Accueil > Critiques > (...) > 2002 : Le Forum social européen de Florence

Les médias et le Forum social européen

Le Parisien au coeur du microcosme politique français

par Tonio Gatto,

"Le Parisien" a dépêché une " envoyée spéciale ". A Florence, elle n’a croisé que des visages parisiens. Sans doute parce que les musées étaient fermés.

Le Parisien, vendredi 8 novembre

A la " Une ", la liste des 90 commissariats menacés de disparition ; la Route du Rhum.

3 pages pour la rubrique politique, représentant 2 p 1/4 en texte, le reste en publicités.

Sur une page, un premier article occupe un peu plus de la moitié supérieure : " Berlusconi adore Chirac et Raffarin " sur le sommet franco-italien. Et sous cette bluette amoureuse, un premier article sur le Forum Social Européen.

Surtitré " Antimondialisation " (surtitre qui sera conservé pour tous les articles sur Florence pendant ces 4 jours) et titré " La gauche se presse à Florence ", cet article donne le ton : sur les 5 articles et interview que Le Parisien consacre au FSE du 8 au 11 novembre, 4 seront essentiellement axés sur les hommes et partis politiques français. Le Forum social devient un Forum politique et le Forum européen devient un Forum français.

L’article du jour est signé par une journaliste du service politique, qui du 9 au 11 est " envoyée spéciale " (l’article du 8 est donc a contrario réalisé depuis Paris, par téléphone). Sur les 2.900 signes de cet article hors titraille, 740 traitent " purement " du Forum, tout le reste, soit 74,5%, traitent soit uniquement des Français à Florence, soit du Forum vu par les Français : Christophe Aguiton (Attac), Alain Krivine (LCR), François Hollande…

Une illustration sur 2 colonnes montre François Hollande et José Bové, avec au centre Bernard Cassen (Attac), légendée : " François Hollande dialogue avec José Bové. Au centre : Bernard Cassen, le président d’Attac. Un début de retrouvailles. "

On voit que Florence vaut le déplacement et mérite que Le Parisien y envoie de toute urgence une envoyée spéciale.

Mais cette édition du 8 novembre nous réserve une surprise supplémentaire, destinée à " équilibrer " sans doute la part trop belle (…) accordée à François Hollande. Un encadré " Trois questions à… " pour une mini-interview (860 signes) de Serge Lepeltier, sénateur UMP du Cher. Celui-ci est interrogé parce qu’en janvier 2002 il était à Porto Alegre - où il annonce d’ailleurs qu’il retournera.

Comme cette interview est la seule liée au FSE dans les 4 numéros du Parisien en rendant compte, le quotidien aura choisi de mettre ainsi en valeur quelqu’un… qui n’allait pas à Florence (" parce que restreindre le problème à l’Europe est trop limitatif ", explique-t-il).

Le Parisien, samedi 9 novembre 2002

A la " Une ", le match de football PSG-Sochaux en sujet principal, la controverse sur les publicités représentant des hommes nus au-dessus.

3 pages pour la rubrique politique, 2 - en texte, dont 1 pleine " internationale " (Irak - Chine et UE-Turquie)

Article de 1011 signes intitulé " Le rendez-vous de Saint-Denis ", qui annonce que le deuxième FSE aura lieu l’an prochain en France à Saint-Denis (note personnelle : le siège du Parisien se trouvant à Saint-Ouen, donc tout près, ça leur permettra de couvrir l’événement à moindres frais…). Le papier annonce que " plus de 200 000 personnes sont attendues à la grande manifestation contre la guerre en Irak " (comme l’indiquera l’édition du jour suivant, elles seront plus d’un demi million).

L’Europe de française qu’elle était (et demeure) s’est déplacée en région parisienne et l’actualité se conjugue d’abord au futur régional. Et, outre le futur Forum en France, il est question des " nombreuses personnalités de gauche " qui devraient participer à la manifestation du jour, " les socialistes Henri Emmanuelli et Julien Dray, la communiste Marie-George Buffet, la Verte Francine Bavay ou l’ex-candidat à la présidentielle de la Ligue communiste révolutionnaire, Olivier Besancenot ". " Quelques " personnalités sont devenue " nombreuses "… mais tellement significatives d’un Forum … social résumé dans un " Who’s who ".

Le Parisien, dimanche 10 novembre 2002

A la " Une ", le match de football PSG-Sochaux de la veille.

2 pages pour la rubrique politique, dont 1 pleine sur Giscard et la polémique sur l’entrée ou non de la Turquie dans l’Union européenne.

Un article de 1.013 signes sur une colonne en haut à droite (lui donnant l’allure d’une brève un peu étirée), titré " Manif monstre contre la guerre ", indique qu’elle a rassemblé " plus de 500 000 personnes ".

421 signes (41,6% de l’article) portent sur la présence de " quelques dizaines de Français ", de Robert Hue et Marie-George Buffet et leur " maigres troupes " " talonnées par celles des trotskistes de la Ligue communiste révolutionnaire " et loin derrière par les socialistes (4) qui " ont presque l’air de marginaux ". Les " nombreuses personnalités de gauche " françaises annoncées la veille sont devenues " quelques dizaines de Français " dépeints comme passablement ridicules.

Le Parisien, lundi 11 novembre 2002

A la " Une ", hommage aux 68 derniers poilus ; la Route du Rhum.

2 pages pour la rubrique politique, dont 1 en texte.

Toujours surtitré " Antimondialisation ", l’article du 11 novembre (une bonne demi-page) sur Florence titre sur toute la largeur de la page " Quand les socialistes rament… " (entendre : les socialistes français), au-dessus d’un article de politique intérieure d’une petite demi-page, " Hollande et le PS d’en bas ".

Cette fois, l’article (3.780 signes hors titraille) ne traite le FSE que sous l’angle français, et plus précisément par le prisme des rivalités internes au PS, plus des commentaires sur les retrouvailles entre Julien Dray et " ses anciens copains " de la LCR aujourd’hui dirigeants d’Attac (Christophe Aguiton et Pierre Khalfa) ou les commentaires ironiques d’Olivier Besancenot sur la présence des socialistes.

Il n’est pratiquement jamais question dans cet article du fond du FSE, hormis une précision sémantique sur ces politiques "qui veulent être reconnus, puisque c’est le nouveau terme consacré, comme d’authentiques ’altermondialistes’".

Le papier ne revient pas non plus sur la réussite de la manifestation pacifiste du samedi 9, déjà évoquée dans l’édition du dimanche (cela alors que Le Parisien intègre parfois des éléments du dimanche dans ses articles du lundi, ce qui outre une certaine économie peut s’expliquer par le fait que l’édition dominicale, moins vendue qu’en semaine, est de plus exclusivement parisienne, alors que sous le titre Aujourd’hui en France, Le Parisien est diffusé nationalement le reste de la semaine).

Aucun élément chiffré ne permet donc au lecteur du lundi qui n’aurait pas lu l’édition de la veille de se représenter le succès de la manifestation de masse de Florence, hormis le chapeau, qui parle d’une " gigantesque manifestation " pour se focaliser ensuite sur les " quelques ténors du PS ".

Tout le paradoxe de l’angle choisi par Le Parisien pendant ces 4 jours est résumé dans le décalage entre l’article du 11 novembre et son chapeau : de cette " gigantesque manifestation " (qui y était, pourquoi, qu’ont en commun ou non les manifestants etc.), tout ce qu’en saura le lecteur du Parisien c’est qu’elle a été une occasion de rivalité entre hommes (ou femmes) de gauche français…

La photo (3 colonnes de largeur sur les 5 de l’article) est ainsi légendée :
"FLORENCE (ITALIE), HIER. Henri Emmanuelli (à gauche) et Jean-Luc Mélenchon se sont déplacés à Florence au nom de leur courant socialiste, Nouveau Monde. "

 
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