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Le Groupe Hersant : un empire à deux têtes (2002)

par Acacio Calisto,

Publié ici avec l’accord de son auteur, cet article est paru dans le magazine syndical M-magazine, N° 6 • 11 avril 2002, publié par Comédia. Certaines données devraient être actualisées. (Acrimed).

Le groupe Hersant est désormais installé en Suisse romande. Que représente-t-il vraiment ? Même s’il est difficile d’obtenir des informations, étant donné la culture du secret qui règne dans ce genre d’entreprise, observons de plus près ses positions et ses méthodes. Après avoir racheté Filanosa SA (La Côte, etc.) l’été dernier, le groupe France-Antilles (Hersant) s’est emparé de la SNP, la société éditrice de L’Impartial et de L’Express (voir m-magazine N° 5). Qui se cache derrière la société France-Antilles ? Que recouvre l’empire Hersant ?

Une division pour contourner la loi
Le groupe Hersant est « l’œuvre » de Robert Hersant (1920-1996), dit le « papivore » à cause de son appétit insatiable pour l’achat de journaux et de périodiques. Il explique lui-même ses objectifs de recherche de position dominante : « Bien sûr, depuis le début, je ne fais pas un journal, je fais des journaux, et je continuerai à faire des journaux. C’est la même chose pour moi que n’importe quel chef d’entreprise : la finalité d’une entreprise au plan industriel, c’est son développement, et la stagnation c’est le commencement de la fin [1]. » Cette manière de faire est toujours appliquée, après la mort de Robert Hersant, et après la division en deux entités juridiques distinctes du groupe Hersant (la Socpresse et France-Antilles). En 1985, cette opération est menée afin de contourner la loi sur la concentration de la presse (loi Fillioud-Mauroy). En réalité, il s’agit d’une fausse division pour mieux régner dans le monde de la communication écrite, alors que ce groupe contrôle déjà 38 % de la presse nationale française et un cinquième de la presse régionale.

Fils de Robert Hersant et dirigeant actuel du groupe France- Antilles, Philippe Hersant poursuit les mêmes buts que son père, mais d’une façon moins médiatique. Il a été formé à bonne école en passant par tous les postes d’un quotidien (de la rédaction à l’imprimerie) avant que son père ne lui confie la direction de Centre-Presse (quotidien régional du Massif central). Il a fait ensuite un « stage » à la tête du quotidien France-Antilles avant de devenir en 1985 le PDG de la société du même nom. Le nouveau patron de SNP connaît les méthodes d’implantation du groupe, sans se soucier des frontières, des conditions de travail ou du sort de celles et ceux qu’il emploie.

Synergies franco-suisses
Dès la deuxième moitié des années 1980, le groupe Hersant joue sur deux tableaux : la Socpresse et France-Antilles (cf. tableau). Cette dernière contrôle des entreprises se spécialisant dans l’édition de journaux régionaux en France, dans les départements d’outre-mer et en Suisse. Certaines de ses entreprises possèdent des filiales actives dans les domaines de l’affichage, des journaux gratuits, de l’imprimerie de labeur, des éditions et des arts graphiques en général. Etant donné le caractère familial de cette société, les comptes ne sont pas accessibles. Ce groupe pourra maintenant jouer ses cartes des deux côtés de la frontière franco-suisse. En effet, Philippe Hersant pourra très rapidement faire jouer les « synergies » entre les entreprises des deux branches du groupe Hersant (les différentes publications en Rhône-Alpes, en Savoie, en Franche-Comté ou en Bourgogne) et les entreprises contrôlées à présent sur sol suisse, pour concentrer la production là où elle sera la plus rentable. Le groupe Socpresse, quant à lui, est plus important avec environ 7000 salarié•e•s, un chiffre d’affaires estimé à 7,7 milliards de FF (environ 1,93 milliard de francs suisses) en 2000 et un titre phare très rentable qu’est Le Figaro. Pourtant, ce groupe est fortement endetté, à hauteur de 2,6 milliards de FF en 2000. D’où l’entrée dans le capital, le 30 janvier dernier, du groupe Dassault, avionneur et marchand d’armes.

Avec le marchand d’armes Dassault
Parallèlement à une augmentation du capital, l’ensemble des héritiers de la famille Hersant a conclu une cession de 30% des actions de la Socpresse au Groupe industriel Marcel Dassault (GIMD). Le président du GIMD, Serge Dassault, est ainsi entré au conseil de surveillance de la Socpresse, un rêve qu’il caressait depuis des années. Il n’est en effet pas un nouveau venu dans le monde des médias. Il a été lui-même rédacteur en chef du magazine Jours de France, lancé par son père et il est propriétaire de Valeurs actuelles, du Journal des finances et de Spectacle du monde. Il possède par ailleurs des parts dans les radios Europe1 et BFM.(Le Monde, 01.02.2002). D’autre part, rappelons que Serge Dassault a racheté en juillet 2001 par le biais de la Société de presse de l’Ile-de-France, dont il est actionnaire majoritaire, la Société d’édition de médias franciliens, appartenant au groupe France-Antilles. Cette société détient Le Républicain de l’Essonne, Toutes les nouvelles de Versailles et La Gazette du Val-d’Oise et elle possède une imprimerie à Evry. Par ailleurs, Serge Dassault est maire RPR de Corbeil-Essonnes et se représente aux législatives de juin 2002. Mais ces titres ne lui suffisent pas car en 1997, lorsqu’il a perdu la course à la reprise de L’Express, il a déclaré sur LCI qu’il voulait « avoir un journal ou un hebdomadaire pour exprimer [son] opinion et pour [...] répondre à quelques journalistes qui ont écrit de façon pas très agréable » !

Fini le temps de la négociation ?
Aux dires des connaisseurs du groupe Hersant, le magnat de presse a toujours acheté une certaine « paix » dans ses entreprises en négociant avec le Syndicat du Livre-CGT. Depuis quelques années, apparemment, le ton a nettement changé. Les fermetures d’imprimeries dont les machines sont obsolètes, la construction de nouveaux sites plus rentables (imprimeries de Rouen et du Havre ; imprimeries sortant des titres du groupe Amaury comme L’Equipe et Aujourd’hui  ; imprimeries de la Guadeloupe et de la Martinique), les rapprochements et restructurations dans certains titres (Le Progrès, Le Dauphiné Libéré, etc.) ont pour conséquence des plans sociaux et des licenciements secs (autour de 500 postes sont visés dans la holding Delaroche ; 10 salarié•e•s à Lyon Figaro  ; etc.). La résistance commence cependant à s’organiser. Les ouvriers qui impriment le quotidien France-Antilles en Martinique ont fait grève au début de cette année.

Face à cette nouvelle phase dans la concentration de la presse en Suisse romande et en France voisine, face à ce que représentent les empires de la taille du groupe Hersant (ou Edipresse), il faut créer des espaces de solidarité entre l’ensemble des salarié•e•s de ces groupes, pour mieux défendre leurs intérêts, en terme de conditions de travail et de salaire, de respect des conventions collectives, etc. Mais il est également nécessaire de développer une position syndicale au sujet de ce que représente l’établissement de telles positions dominantes dans le monde de la presse et des médias.

Acacio Calisto

Lire, ici même : « Le Groupe Hersant : l’étendue de l’empire »


Derniers développements

En 2004 la Socpresse étant dans l’incapacité de rembourser Dassault, ce dernier a pu reprendre l’essentiel des actions détenues par les héritiers Hersant, et passer de 30 à 82 % du capital. Un seul membre de la famille, Aude Jacques-Ruettard, domiciliée aux Etats-Unis, a conservé ses parts, soit 13% ; elle est représentée au conseil d’administration réformé par Serge Dassault dès le début de juillet.

Nouveau président, Serge Dassault est dorénavant à la tête d’un empire d’environ 80 titres de presse.

 Lire notamment « Dassault s’empare de l’empire Hersant : premières réactions »

Le groupe France-Antilles ne faisait pas partie de la transaction si rapidement menée par Dassault, et continue à être dirigé par Philippe Hersant.

 Lire (à paraître) : « Ce qu’il reste de l’empire Hersant : France Antillles »

Daniel Sauvaget
(10-08-2004)

 
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Notes

[11. Cf. Patrick et Philippe Chastenet, Citizen Hersant, De Pétain à Mitterand, histoire d’un empereur de la presse, Paris, Seuil, 1998, p. 398.

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