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Face à l’extrême droite : l’urgence d’informer sans complaisance

Nous relayons ce communiqué de l’Ajar, de l’AJL et de Prenons la Une (24 juin).

Après un score inédit du Rassemblement national (RN) aux élections européennes, une prise de conscience urgente doit s’imposer dans les rédactions. Nous, l’AJAR, l’AJL et PLU, souhaitons alerter sur les responsabilités de notre profession face à la montée de l’extrême droite, à la veille des élections législatives anticipées.

De CNews à Europe 1, en passant par le Journal du Dimanche, les médias Bolloré promeuvent les idées racistes, sexistes, LGBTIphobes et xénophobes de l’extrême droite. Mais celles-ci ont déjà infusé dans le reste de la sphère médiatique.

Par leur manière de cadrer les débats, de faire de l’islam, de l’immigration et de l’insécurité des thèmes centraux des journaux télé ou radio, de nombreux médias ont participé à banaliser l’idéologie raciste du RN. Ils ont également joué un rôle dans la dédiabolisation des dirigeant·es du parti, comme le rappelle l’observatoire des médias Acrimed. En plus de la surreprésentation des personnalités politiques d’extrême droite, cette normalisation passe par les invité·es, choisi·es pour leurs idées réactionnaires, comme l’illustre la consigne récente de BFMTV d’accueillir davantage d’éditorialistes de « droite et droite + ». Un traitement diamétralement opposé à celui réservé à la gauche, invisibilisée ou diabolisée.

En organisant fin mai un débat entre la tête de liste du RN, Jordan Bardella, et le chef du gouvernement, Gabriel Attal, France 2 a installé le parti d’extrême droite comme la seule opposition à la majorité présidentielle. Présenté comme « Le duel de la jeune génération » par France 2, ce débat aurait dû soulever des interrogations sur sa légitimité et ses conséquences sur une vie politique déjà imprégnée de discours stigmatisants envers les personnes minorisées.

Des médias font le choix de traiter les politiques du RN en personnalités comme les autres : du « bon vivant, fin gourmet » Jordan Bardella chez Paris Match en 2020 à France Inter demandant à Marine Le Pen son « premier fou rire de campagne » en 2022. Cette « peopolisation », une manière inconséquente de couvrir la politique, met de côté le fond : le programme de l’extrême droite et ses dangers.

Si le RN a réussi à lisser son image, son idéologie n’a pas changé. Ces derniers mois, des député·es RN ont, entre autres, voté contre la constitutionnalisation de l’IVG, pour la loi immigration introduisant la « préférence nationale » dans l’accès à la protection sociale, pour limiter l’accès aux transitions médicales et sociales pour les mineurs trans, etc.

En 2023, le RN a créé une association parlementaire pour « contrer le poison wokiste », la « propagande LGBT » à l’école, ou la « menace transgenre » dans le sport féminin. En 2019, le RN s’était déjà opposé à une résolution visant à interdire les discours de haine envers les personnes LGBT en Europe. Au soir des élections européennes, des membres du GUD, un groupuscule néofasciste aux nombreux liens avec le RN, ont agressé physiquement un homme gay. L’un d’eux aurait déclaré en garde à vue : « Vivement dans trois semaines, on pourra casser du PD autant qu’on veut ». Cette actualité rappelle les liens idéologiques étroits de l’extrême droite avec des groupuscules violents.

Notre déontologie de journalistes nous oblige à remettre en contexte et à questionner les discours anti-immigration, la remise en cause des droits fondamentaux, les théories racistes, homophobes, transphobes et sexistes de ce parti, qui compte parmi ses fondateurs un ancien de la Waffen SS et un membre de l’OAS (organisation paramilitaire d’extrême droite qui menait des attaques violentes en Algérie pour y maintenir la colonisation).

Trop rares sont les médias à traiter le RN comme une force politique à part, et à enquêter, comme StreetPress, Libération, ou encore Le Monde, sur leurs liens avec des groupuscules identitaires violents ou des régimes autoritaires comme la Russie. Clair sur sa ligne vis-à-vis de ce parti, Mediapart a réaffirmé sa position le 11 juin en rappelant : « Nous enquêtons sur leur financement et leur éthique. Mais nous ne leur ouvrons pas nos colonnes pour des interviews qui banalisent leurs paroles. »

La parole des personnes racisées, étrangères, LGBTQIA+, handicapées et issues des classes populaires, qui seraient directement touchées par l’arrivée au pouvoir du RN, manque toujours dans les médias et doit y trouver plus de place. Nos angles doivent davantage prendre en compte leurs situations spécifiques face aux risques posés par l’extrême droite.

Nous appelons aujourd’hui nos consœurs et confrères à se mobiliser pour produire une information rigoureuse et sans complaisance, à la hauteur des enjeux démocratiques de ces élections législatives. Il est temps, pour les rédactions, de repenser leur manière de faire du journalisme politique, de sortir des petites phrases et des guerres de pouvoir. De réinvestir l’enquête pour regarder derrière les discours de surface. De se former d’urgence aux problématiques de racisme et de discriminations. Il est aussi l’heure de s’interroger sur le manque de diversité dans les profils composant les rédactions, qui se reflète dans les couvertures médiatiques. L’AJAR, l’AJL et PLU se tiennent à disposition pour apporter leur éclairage et mener des formations auprès des médias volontaires.

Il y a urgence. Notre responsabilité et notre poids sur l’opinion publique nous obligent.


AJAR (Association des journalistes antiracistes et racisé·e·es), PLU (Prenons la Une), AJL (Association des journalistes lesbiennes, gays, bi·e·s, trans et intersexes), le 24 juin 2024.

 
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