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Les effets de la polygamie sur un cerveau éditorial normand

par Denis Perais,

Précédant son confrère des Dernières Nouvelles d’Alsace (lire « Les effets de la polygamie sur le cerveau d’un éditorialiste »), l’éditorialiste de Paris-Normandie, Jean-Marie Gautier intitule son opus du 17 novembre 2005 « La polygamie en question » (sans point d’interrogation...). On se doute que si elle est en question, ce n’est pas seulement parce qu’il est légitime de s’y opposer en général...

L’entame de l’éditorial ne laisse aucune doute sur les raisons de l’intérêt soudain du commentateur : «  N’en déplaise à certains, il n’y a rien d’offensant, après les terribles émeutes des banlieues que nous venons de vivre, à s’interroger sur la polygamie ». Ce n’est donc par d’une critique de la polygamie qu’il s’agit, mais de son rôle dans la propagation des « terribles émeutes ».

Car il faut réagir, et plus que jamais « il faut s’interroger sur tout, inventorier les causes de ces nuits de feux et envisager des solutions. » L’invocation de la « complexité » est un confortable alibi : « Rien ne serait plus réducteur que de se contenter de limiter le tout à la crise de l’emploi. Derrière le chômage, élément majeur de la colère, de la rage, existent bien des sources d’inégalité allant de l’habitat à l’environnement social et éducatif en passant par la cellule familiale et le rôle des parents". Qui nous dira ce que veut dire « Derrière le chômage » ? A la cause principale, viendrait s’ajouter des causes secondaires ? Comme si la précarisation généralisée face à « l’habitat » et à « l’environnement social et éducatif » ne tirait pas d’abord sa « source » de l’extrême difficulté, pour toutes les familles paupérisées, de disposer de conditions d’existence acceptables, faute de travail ou faute de travail suffisamment rémunérateur. Comme si la précarité des conditions de vie était pour rien dans cet autre fléau qui émeut tant notre éditorialiste : « la démission de nombre d’entre eux [les parents], qui ne s’étonnent pas que leur progéniture traîne, désœuvrée, dans la nuit ». Des parents qui « ne s’étonnent pas » ? Comme si leur impuissance était l’effet de leur complaisance... Comme si le désœuvrement de leurs enfants leur était indifférent... Mais ne nous étonnons pas si en bon moraliste, Jean-Marie Gautier sait sans avoir à savoir...

.... Comme il sait, ne consultant que son propre cerveau et quelques oracles qu’il ne mentionne pas, en quoi la polygamie est un facteur aggravant : « S’il peut y avoir des problèmes partout, famille classique ou foyer monoparental, on conviendra que la polygamie avec plusieurs épouses et une ribambelle d’enfants engendre à tout le moins des difficultés de logement. Qu’elle peut compliquer l’équilibre affectif des enfants et créer un espace d’incompréhension entre famille vivant dans une organisation sociale décalée et souhaitant, par ailleurs, progresser dans une société aux lois et aux critères différents.  »

« On conviendra ». Quel est-ce « on » ? La réponse en fin d’article. Patience... Pourquoi « convenir » ? Sur la base de quelles analyses précises, chiffres sourcés ? Qu’importe l’hypothèse, puisqu’on dispose déjà de la réponse. A aucun moment, Jean-Marie Gautier n’emploie le conditionnel, accréditant donc la thèse que ces affirmations sont vérifiées et font autorité. Une véritable mystification.

Et Jean-Marie Gautier de poursuivre : « Il se trouve qu’en France la polygamie est interdite [ce qui est inexact puisqu’elle est autorisée à Mayotte] mais bizarrement très tolérée, alors qu’au nom du droit des femmes, elle doit être combattue.  » Tolérée par qui ? Par les éditorialistes qui découvrent son existence quand ils sont en panne d’explication ? Par celui qui invoque soudainement le droit des femmes dont le sort ne l’intéressait guère, du moins publiquement, avant les « terribles émeutes » ? Par celui qui ignore ou passe sous silence ce que prévoit la loi qui ne permet d’accorder le bénéfice du regroupement familial qu’à un seul conjoint et à ses enfants ? [1].

Et cette loi entraîne des conséquences non négligeables, ainsi que le relève Marina Da Silva dans Le Monde Diplomatique de novembre 2005 : « Les " autres épouses" et leurs enfants ne bénéficient plus, en règle générale, d’aucune protection », alors que ces mariages forcés « relèvent de pratiques coutumières ». Et de préciser : « La plupart d’entre eux ne sont pas légalement autorisés dans les pays d’origine, comme l’indique le guide pratique d’information de l’association Femmes contre les intégrismes » [2]. Faut-il considérer cette absence de protection en France comme une avancée du droit des femmes ? La question aurait pu au moins être posée puisqu’ « il faut s’interroger sur tout ».

De surcroît, plutôt que de s’interroger - puisqu’ « il faut s’interroger sur tout » - sur la validité de sources qu’il ne mentionne pas, Jean-Marie Gautier, à l’abri du pronom impersonnel, assène : « [...] on évalue à 30 000 le nombre de familles concernées et qu’elles ont en moyenne dix enfants  ». « On  » permet de franchir la frontière (grammaticale...) qui permet à « nous » de réfléchir : « Au nom de quoi, après ce qui vient de se passer, ne pourrions-nous pas, calmement, nous interroger sur la polygamie en France ? ». C’est en effet « calmement  » que la question a été soulevée par Hélène Carrère d’Encausse et divers porte-voix de la droite ! On pressent alors que ce calme éditorial n’est jamais que la couverture d’une débauche d’invectives.

Sous le prétexte d’une interrogation sans a priori, Jean-Marie Gautier ne fait que reprendre, sans les mentionner, les élucubrations de certains députés UMP, qui lui ont fourni le script de son éditorial. Dans l’article « La droite pointe du doigt la polygamie » paru le même jour, Pierre Cardo, député - maire UMP de Chanteloup-les-Vignes soutient que « les jeunes délinquants les plus difficiles dans sa commune sont "souvent issus de familles polygames" ou évidemment " l’image que le gosse peut avoir de l’autorité parentale est très dégradée", dans le cadre de la polygamie ». Bernard Accoyer, président du groupe UMP à l’Assemblée Nationale déplore : « Les pouvoirs publics se sont montrés " étrangement laxistes" avec la polygamie, qui " pose des problèmes de logement ". On ne peut pas vivre à plusieurs dizaines dans un appartement ». Quant à Gérard Larcher, ministre délégué à l’Emploi, le quotidien rappelle qu’il avait déclaré au Financial Times que la polygamie était « l’une des causes des violences urbaines ». Nous avons donc ici le "on" et le "nous".

Toutes les précautions prises par Jean-Marie Gautier - la pose méditative qu’il prend - n’étaient donc que cela : la version douce d’une stigmatisation opportune, un écho assourdi de déclarations politiques très orientées. A défaut de connaître les sources des assertions de l’éditorialiste, on connaît désormais la source de son inspiration, étrangère, bien sûr, à tout engagement partisan. Comme l’est toujours Paris Normandie...


Denis Perais

 
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Notes

[1Loi du 24 août 1993, article 30. Cette information figure dans le quotidien, le même jour mais à une autre page.

[2Marina Da Silva, « Ces Françaises victimes d’un droit personnel étranger », Le Monde Diplomatique, novembre 2005.

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