Nous avons relayé ici le texte commun d’Ajar, de l’AJL et de Prenons la Une (« Face à l’extrême droite : l’urgence d’informer sans complaisance »), et là le communiqué du SNJ-CGT contre « la banalisation de l’extrême droite et [la] stigmatisation effrénée des partis de gauche ». D’autres prises de position, au sein des rédactions, se sont multipliées depuis.
Le 26 juin, l’intersyndicale SNJ-CFDT Journalistes de Ouest-France proteste contre un édito de Jeanne-Emmanuelle Hutin : « Ce texte ne nous représente pas. Il n’est pas à la hauteur des enjeux. Pire, il crée de la confusion. » Et de poursuivre :
Le lecteur comprendra que ce texte appelle à voter pour la majorité présidentielle. Afficher ainsi sa préférence, à la veille d’un premier tour d’une élection aussi cruciale, ne correspond pas à la tradition d’Ouest-France. Cet éditorial survient après d’autres et tous minimisent la menace du Rassemblement national, en la comparant à celle que pourrait constituer le Nouveau Front populaire. Nous rappelons qu’il est dangereux de placer sur le même plan le NFP et le RN.
Sur X, l’intersyndicale complète en relayant « un texte rédigé spontanément par un collectif d’une trentaine de journalistes de plusieurs services et rédactions d’Ouest-France » :
[…] Ces derniers jours, au moins deux éditoriaux ont laissé entendre une équivalence entre la menace du Rassemblement national d’une part et celle que constituerait le Nouveau Front populaire de l’autre. […] Si le débat d’idées doit avoir lieu entre les différentes propositions qui sont faites aux électrices et électeurs et que le journal peut exprimer ses inclinaisons ou ses critiques sur tel ou tel programme, il est irresponsable de laisser entendre que le NFP et le RN représenteraient un danger de même niveau. […] Nous demandons donc au journal de ne pas entretenir cette confusion et d’affirmer clairement que le RN n’est pas un parti comme les autres.
Au même moment, La Lettre indique qu’à La Tribune, la SDJ « s’est désolidarisée de la publication d’un entretien du neuropsychiatre Boris Cyrulnik dénonçant une complicité entre LFI et le RN sous le titre "Mélenchon, c’est l’extrême droite" » (le titre a ensuite été modifié). Des remous aussi au sein du Parisien : toujours selon La Lettre, « les éditos renvoyant dos à dos les "extrêmes" suscitent les critiques des syndicats ». Ou encore au Figaro, cette fois contre les prises de position du directeur des rédactions Alexis Brézet, comme le documente Arrêt sur images (3/07).
Dans le groupe EBRA, c’est un édito de Sébastien Georges, rédacteur en chef du Républicain Lorrain, de Vosges Matin et de L’Est Républicain, qui est ciblé par un communiqué des sections SNJ du groupe :
Pas d’appel au barrage républicain – on n’en n’attendait pas tant– mais le choix de la « neutralité » qui semble d’ores et déjà acté à travers cet éditorial ne manque pas d’interroger. Sous la plume de Sébastien Georges, il n’est nulle part écrit le terme extrême droite, et ça ce n’est déjà plus neutre. A quel moment la neutralité devient complaisance ? D’un côté il y aurait donc un « rassemblement de forces hétéroclites ». De l’autre, un « parti que de nombreux Français considèrent comme républicain », mais dont les « approches et analyses peuvent être contestables » (ouf). […] Rien d’étonnant de la part de ce rédacteur en chef des journaux de l’Est, qui avait asséné lors du CSE de juin de L’Est Républicain, devant des élus médusés : « Par respect pour nos lecteurs, nous n’avons aucun intérêt à stigmatiser un parti plutôt qu’un autre ». Dans la période, se contenter d’observer la catastrophe qui arrive, et de compter les points, pour ne pas risquer de froisser une partie de notre lectorat, est une faute. Au-delà de ne pas être du tout à la hauteur des enjeux, cette « neutralité » n’est acceptable ni moralement, ni déontologiquement. Si l’on veut s’en tenir à un point de vue purement journalistique, nommer les choses (extrême-droite = populisme et xénophobie), est-ce déjà trop demander ?
À 20 Minutes [1], ce sont plusieurs dizaines de journalistes qui visent, dans un texte collectif, une « direction du journal [qui] s’entête à réclamer une ligne qu’elle estime "neutre" » :
La neutralité ne doit pas servir à banaliser ou minimiser le danger que représente l’extrême droite. […] On ne peut pas se cacher derrière une neutralité de façade. Nous le rappelons : le RN n’est pas un parti comme les autres.
Chez France Télévisions, « après que cinq journalistes de la SDJ de France 3-Édition nationale ont été sanctionnés pour avoir rejoint le front commun contre l’extrême droite, les syndicats de France Télévisions adressent une tribune très sévère à la direction de l’information, qu’ils accusent de complicité avec les idées les plus rances. » (L’Humanité, 25/06)
Arrêt sur images dresse le même panorama et y ajoute le cas de La Voix du Nord : dans un communiqué interne, le SNJ-CGT « estime que "la rédaction en chef ne peut pas rester neutre face à la possible arrivée au pouvoir d’un parti d’extrême droite, même si près de 40 % de nos lecteurs votent pour ce dernier". »
Nous avons montré en quoi la responsabilité des médias dominants dans la normalisation de l’extrême droite était écrasante. On ne peut donc que saluer ces prises de conscience au sein des rédactions. Mais pour que ces contestations cessent de buter sur l’arbitraire des directions éditoriales, il reste (notamment) un combat à mener : destituer les chefferies et rendre le pouvoir aux journalistes.
Maxime Friot