les ondes des radios publiques. Si bien que le CSA, dans sa réponse au SNJ-CGT, a pu juger que la question n’était pas de sa compétence. La raison : les vidéos des Rencontres économiques ne sont accessibles qu’à la demande (VOD) des auditeurs, alors que le CSA ne peut se prononcer que sur ce qui est diffusé directement au public. Selon le CSA, ces vidéos ont été « captées et retransmises en direct uniquement sur le site dédié à l’événement », et il conclut : « Par conséquent, il n’appartient pas au CSA de se prononcer sur ce partenariat ».

Dont acte. Mais du coup, le CSA ne s’est pas prononcé sur ce qui faisait l’objet de sa saisine par le SNJ-CGT : le projet de partenariat et surtout d’association entre Radio France et le Cercle des économistes. Or ce projet va beaucoup plus loin dans la coopération entre les deux entités. Selon Sibyle Veil, présidente de Radio France, il s’agirait de « promouvoir » les rencontres d’Aix et de « développer la culture économique auprès d’un vaste public » en donnant aux rencontres « un large écho avec le support du rayonnement de Radio France et la puissance de ses chaines auprès de leurs 15 millions d’auditeurs ». Dans le même sens, le « Protocole d’Accord cadre en vue de l’association pour les rencontres économiques d’Aix-en-Provence » signé par Sibyle Veil, et Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, le 6 avril, précise notamment que « par son apport, Radio France contribuera notamment à la communication et à la promotion des Rencontres économiques sur ses différents médias ». Or, le CSA ne se prononce pas sur de simples projets. Cela dit, le projet n’a pas été officiellement abandonné, juste mis en sourdine, en attendant, peut-être, un moment plus propice.

Sur l’éventuel « mélange des genres », voire « conflit d’intérêt » évoqué par le SNJ-CGT concernant Françoise Benhamou, membre du Cercle de Économistes et présidente du Comité d’éthique de Radio France, le CSA répond que cette dernière remplit toutes les conditions légales définissant cette indépendance (article 30-8 de la loi de 1986). Comme pour le point précédent, il ne se place pas dans la perspective d’une association étroite entre les deux entités.

Ainsi, le retrait (au sens militaire) du projet d’association a-t-il permis au CSA de répondre à côté de la question. Mais ce peut être partie remise : peut-être sera-t-il à nouveau saisi et devra-t-il se prononcer si le projet d’association aboutit. Nous verrons alors si l’indépendance du CSA lui permettra de soutenir celle de Radio France. On peut en douter.

En fait d’atteinte au pluralisme et à l’indépendance de Radio France sur le terrain économique, il est vrai que le risque pour la radio publique n’est pas si grand que cela : difficile de porter atteinte à ce qui existe déjà si peu, qu’il s’agisse de France Inter, dont on peut parfois se demander à ce sujet s’il ne se moque pas du monde, où Dominique Seux, un homme de main de Bernard Arnault, monopolise dans la matinale la parole économique, ou de France Culture où sévissent plus souvent qu’à leur tour les voix enchanteresses de l’économie libérale, sans parler de France Info, qui donne la « parole aux patrons ». Mais ce n’est pas une raison pour se livrer au Cercle des économistes (macroniens). Au contraire : ça suffit !

Affaire à suivre, donc.


Jean Pérès


Annexes


La lettre du SNJ-CGT au CSA.


La réponse du CSA.

 
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Notes

[1Les Rencontres d’Aix sont le rendez-vous annuel, organisé par le Cercle des Économistes, où sont conviés divers conférenciers, en grande majorité libéraux, proches des milieux patronaux et de la macronie.

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