Accueil > (...) > Des livres : présentations et extraits

Emmanuel Macron, « une créature médiatique » : extrait du dernier livre des Pinçon-Charlot

par Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot,

Depuis plus de trente ans Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot explorent méthodiquement l’espace de la classe dominante. Dans Le président des ultra-riches [1], ils tiennent la « chronique du mépris [et de la guerre] de classe dans la politique d’Emmanuel Macron », politique qui passe par une intense et continue mobilisation de ressources politiques évidemment, mais aussi économiques, sociales et médiatiques détenues par cette classe dominante. Avec l’aimable autorisation des auteurs et de l’éditeur que nous remercions, nous publions ici le chapitre 6 « Une créature médiatique » de ce livre, qui expose les conditions et ressorts de la « fulgurante » ascension médiatique d’Emmanuel Macron. (Acrimed)

À peine trois ans avant la présidentielle, le visage d’Emmanuel Macron était inconnu du grand public. On a assisté à l’une des opérations de construction de notoriété les plus fulgurantes de l’histoire politique française. Les médias dominants ont joué un rôle essentiel dans cette Blitzkrieg de l’image. Sans leur appui, sans cette complaisance, il n’aurait pas été possible de propager de façon aussi accélérée le récit de pseudo-disruption qui formait l’axe stratégique de cette campagne de communication : que tout change pour que rien ne change…

Évoquant un véritable « matraquage médiatique pour vendre la marque Macron à l’électorat », le politiste Thomas Guénolé pointe un traitement de faveur et une surmédiatisation artificielle. « Sur la foi des chiffres du cabinet Dentsu Consulting, on constate qu’entre le 1er avril et le 30 septembre 2016, le candidat d’En Marche ! a bénéficié de 42 % des parts de voix dans les médias, alors qu’il n’atteignait que 17 % sur les réseaux sociaux. Le 21 février 2017, Marianne a ainsi calculé qu’en quatre mois, BFM-TV avait retransmis quatre cent vingt-six minutes de discours de Macron au cours de ses meetings contre quatre cent quarante minutes pour ses quatre principaux adversaires réunis. Faut-il y voir un lien avec la présence de M. Bernard Mourad, ancien dirigeant d’Altice Media Group, l’actionnaire de BFM-TV, dans l’équipe de campagne du candidat d’En Marche ? » [2], s’interroge Marie Bénilde dans Le Monde diplomatique.


L’appui des patrons de presse

Dans son ascension, Emmanuel Macron a pu compter sur l’appui d’importants patrons de presse. En janvier 2017, l’un des trois principaux actionnaires du quotidien Le Monde, Pierre Bergé, décédé depuis, annonce sur son compte Twitter apporter son « soutien sans la moindre restriction à Emmanuel Macron ». Quant à l’ami Xavier Niel, le second pilier économique du journal, par ailleurs propriétaire de Free et d’une grande maison dans le ghetto doré de la villa Montmorency, il ne lésine pas sur la brosse à reluire pour lui réaffirmer son soutien de la première heure et sa confiance en décembre 2018 sur Europe 1 : « On a un super président qui est capable de réformer la France. […] On a le sentiment qu’il l’a fait uniquement pour les plus aisés. Mais il est en train de faire des lois fantastiques. »


Encadré : « Pourquoi je vote Emmanuel Macron », par Bernard Arnault

Le 5 mai 2017, Bernard Arnault, P-DG de LVMH et propriétaire des Échos, publie dans Les Échos une tribune pour appeler à voter Macron. Extrait : « Les raisons d’espérer sont simples : le programme d’Emmanuel Macron est bâti sur la conviction que l’entreprise privée constitue le seul levier efficace de création durable, saine et massive d’emplois en France. Cette conviction fondatrice, je la partage sans ambiguïté : une entreprise qui ne subit pas d’entrave à son développement, qui n’est pas distraite de sa volonté de croître par une fiscalité déraisonnable ou une bureaucratie procédurière n’a d’autre projet que d’investir, d’innover et de créer des emplois durables. [3] »


En janvier 2017, Emmanuel Macron est en une du magazine Challenges dont le propriétaire, Claude Perdriel, en fera l’invité vedette, le 13 avril 2017, du second « sommet des start-up » organisé par cet hebdomadaire. Directeurs de rédaction et éditorialistes ne sont pas en reste. À la question « pourquoi Macron ? », Matthieu Croissandeau, alors à la tête de L’Obs, répondait ainsi, dans son éditorial du 20 avril 2017 : « Il a su, mieux que personne dans cette campagne, incarner à la fois un projet, un élan, un espoir de renouvellement et une volonté de rassemblement [4]. » Emboîtant le pas à Challenges, L’Express et Le Point ont chacun multiplié des couvertures consacrées au jeune candidat.


Un couple sur papier glacé

Paris Match, propriété d’Arnaud Lagardère, a abondamment mis en scène le couple atypique formé par Emmanuel et Brigitte, contant sans relâche l’histoire de l’élève fougueux qui conquiert le cœur de sa professeure et multipliant les clichés d’un amour sans faille sur papier glacé. Dès avril 2016, le couple est célébré par des titres accrocheurs : « Ensemble sur la route du pouvoir », puis le 11 août 2016 : « Vacances en amoureux avant l’offensive », à Biarritz, et le 24 novembre 2016 : « En marche avec Brigitte ». Les magazines people nous ont saturés des images de ce couple à vélo au Touquet, ou s’embrassant entre deux dunes battues par le vent du large.


Encadré : « Mimi, la reine des paparazzi »

Michèle Marchand, née en 1947, fille d’un couple de coiffeurs communistes, a fondé la société Bestimage en 2011. Cette ex-épouse d’un braqueur puis d’un policier qui a connu l’univers glamour du Paris des boîtes de nuit mais aussi l’envers du décor, jusqu’à la prison, est surnommée la « reine des paparazzi ».

Présentée aux Macron par Xavier Niel au printemps 2016, celle-ci propose de les protéger contre les rumeurs en échange de l’exclusivité sur les photographies ayant trait à leur vie privée. Les auteurs qui lui ont consacré un ouvrage notent que, depuis qu’elle travaille avec le couple, dont elle a fait sa chasse gardée, le chiffre d’affaires de Bestimage a augmenté de 500 000 euros et les bénéfices de 343 338 euros [5].

Entrée dans le premier cercle et devenue l’amie de Brigitte Macron, elle fut photographiée quelques jours après l’élection dans le bureau du président, à l’Élysée, en faisant le V de la victoire. Selon Raphaëlle Bacqué, grand reporter au Monde, Michèle Marchand travaillait en bonne entente avec Alexandre Benalla : « Le garde du corps écartait les caméras des photographes qui ne travaillaient pas pour Bestimage, mais faisait monter les paparazzi appointés par "Mimi" dans l’avion présidentiel. » [6]


Emmanuel et Brigitte Macron font encore la une de Paris Match le 5 mai 2018 avec un dossier de dix pages. Les photos proviennent de la société Bestimage. L’hebdomadaire consacre sa une du 7 juin 2018 à Brigitte Macron pour fêter la première année à l’Élysée d’une première dame plébiscitée, à en croire le sondage, par 67% des Français. Elle est mise en scène choisissant aux Gobelins des tapisseries modernes, promenant le chien Nemo, un labrador adopté avec son mari dans un refuge de la SPA, feuilletant des livres dans la bibliothèque de l’Élysée et répondant aux quelque cent cinquante lettres qu’elle reçoit chaque jour. Les apparences de ce mannequin « sexygénaire » masquent tout un travail effectué pour adoucir son âge, avec une demi-heure de gymnastique quotidienne, de la marche, et les vêtements de grands couturiers, Vuitton, Alexandre Vauthier, Givenchy ou Balmain, accompagnés de talons hauts de 8 centimètres. Pour paraître plus fringante, Brigitte Macron aurait demandé à son amie Delphine Arnault, fille de Bernard et compagne de Xavier Niel, mais aussi directrice générale adjointe de Louis Vuitton, de lui rajeunir son look vestimentaire [7].

La différence d’âge de plus de vingt-quatre ans, qui inverse le rapport de genre habituel, où c’est plutôt un homme plus âgé qui utilise son capital symbolique et économique pour séduire une frétillante jeune fille, représente un atout dans l’électorat féminin. L’image de Brigitte Macron est à ce point importante pour la communication présidentielle que l’Élysée n’a pas hésité à faire savoir à la direction de France 2, par l’intermédiaire d’Ismaël Emelien, conseiller spécial d’Emmanuel Macron, puis de Bruno Roger-Petit, porte-parole de l’Élysée, le mécontentement du président pour un reportage de Complément d’enquête, diffusé le 21 septembre 2017, au cours duquel Jean-Michel Pailla, patron de l’agence Abaca Press, concurrente de Bestimage, a affirmé que cette dernière avait retouché les photos de Brigitte Macron prises lors de la venue de Trump, le 14 juillet 2017.


Encadré : Des médias aux mains de milliardaires

Bernard Arnault, première fortune professionnelle de France selon le classement de Challenges de 2018 avec plus de 73 milliards d’euros, est propriétaire de deux quotidiens, Les Échos et Le Parisien, et de la chaîne de radio Radio classique. Mais ce géant du luxe exerce en réalité une influence beaucoup plus large sur la presse française par l’intermédiaire des annonces publicitaires de son groupe LVMH.

Serge Dassault, septième fortune de France avec plus de 23 milliards d’euros, détenait Le Figaro et Le Particulier. Patrick Drahi occupe avec plus de 7 milliards d’euros la douzième place du palmarès et contrôle depuis 2015 Libération, L’Express et BFM-TV. Vincent Bolloré, onzième fortune de France, a dans son escarcelle Canal +, CNews, C8, CStar.

Avec un peu plus de 6 milliards d’euros, Xavier Niel, treizième fortune de France, est actionnaire du quotidien Le Monde, de Télérama, de La Vie, du Courrier international et de l’hebdomadaire L’Obs. Matthieu Pigasse, banquier chez Lazard, est propriétaire du magazine Les Inrockuptibles. Arnaud Lagardère, héritier de son père Jean-Luc Lagardère, a presque l’air pauvre à sa 361e place et ses 230 millions d’euros, mais il contrôle également le JDD, RFM, Virgin et Gulli. Marie-Odile Amaury, 258e fortune de France, est propriétaire de L’Équipe, France football, Vélo magazine. On remonte à plus de 3 milliards d’euros et au 28e rang avec la famille Bouygues et les chaînes de télévision TF1, LCI, TMC, NT1, HD1. Quant à RTL, M6, VSD, W9, Capital, Fun et Voici, ils sont aux mains de la famille Mohn, trente-neuvième fortune d’Allemagne.

Le groupe Challenges, propriété de Claude Perdriel dont les 240 millions d’euros le classent 360e de son propre palmarès, a accueilli dans son capital, le 13 décembre 2017, le groupe Renault et son P-DG Carlos Ghosn avec une prise de 40% du consortium de presse. Les deux parties ont insisté sur leur indépendance mutuelle. Vincent Beaufils, le rédacteur en chef de Challenges, a justifié ainsi la concomitance de cet accord avec un dossier qui fait l’objet de la couverture sur la petite dernière de Renault : « Nous n’allions pas nous autocensurer. Et, s’il y a une voiture Renault, c’est que le constructeur est numéro 1 mondial. Nous allons garder notre liberté totale d’esprit. » Avant le premier tour de l’élection présidentielle de 2017, tous les candidats étaient invités à participer à un débat pour exposer l’essentiel de leur programme politique. Il eut lieu sur les chaînes commerciales appartenant aux milliardaires Vincent Bolloré pour CNews et Patrick Drahi pour BFM-TV.


Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot


Post-scriptum : On pourra retrouver de nombreux autres exemples de cette co-construction médiatique du candidat Macron (avant, pendant et après la présidentielle de 2017) dans la rubrique d’Acrimed qui lui est consacrée. (Acrimed)

 
Acrimed est une association qui tient à son indépendance. Nous ne recourons ni à la publicité ni aux subventions. Vous pouvez nous soutenir en faisant un don ou en adhérant à l’association.

Notes

[1Zones – La Découverte, 169 p., janvier 2019.

[2Marie Bénilde, « Le candidat des médias », Le Monde diplomatique, mai 2017.

[3Bernard Arnault, « Pourquoi je vote Emmanuel Macron », Les Échos, 5 mai 2017.

[4Dans ce même numéro de L’Obs, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle, nous avons publié un entretien sous le titre « Critiquer les riches n’est pas du populisme ». Les propos ont été recueillis par Éric Aeschimann à propos du livre que nous venions de publier, Les Prédateurs au pouvoir. Main basse sur notre avenir (Paris, Textuel, 2017).

[5Jean-Michel Décugis, Pauline Guéna et Marc Leplongeon, Mimi, Grasset, Paris, 2018. Les auteurs ont comptabilisé vingt-neuf unes pour les Macron pendant la campagne contre seize pour Fillon et onze pour Le Pen (p. 21).

[6Raphaëlle Bacqué, « "Mimi" Marchand, le loup dans la bergerie Macron », Le Monde, 20 octobre 2018.

[7Mathieu Bonis, « Si Brigitte Macron est proche de la patronne de Louis Vuitton, c’est qu’elle a été la prof des enfants de Bernard Arnault », Gala, 21 juin 2017.

A la une

France Inter, Sciences Po et la Palestine : « nuance » ou calomnie ? (3/3)

Comment France Inter défigure un mouvement étudiant.