Pédagogie informative
Cela commence ainsi : « Hier soir Jean-Claude Trichet, le président de la Banque Centrale Européenne a défendu l’euro et le statut de la BCE devant les députés européens, les députés européens, eux, ont défendu Jean-Claude Trichet contre les attaques françaises [2]. Pour quelles raisons la France est-elle le seul pays aujourd’hui en Europe à prendre l’euro comme bouc émissaire ? » S’interroger sur la politique monétaire européenne, ce serait donc « prendre l’euro comme bouc émissaire » : la question est réglée avant même d’avoir été soulevée. C’est ce que Jean-Marc Sylvestre appelle le « décodage ».
Et de poursuivre : « Ecoutez c’est assez curieux et hier en tous les cas les choses étaient très tranchées [...] les Allemands ont même parlé d’une coalition politique un peu hétéroclite allant de Jean-Marie Le Pen à Ségolène Royal n’hésitant pas à rendre l’euro responsable de la mauvaise situation en France [...]. C’est vrai que partout en Europe [...] on est assez consterné aujourd’hui par la tournure que prend le débat présidentiel par rapport à la monnaie, par rapport à l’Europe, par rapport à la Banque centrale européenne [...] ». A l’abri de ce que disent « les Allemands », Jean-Marc Sylvestre pense comme eux. Et, comme « partout en Europe [...] on est assez consterné », Jean-Marc Sylvestre l’est aussi. « Les » (Allemands) et « on » (partout en Europe) sont des entités qui ressemblent à s’y méprendre aux porte-voix auxquels notre chroniqueur s’identifie. Les autres n’existent pas. C’est ce que Jean-Marc Sylvestre appelle le « décodage ».
Le discours d’autorité - qui ne met en débat aucun argument, mais assène la « bonne parole » au nom d’unanimités imaginaires - n’est pas fini. La leçon de « décodage » non plus.
Avec la petite pointe de misogynie qui sied (mais prudemment attribuée à l’ensemble des députés européens du groupe socialiste), c’est Ségolène Royal qui en fait les frais : « Du coup la France se retrouve complètement isolée, les européens défendent l’indépendance de la banque centrale, ils défendent l’action de son président, ils défendent la parité de l’euro y compris d’ailleurs l’ensemble des députés européens du groupe socialiste ; aucun de ces députés hier n’a défendu les propos de Ségolène Royal et tous ont même décidé de faire le maximum d’efforts pour la briefer entre guillemets, pour la former entre guillemets à l’euro et à l’Europe » [c’est nous qui soulignons]. Quoi que l’on pense des « propos de Ségolène Royal », ils n’importent pas à notre chroniqueur qui attribue à d’autres la condescendance qui est sienne et le rôle d’instructeur du peuple qu’il s’arroge. C’est ce que Jean-Marc Sylvestre appelle le « décodage ».
Qu’avons-nous appris jusque-là ? Rien. Evidemment pas les arguments en présence dans le débat sur la Banque Centrale Européenne et sur le rôle de l’euro. Mais même pas les arguments que soutient notre chroniqueur. A peine le nom des autorités dont il endosse les propos et dont il épouse la morgue.
Pédagogie explicative
« A droite on n’est pas forcément plus clair d’ailleurs », note en passant notre chargé d’instruction, qui se demande alors « Pourquoi ? » (Pourquoi l’euro est-il un « bouc-émissaire pour les Français » ?). Et il répond :
« ...raisons politiques, d’abord il y a une tradition anti-européenne à l’extrême droite comme à l’extrême gauche en France, cet anti-européanisme a été contagieux, puisque vous vous souvenez la majorité des Français ont quand même repoussé le référendum sur les institutions, donc les leaders politiques qui sont pourtant profondément européens tiennent compte de cette grogne-là parce qu’ils sont en période électorale [...] »
Une seule position est possible et pensable : celle que défend Jean-Marc Sylvestre. En guise d’argumentation, une stigmatisation dont la violence n’est en rien admissible, même si elle est prononcée sur un ton doucereux. Un tract de propagande qui amalgame toutes les critiques de l’Europe telle qu’elle est (la « tradition anti-européenne à l’extrême droite comme à l’extrême gauche ») et affiche son mépris pour « la majorité des Français » qui « ont quand même [sic] repoussé le référendum sur les institutions » et qui doivent représenter une part non négligeable des auditeurs de France Inter. Leurs arguments ? Rien de plus qu’une « grogne » !
Car il ne peut exister qu’un seul dogme : « [...] ce n’est pas à l’Euro de s’adapter, c’est plutôt aux économies comme les nôtres de s’adapter à la monnaie [...] ». Et ce dogme est au-dessus de toute discussion. Ainsi l’a décrété, fort de son infaillibilité pontificale, le Pape des « chroniqueurs » ès-économie.
Que Jean-Marc Sylvestre « pense » ainsi relève de sa liberté d’expression (et la critique de ce style de « journalisme » de la nôtre). Que cette « pensée » prenne la forme d’une « chronique », alors qu’elle est à peine digne, par sa forme même, d’un exercice officiel de propagande mensongère et arrogante devrait poser problème. Non ?
Henri Maler