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Les abonnés de l’Obs, chasse gardée de Jean Daniel

par Patrick Lemaire,

Les abonnés du Nouvel Observateur ont reçu il y quelques semaines un courrier signé du " Directeur des abonnements " ainsi libellé :

" Chère Madame, Cher Monsieur,
Si, grâce à votre fidélité à notre hebdo, vous êtes devenu familier de la liberté d’esprit dont fait preuve Jean Daniel, fondateur-directeur du
Nouvel Observateur, vous savez déjà peut-être que son dernier livre, " La Prison juive ", manifeste une audace dérangeante et suscite maints débats autour de nous. "

Après avoir consciencieusement fait la " retape " du livre, en énumérant quelques uns de ses indispensables apports à la pensée contemporaine, le courrier continue :
" Vous avez sans doute pu lire dans la presse les nombreuses réactions que ce livre a suscitées lors de sa parution. En voici, pour mémoire, quelques-unes ". Etc.

Les commentaires sont libres, mais les faits sont sacrés, enseigne-t-on (encore) dans les écoles de journalisme. Aussi, le directeur des abonnements de l’Obs en vient aux faits :
" Si vous ne vous êtes pas encore procuré cet ouvrage remarquable dédicacé par Jean Daniel, nous vous proposons aujourd’hui de l’acquérir, au prix exceptionnel de 16,90 euros TTC au lieu de 21,90 euros TTC prix public et nous vous offrons les frais de port. "

C’est VSD, sous la signature de Guy Birenbaum [1] qui, le 21 octobre 2004, reproduit ce " mailing ". Il rappelle que la " charte de déontologie " signée il y a quelques mois par les dirigeants du Nouvel Obs, Claude Perdriel et Jean Daniel, et par le président de la Société des rédacteurs, stipule :

" Les œuvres des collaborateurs sont traitées dans le journal dans un cadre normalisé sous une forme concise et informative comprenant la mention de l’appartenance de l’auteur de la rédaction. " La " charte " prévoit aussi la séparation entre espace rédactionnel et espace publicitaire ou promotionnel.

Rien n’interdit à l’un des signataires, Jean Daniel, d’utiliser le service abonnement pour écouler son livre... Une " audace dérangeante " - comme l’écrit le " directeur des abonnements " - qui donne toute sa crédibilité à cette grande profession de foi déontologique [2]...

L’épisode, déjà cocasse, a une suite. Le site Internet du Nouvel Observateur propose très régulièrement des " forums " permettant de dialoguer avec telle ou telle personnalité. Le 22 octobre, c’est Guy Birenbaum qui devait s’y coller. Mais l’Obs a préféré annuler. Le site de l’Obs, rapporte Birenbaum (VSD du 28 octobre), a publié la brève suivante :

" Un forum était prévu vendredi 22 octobre avec Guy Birenbaum, chroniqueur, auteur de Nos délits d’initiés, mes soupçons de citoyen (Folio). Il a été annulé par Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, à la suite d’un article de Birenbaum paru dans VSD et consacré au Nouvel Obs. Nous prions les internautes, qui avaient commencé à poser des questions, de bien vouloir nous excuser. "

Et Birenbaum interroge : " S’agit-il du même Joffrin qui a lancé un appel à des états généraux du journalisme ? " [3].

Ce n’est pas fini. L’info ayant circulé, des " internautes " ne se privent pas d’interpeller les invités d’autres " forums " sur cette censure.

" Savez-vous que Laurent Joffrin, le directeur de l’Obs, a annulé d’autorité un forum prévu vendredi dernier avec Guy Birenbaum sous prétexte que celui-ci avait égratigné le journal dans VSD ? Que pensez-vous de cet acte de censure ? " (Forum avec Robert Ménard, le 22 octobre ; Forum avec Christophe Girard, le 26 octobre).
Comme à son habitude, pour défendre la liberté d’expression, le patron de Reporters sans frontières , Robert Ménard, est impitoyable :
" Je ne connais pas cette affaire. Mais je connais Laurent Joffrin et si je ne suis pas toujours d’accord avec lui, j’ai la plus grand estime pour le journaliste et l’homme qu’il est. "

Dans son Appel " Pour des Etats Généraux
du journalisme "
, Laurent Joffrin, directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, écrivait :
" La dérive en cours ne doit pas rester sans réaction. L’indépendance ne s’octroie pas ; elle se gagne par l’effort patient de rédactions décidées à défendre leur intégrité. Parmi d’autres journaux, à la suite d’un accord entre son équipe et sa direction, Le Nouvel Observateur s’est doté d’une charte définissant les droits et les devoirs des journalistes et des actionnaires. "

C’était sans compter l’" audace dérangeante " de Jean Daniel...

 
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Notes

[1Auteur de Nos délits d’initiés, mes soupçons de citoyen (Folio, 2003).

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