" Jean Daniel reçoit le Prix Prince-des-Asturies ", annonce Le Monde le 2 juillet 2004 (édition datée du 3). L’article reprend une dépêche AFP, il occupe une demie-colonne de la page “Médias”. Le " prix Prince-des-Asturies 2004 de la communication et des humanités ", qui distingue le " fondateur et directeur du magazine Le Nouvel Observateur ", est " un des plus prestigieux d’Espagne ", est-il précisé d’emblée.
A l’heure où nous mettons en ligne, le 21 juillet, soit près de trois semaines après la publication de l’article du Monde, celui-ci figure toujours dans la rubrique “Médias” du site Internet du Monde, en accès gratuit [1].
Ce que le lecteur ne sait peut-être pas, c’est que Le Monde et Le Nouvel Observateur sont actionnaires l’un de l’autre (à hauteur de 6 % pour Le Monde dans L’Obs, et de 5,5 % pour L’Obs dans Le Monde).
Dans son article élogieux sur le directeur de L’Obs, Le Monde n’en pipe mot, ni dans l’édition papier, ni dans l’édition électronique [2].
Pourtant, les " Règles et usages " que le quotidien s’est données (publiées en 2002 dans Le Style du Monde) édictent :
" Lorsqu’une entreprise actionnaire du Monde est citée dans un article du journal, cette particularité est signalée comme telle soit dans le chapô de l’article, soit dans le corps, soit en fenêtre. "
Complément du 5 novembre 2004.
Quelques jours après la première publication de cet article ici-même, le Nouvel Obs mettait en ligne sur son site (" Le Journal permanent ") un texte sobrement intitulé " Au sujet du Prix “Prince des Asturies” ", l’annonçant par un lien dès la page d’accueil, comme les (autres) informations essentielles de ce " Journal permanent " [3].
" Le gouvernement de la province des Asturies en Espagne confirme que les huit lauréats du Prix " Prince des Asturies " recevront leurs titres et lauriers le 22 octobre prochain dans la ville d’Oviedo, capitale des Asturies, des mains du Prince héritier Felipe de Bourbon, héritier du trône d’Espagne ", commence cet " Au sujet ". Sachant que l’attribution du Prix à Jean Daniel avait été proclamée par l’Obs, son site, leur actionnaire Le Monde, et le site de ce dernier trois semaines durant, il ne manquait plus que la " confirmation " de la date de la cérémonie pour justifier un nouveau papier, un mois après l’événement...
Les paragraphes suivants passent laborieusement en revue les éminences partie prenante [4], comme s’il était nécessaire d’asséner - un mois après, rappelons-le encore - combien est prestigieuse la distinction décernée au directeur de l’Obs.
Tout ceci est plutôt ridicule, mais la fin du texte recèle sans doute l’essentiel :
" Comme il est d’usage, l’annonce de l’attribution des huit prix " Prince des Asturies " a fait l’objet des commentaires publiés à la une de tous les journaux espagnols. Mais par la suite, la presse audiovisuelle et écrite du Portugal, de l’Italie, de la Grèce et de sept pays d’Amérique latine, notamment le Mexique et le Brésil, ont largement célébré l’événement.
En France, singulièrement, le prix n’est pas connu, et il ne donne pas lieu aux échos que l’on trouve naturel de rencontrer ailleurs, encore qu’il soit parfois salué le 22 octobre comme un événement mondain, du fait de la présence des souverains espagnols et de leurs enfants princiers. Mais cette fois, le fait que le lauréat soit pour la première un Français peut ne pas laisser indifférent... "
Amoureux de la belle ouvrage, on saluera la double négation finale, tout en retenant l’essentiel : le silence des médias français est inexplicable.
Ce texte mis en ligne sur le site de l’Obs quelques jours après notre article, ressemble beaucoup à une mise au point, voire à une réponse. Mais, très vite, il n’a plus été accessible depuis la page d’accueil (les pratiques de l’Obs diffèrent décidément de celles du Monde...). Dans les archives du site, où gît désormais ce morceau de bravoure, il est surmonté de la mention " Semaine du jeudi 22 juillet 2004 - n°2072 ", ce qui laisse croire que l’édition papier du Nouvel Observateur l’avait publié. Mais l’article " Au sujet du Prix “Prince des Asturies” " ne figure pas dans Le Nouvel Observateur du 22 juillet 2004. Le suspense atteint son comble : les informations décisives délivrées par l’Obs dans cet article n’étaient-elles pas dignes d’être livrées aux nombreux lecteurs du Nouvel Observateur ?
Las, il faut s’en remettre au Courrier des lecteurs. " Magnifique la récompense que vous avez reçue le 30 juin ", s’exclame une lectrice ce même 22 juillet. Mais Le Nouvel Obs a de la suite dans les idées. Son fugitif article sur Internet fin juillet suggérait que le prix était " parfois salué le 22 octobre comme un événement mondain " ? Ca tombe bien : le 4 novembre, le Courrier des lecteurs a sélectionné une lettre dont l’auteur écrit : " Je me réjouis d’apprendre que votre éditorialiste (Jean Daniel) est lauréat du prix Prince des Asturies. " Quatre mois après, il n’est jamais trop tard pour bien faire ! " Mais, poursuit ce lecteur attentif, comment expliquer que la “grande” presse ait passé cet événement sous silence ! ".
Encore un affront pour Le Monde !