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Dans " La Lettre de Pénombre " n°34 (avril 2003)

Les "classements" dans la presse : un "populisme de marché"

L’association Pénombre - qui travaille sur le rôle des chiffres dans le débat public - s’est intéressée à l’appétit immodéré de la presse pour les palmarès et classements en tous genres. Ci-dessous le sommaire et quelques extraits de ce dossier de la Lettre de Pénombre n°34 (avril 2003) [1].

Comparaison n’est pas raison

 Editorial

" MAIS, QUI POUSSE à publier tant d’incessants palmarès ? Qui nous pousse à les lire ? Et, quel fructueux marché médiatique excite ainsi les éditeurs ? Classement des lycées, des villes, des hôpitaux, des auto-radios, des nations, des vedettes, des tribunaux. Le palmarès renvoie notamment à des souvenirs scolaires, triomphaux ou douloureux. Il résonne de la gloire des compétitions sportives. Mais, transposer, par exemple, aux lycées ou aux hôpitaux cette façon de " hiérarchiser les mérites " peut-il aider les citoyens ou même les pouvoirs publics à améliorer l’éducation et la santé ?
Que vous soyez informé des avantages du collège où vous allez inscrire vos enfants ou des qualités du téléviseur que vous allez acheter, soit ! Mais allez-vous déménager parce qu’on vous apprend que telle ville offre un mieux-vivre par rapport à celle où vous êtes ? Ou, irez-vous braquer votre prochaine banque en fonction de l’indulgence supposée du tribunal local ? (...)
Un palmarès soulève des questions techniques : comment synthétiser en une seule note des qualités a priori sans commune mesure, ramener à un classement unidimensionnel la diversité des choses ? Ne se pourrait-il pas que, selon la façon de procéder, le résultat soit très, très différent ? Et puis, est-on sûr de ce que veut vraiment dire le résultat ? Un fort taux de réussite au bac veut-il bien dire que l’enseignement de ce lycée est excellent ? ou bien, qu’il avait sélectionné à l’entrée les meilleurs élèves ? [2]
La question qui vient ensuite est : à quelle fin ce classement a-t-il été construit ? Il est souvent détourné pour d’autres usages. Les exemples abondent. En voici deux. Le ministère de l’Éducation avait établi des indicateurs de performance pour permettre aux équipes pédagogiques des lycées de réfléchir ; les parents en ont fait un critère de renommée pour tenter l’inscription dans le " meilleur " lycée possible. La direction des hôpitaux collationne des données pour orienter les financements hospitaliers (PMSI) ; un publiciste se les est fait communiquer pour établir un palmarès de la qualité des soins. Dans les deux cas, la technique avait ses limites, qui ont été franchies avec un renfort de publicité de la part de journaux à sensation.
Par delà la validité du calcul et la pertinence de l’usage (toutes deux souvent malmenées), d’où vient cet appétit de classements ? Le succès médiatique ne fait que constater un fait de culture. L’enfant regarde si son frère a plus de gâteau dans son assiette. Nous sommes fiers des médailles d’or de notre pays comme si nous étions pour quelque chose dans la performance de notre champion. Le mérite de celui qui a manqué la médaille de quelques centièmes de seconde est effacé. L’hôpital qui a eu quatre morts là où un autre, peut-être par chance, n’en a eu que trois passe pour mauvais, etc. Puéril ? peut-être ; mais, bien exploité ! "

1. La ville la plus...

 Qui veut noyer son chien...

En janvier 2003, Le Point (n°1385) tente de démontrer que les villes comptant le plus de fonctionnaires " se caractérisent par un faible dynamisme ", une commune étant " dynamique " si sa population a augmenté entre les deux derniers recensements. Trois semaines plus tôt, Le Point (n°1382) utilisait cette fois quatre critères pour répondre à la question " Ma ville est-elle dynamique ? " : l’évolution démographique, là aussi, mais de toute l’agglomération, et pas seulement de celle de la commune ; un " indice de vieillissement " ; un pourcentage d’ " attirance globale " ; et un pourcentage d’ " attirance des actifs ".
Si l’on croise les deux " palmarès ", il n’y a aucune corrélation...
 [3].

 Corrélation et causalité

2. Le pays le plus...

 Problème de synthèse de classements

 Développements sur le classement du développement

 La France : deuxième ou douzième sur quinze ?

 La santé, ça peut se mesurer...

" L’OMS a publié en l’an 2000 un classement des 191 pays du monde selon l’espérance de vie en bonne santé de leur population. En haut de l’échelle figure le Japon, avec 74,5 ans (pour une espérance de vie de 80,5 ans). La France est en troisième position avec 73,1 ans (pour une espérance de vie de 78 ans). (...)
Le problème réside donc, non dans la possibilité de mesure, mais dans l’absence de mesure. " (...)

3. Les hommes et les femmes les plus...

 Un palmarès des grands hommes européens ?

" SOUS le titre " Ce que pourrait être un panthéon des grands hommes européens ", le journal Le Monde du 6 mars 2003 produit trois palmarès. Nous nous proposons de commenter brièvement celui qui porte le n°1. Donc, celui qui est " en tête de ces palmarès " semble-t-il... Une question était posée à des ressortissants de six pays européens : " Si vous pouviez vous entretenir pendant une heure avec un personnage historique célèbre représentant l’identité européenne, qui choisiriez-vous ? " Il s’agissait d’une question ouverte, sans réponse suggérée.
Au classement qui résulte des réponses à cette question - classement que n’auront pas influencé les 44 % de non-réponses ! - Joschka Fischer et Gerhard Schröder se détachent. Suivent Charles de Gaulle, Tony Blair et Jacques Chirac devant... Napoléon et Winston Churchill. Jean-Paul II est huitième, à égalité avec Edmund Stoiber et Alexandre Kwasniewski. Parmi les huit " 11èmes ex aequo " figurent notamment Angela Merkel et Victor Hugo.(...)
Que conclure, en fait ? Peut-être ceci : l’article en question, qui couvre deux tiers de page, arrive certainement en bonne position au palmarès, établi sur la base du nombre de signes, des articles de la livraison du Monde datée du 6 mars 2003. Quant à prétendre à une place de choix au " panthéon " des sondages douteux, la concurrence risque d’être rude et les méthodes de mesure délicates à mettre au point. Peut-être faudrait-il organiser un sondage ? "

 Les chiffres, arbitres de la guerre

De la "discrimination" (dite) "positive" dans le recrutement des policiers, et de la façon dont Le Monde en rend compte [4].

Les palmarès, un business rentable,
une affaire sérieuse

" Comment peut-on expliquer l’inflation de palmarès publiés par la presse (des parlementaires, des villes, des régions, des lycées, des universités, des hôpitaux, et même des évêchés !) depuis une dizaine d’années ? (... On peut) faire le pari que leur multiplication est révélatrice de dynamiques socio-politiques décisives. Il y a en effet une parenté, un " air de famille " troublant entre tous ces classements, qui portent sur des univers a priori hétérogènes. C’est qu’ils promeuvent tous une posture consumériste dans des mondes jusqu’alors fortement autonomes, dominés par des professions puissantes (magistrats, enseignants, médecins, etc.) dont les principes d’action cardinaux étaient - et sont encore, heureusement ! - le dévouement, l’altruisme, l’individualisme, le secret professionnel, la prise en charge singulière ; ils véhiculent tous une conception marchande des services rendus par les professionnels, faisant planer le spectre d’une soumission croissante de leurs pratiques à des impératifs extra-professionnels, économiques et gestionnaires en particulier. (...)

Vers un populisme de marché ?

(...) Peut-être que l’essentiel n’est donc pas dans les effets, très nettement surestimés, des palmarès. Peut- être que leur importance réside d’abord dans leur capacité à capter et symboliser l’" air du temps ", celui de l’essor, avec la bénédiction de l’État, du " populisme de marché ". Celui-ci présente le marché comme le meilleur défenseur des intérêts des " petits gens " contre ceux des " gros " : le marché est censé leur redonner le pouvoir, jusqu’alors confisqué par les élites politiques, économiques, professionnelles, leur offrir toujours plus de choix et de potentialités. Derrière cette rhétorique enjôleuse, une transformation radicale de notre façon de concevoir les services publics est à l’œuvre : comme des marchandises qui s’échangent sur un marché. " (...)

(Lire tout le dossier sur le site de Pénombre.)

 
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Notes

[1Titraille et chapo d’Acrimed.

[2" Une perversion encore plus aberrante est la conséquence de la publication du classement (des classes préparatoires aux concours des grandes écoles) : des établissements refusent de présenter leurs élèves les moins performants à certains concours, pour accroître leur pourcentage de réussite !
Ces derniers ont la ressource de se présenter en candidats libres, mais que de formalités en plus, alors que c’était si simple par l’intermédiaire du lycée !
Ainsi, leurs échecs éventuels ne pèseront pas dans le taux réussite de l’établissement. Au vu de ces pratiques, on mesure à quel point les chiffres publiés perdent toute signification ! "
Jeux d’esprit et énigmes mathématiques. Comptes de la vie ordinaire, p. 95, d’Elisabeth Busser et Gilles Cohen.
(Note d’Acrimed - ce texte figure à la fin du dossier de cette Lettre de Pénombre).

[3Acrimed.

[4Acrimed.

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